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« Alors, d’une façon ou d’une autre, dit En-Vérité Cooper, vous devrez partir d’ici dès la fin du procès.

— Qu’il soye gagné ou perdu, fit Alvin. Gagné ou perdu.

— Et si jamais y en a qu’essayent de l’arrêter ou d’y faire du mal, ils auront d’abord affaire à moi, dit Mike Fink. J’pars avec toi, Alvin, ousque t’ailles. Si ces genses-là, ils ont l’Président dans leur poche, ils vont être ’core plusse dangereux, alors t’iras nulle part sans moi pour protéger tes arrières.

— J’voudrais être plusse jeune, fit Armure-de-Dieu. J’voudrais être plusse jeune.

— J’veux pas voyager tout seul, dit Alvin. Mais y a d’l’ouvrage à faire icitte, surtout si l’sortilège est retiré. Et vous avez aussi des responsabilités, vous autres, les hommes mariés. Y a qu’les célibataires, par le fait, qui sont libres de voyager comme j’vais devoir le faire. J’connais pas ce que j’vais trouver chez, la tisseuse, ni c’qui va s’passer quand j’vais causer à Tenskwa-Tawa, si j’arrive à lui causer, mais y m’faudra toujours apprendre à bâtir la Cité de Cristal.

— P’t-être que Tenskwa-Tawa pourra te l’dire, fit Mesure.

— S’il connaît ça, il aurait pu me l’dire quand toi et moi, on était des drôles et qu’on était avec lui.

— Moi, j’suis pas marié, fit Arthur Stuart. J’viens avec toi.

— M’est avis qu’tu peux. Et toi, Mike Fink, je s’rai content de t’avoir aussi.

— Je ne suis pas marié non plus », fit En-Vérité Cooper.

Alvin posa sur lui un regard étrange. « En-Vérité, vous êtes déjà un bon ami, mais vous êtes un avocat, pas un coureur des bois, ni un marchand-charrette, ni un rat d’rivière, rien de c’qu’on est, nous autres.

— Vous aurez d’autant plus besoin de moi, répliqua l’Anglais. Partout où vous irez, il y aura des lois et des tribunaux, des shérifs, des prisons et des actes judiciaires. À certains moments, vous aurez besoin des services de Mike Fink. Et à d’autres, des miens. Vous ne pouvez pas les refuser, Alvin Smith. Je suis venu de loin pour apprendre auprès de vous.

— Mesure en connaît autant qu’moi asteure. Il peut vous apprendre aussi bien qu’moi, et vous, vous pouvez l’aider. »

En-Vérité se contempla un moment les pieds. « Mesure a appris de vous, et vous de lui, parce que vous êtes frères et ensemble depuis longtemps. Qu’on n’y voie pas offense, surtout, si je dis que je serais heureux d’avoir l’occasion d’apprendre directement auprès de vous pendant quelque temps, Alvin. Je ne veux pas rabaisser qui que ce soit en disant ça.

— Y a pas d’offense, fit Mesure. Si vous aviez pas dit ça, moi j’l’aurais dit.

— Bon, alors, vous trois, vous m’accompagnerez pendant tout l’voyage, décida Alvin. Plusse m’zelle Larner jusque chez Becca Weaver.

— J’irai aussite, fit Armure-de-Dieu. Pas jusqu’au bout, mais jusque chez les tisseuses. Comme ça j’pourrai connaître ce qu’a dit Tenskwa-Tawa. J’espère que vous pardonnerez mon audace, mais j’demande à être çui-là qui ramènera la bonne nouvelle à Vigor Church, si le village est libéré de la malédiction.

— Et s’il l’est pas ?

— Alors, faudra qu’les villageois l’apprennent aussite, et par moi.

— Donc, on a tout prévu, même si ça vaut pas lourd, dit Alvin.

— Tout sauf comment sortir vivant de Hatrack River, avec tous ces bandits et ces malandrins qui rôdent, fit En-Vérité Cooper.

— Oh, Armure et moi, on y a d’jà pensé, dit Mike Fink avec un grand sourire. Et y aura p’t-être pas b’soin d’réduire des genses en bouillie non pus, si on a d’la chance. »

Mais la figure de Mike Fink rayonnait d’une telle joie que la plupart de ses compagnons se demandèrent s’il pensait vraiment que ce serait une chance de ne pas avoir à pulvériser quelqu’un. Certains n’étaient pas sûrs non plus de ne pas souhaiter réduire quelques particuliers en bouillie si les choses tournaient mal.

