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De toute façon, pour ce qu’elles avaient de bon, ses leçons !

« M’zelle Larner, murmura Alvin.

— Ouaip, fit Mot-pour-mot. Elle t’a prévenu. Pars volontairement maintenant, ou forcé plus tard.

— Pourquoi donc il serait forcé d’partir de chez lui à cause d’une p’tite menteuse en chaleur qui…» La voix de la Mère mourut.

Alvin resta un moment sans rien dire dans le silence qui s’ensuivit, conscient de sa bêtise. « J’suppose que j’suis un grand couillon d’avoir pas écouté m’zelle Larner. » Puis, se redressant, il ferma les yeux et annonça : « Y a un autre moyen. Comme ça, je s’rai pas forcé de partir du tout.

— C’est quoi ? demanda Mesure.

— J’peux la marier.

Non ! s’écrièrent aussitôt le Père et la Mère.

— Pourquoi pas signer une confession ? fit Armure-de-Dieu.

— Tu peux pas la marier, dit Mesure.

— Si c’est ça qu’elle veut, fit Alvin. Sûr qu’elle dirait oui, et sa parenté s’rait bien obligée d’accepter.

— D’accepter… et pis après de t’mépriser toute ta vie, remarqua le Père.

— Sa réputation, c’que l’monde pense de lui, toutes ces affaires-là, c’est encore rien, dit Mesure. Mais t’réveiller tous les matins, voir Amy Sump couchée dans l’même lit qu’toi et connaître qu’elle est là par rapport qu’elle t’a diffamé… Dis-moi donc quel genre de foyer ça va faire, vous deux, pour vos enfants ? »

Alvin réfléchit un moment et hocha la tête. « J’pense que l’mariage, c’est pas la bonne solution. Ça risque de nous amener encore plusse de tracas.

— Ah, ouf, fit le Père. J’avais peur d’avoir élevé un couillon.

— Alors j’vais m’ensauver comme un voleur, et tout l’monde conclura qu’Amy disait la vérité et que j’ai fui.

— Pas d’risque, dit Mesure. On fera connaître que t’es parti par rapport que ton ouvrage est trop important pour être dérangé par des imbécillités d’même. Tu t’en r’viendras quand Amy voudra bien raconter la vérité, et durant ce temps, tu seras après étudier… c’que tu veux. Après apprendre quèque chose.

— À bâtir la Cité de Cristal », murmura Mot-pour-mot.

Ils le regardèrent tous.

« Tu ne sais pas comment t’y prendre, hein, Alvin ? poursuivit Mot-pour-mot. Pendant que tu t’occupes à donner des cours de Faiseur à ces gens, tu ne sais pas toi-même ce qu’est vraiment la Cité de Cristal, ni comment la bâtir. »

Alvin opina du chef « T’as raison.

— Donc… ça n’est pas un mensonge. Tu as vraiment beaucoup à apprendre et tu es en retard. Du coup, tu peux même remercier Amy de t’avoir montré que tu es resté au pays beaucoup trop longtemps. Mesure a bien profité de tes leçons. Il a une bonne avance sur les autres, il enseignera à ta place pendant ton absence. Et comme lui, il est marié, aucune fille de la classe ne se fera des idées ridicules.

— J’connais pas, dit Mesure. J’suis plutôt mignon.

— T’as déjà fait mes paquets, Mot-pour-mot ? demanda Alvin.

— Pas besoin de beaucoup de bagages, répondit Mot-pour-mot. Tu vas voyager vite et léger. M’est avis qu’il n’y en a qu’un qui va beaucoup t’alourdir. Un certain instrument de labour.

— J’pourrais pas le laisser icitte ? demanda Alvin.

— Pas prudent, fit Mot-pour-mot. Pas prudent pour ta famille si le bruit se répand que le Faiseur est parti en laissant le soc d’or derrière lui.

— Pas prudent pour Alvin si la rumeur s’épaille qu’il l’a emporté avec lui, fit la Mère.

— Y a personne sus c’te terre qu’est plusse en sécurité qu’Alvin s’il le veut, dit Mesure.

— Alors j’prends l’soc, je l’mets dans un sac de jute et j’m’en vais ? demanda Alvin.

— C’est l’mieux, pour sûr, dit Armure-de-Dieu. Mais j’gage que ta maman va insister pour que t’emmènes du porc salé et un change de linge.

— Et pis moi. »

Ils se tournèrent tous vers celui qui venait de parler d’une petite voix flûtée.

« Il m’emmène avec lui, dit Arthur Stuart.

— Tu f’rais que l’ralentir, mon gars, remarqua le Père. T’as un bon cœur mais des p’tites pattes.

— L’est pas pressé, dit Arthur, surtout qu’il connaît pas ousqu’il va.

— Tu l’gênerais, par le fait, dit Armure-de-Dieu. Faudrait tout l’temps qu’il pense à toi pour empêcher qu’on t’fasse du mal. Y a un tas d’coins dans ce pays où un p’tit sang-mêlé libre mettrait les genses dans une colère bleue, et ça vaudrait rien d’bon pour Alvin non plus.

— Vous causez comme si vous croyez qu’vous avez l’choix, dit Arthur. Mais si Alvin s’en va, moi aussi, et pis voilà. Vous pouvez m’encler dans un placard, mais un jour j’sortirai, je l’chercherai et pis je l’trouverai ou j’mourrai en route. »

Ils le regardèrent tous d’un air consterné. Arthur Stuart était resté quasiment silencieux depuis son arrivée à Vigor après l’assassinat de sa mère adoptive à Hatrack River. Silencieux mais travailleur, coopératif, obéissant. C’était une surprise complète, une telle attitude de sa part.

« Et pis, reprit Arthur, durant qu’Alvin sera occupé à veiller sus l’monde, moi, j’serai là pour veiller sus lui.

— J’crois que le p’tit devrait y aller, dit Mesure. L’Défaiseux en a visiblement pas ’core fini avec Alvin. Faut quèqu’un pour surveiller ses arrières. J’crois qu’Arthur a c’qu’y faut pour ça. »

La question était pour ainsi dire réglée. Pour jauger son prochain, il n’y en avait pas deux comme Mesure.

Alvin s’approcha de la cheminée et souleva quatre pierres en faisant levier. Personne n’aurait deviné qu’on avait caché quelque chose dessous, parce qu’avant qu’il ne soulève les moellons on ne distinguait pas la moindre fissure dans le mortier. Il ne creusa pas la terre ; le soc était enterré profond et le dégager à la pelle aurait pris la journée entière, sans parler qu’il aurait fallu démonter toute la cheminée. Non, il se contenta de tendre les mains, d’appeler le soc et de vouloir que la glèbe le fasse monter jusqu’à lui. Un instant plus tard, le soc émergea comme un bouchon à la surface calme d’un étang. Alvin perçut deux ou trois inspirations rapides dans son dos – ça impressionnait encore les gens, même les membres de sa propre famille, quand il recourait aussi ouvertement à son talent. Et puis l’or avait un tel éclat… Comme si, même dans l’obscurité épaisse de la nuit de tempête et sans lune la plus noire, le soc resterait encore visible, que l’or incandescent traverserait les paupières même fermées pour imprimer sa présence lumineuse directement sur les prunelles, directement dans le cerveau. Le soc trembla sous la main d’Alvin.

« On a un voyage à faire, chuchota Alvin à l’or chaud. Et p’t-être qu’en cours de route on trouvera pour quoi j’t’ai forgé. »

Une heure plus tard, Alvin se tenait à la porte de derrière de la maison. Il n’avait pas mis une heure à faire ses bagages, non, mais il avait passé le plus clair de son temps en bas au moulin à réparer les pompes. Il n’avait pas non plus perdu la moindre minute à faire ses adieux. On n’avait même prévenu aucun autre membre de la famille qu’il partait, parce que la nouvelle se serait répandue, et la dernière chose que souhaitait Alvin, c’était qu’on le guette au passage lorsqu’il s’enfoncerait dans la forêt. La Mère, le Père, Mesure et Armure transmettraient ses amitiés, ses « Djeu vous bénisse » à ses frères, sœurs, neveux et nièces.

Il se jeta sur l’épaule le sac chargé du soc et de ses vêtements de rechange. Arthur Stuart lui prit l’autre main. Du regard, Alvin passa en revue les charmes qu’il avait placés autour de la maison et s’assura qu’ils correspondaient toujours au chiffre six, que ni le vent ni des manipulations fortuites ne les avaient dérangés. Tout était en ordre. C’était la seule chose qu’il pouvait faire pour sa famille durant son absence : maintenir des protections pour écarter le danger.