Fink et Armure-de-Dieu s’apprêtaient alors à descendre à la suite d’Horace pour faire un brin de toilette après leur voyage et avant de regagner leurs lits dans le grenier, lequel offrait un espace assez grand mais que l’aubergiste ne louait jamais, au cas où se présenteraient des visiteurs de dernière heure comme ces deux-là, lorsque Mesure lança : « Mike Fink. »

Fink se retourna.

« Y a une histoire que j’dois t’raconter avant d’aller m’coucher as’soir », dit-il.

Fink parut un instant indécis.

« Mesure a reçu la malédiction, lui expliqua Armure-de-Dieu. Faut qu’il raconte son histoire, sinon il ira s’coucher avec du sang plein les mains.

— J’ai failli y avoir droit d’même, dit Fink. Mais toi ? Comment ça s’fait ?

— C’est lui qui l’a voulu, répondit Peggy Larner. Mais ça ne l’exempte pas des mêmes règles pour autant.

— Mais j’la connais déjà, l’histoire.

— Ça m’sera plus facile de la raconter, dit Mesure. Mais j’dois l’faire.

— J’vais r’monter, mais j’vais d’abord pisser et manger. Faites excuse, m’dame. »

Alvin et Peggy se retrouvèrent donc face à face, les yeux dans les yeux, mais une fois encore En-Vérité Cooper, Arthur Stuart et Mesure assistaient au spectacle.

« Vous en avez pas assez, vous deux, d’jouer vos scènes devant un public ?

— Il n’y a pas de scène à jouer, dit mademoiselle Larner.

— Dommage, fit Alvin. J’croyais que c’était l’moment d’la pièce où j’te dis : Pardon, et où tu m’dis…

— Où je te dis que tu n’as rien à te faire pardonner.

— Et où moi, j’te dis : Si. Et tu m’dis : Non. Si, non, si, et ainsi d’suite jusqu’à tant qu’on s’mette à rigoler. »

Sur quoi, la jeune femme éclata de rire.

« J’avais raison, t’avais pas b’soin de témoigner », fit Alvin.

Le visage de Peggy Larner reprit aussitôt son sérieux.

« Écoute-moi, sacordjé, poursuivit-il, t’as eu raison aussi, en fin de compte, c’était pas à moi d’te dire si oui ou non tu pouvais témoigner. C’est pas à moi de décider si tu dois faire un sacrifice ou un autre, ou si ça en vaut la peine. C’est toi qui décides de tes sacrifices, et moi, j’décide des miens. Au lieu de l’commander, j’aurais dû jusse le d’mander d’attendre voir si j’pouvais m’en sortir sans ça. Et t’aurais dit oui, p’as vrai ? »

Elle le regarda dans les yeux. « Sans doute que non, répondit-elle. Mais j’aurais fait une erreur.

— Alors, p’t-être qu’on est pas si cabochards que ça, après tout.

— Le lendemain – non, le surlendemain – on est toujours moins cabochard.

— Ça ira, si on reste amis jusqu’à tant qu’on s’calme un peu.

— Tu n’es pas mûr pour le mariage, Alvin, dit mademoiselle Larner. Tu as encore de grands voyages à accomplir et tu n’auras pas besoin de moi avant de pouvoir bâtir la Cité de Cristal. Je ne vais pas rester à la maison soupirer après toi, je ne vais pas non plus essayer de te suivre alors qu’il te faut des hommes comme ceux-là. Reviens me trouver quand tu auras fini de voyager. Nous verrons alors si nous avons toujours besoin l’un de l’autre.

— Donc tu reconnais qu’asteure on a b’soin l’un de l’autre.

— Je ne veux pas discuter avec toi maintenant, Alvin. Je ne te concède rien, et je ne vais pas expliquer ni arranger nos petits désaccords.

— Ces hommes, là, sont témoins, Margaret. Je t’aime pour toujours. La famille qu’on forme, ça sera notre plus bel ouvrage de Faiseur, plus beau que l’soc, plus beau qu’la Cité de Cristal. »