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— J’ai l’impression, dit Mot-pour-mot d’un ton assez tranchant pour tailler dans la fureur de Calvin, que tu es un élève singulièrement difficile. Tu demandes à Alvin de t’enseigner son savoir, il essaye, et toi, tu refuses d’écouter parce que tu sais ce qui est important et ne l’est pas, tu sais qu’on n’a pas besoin de Faire pour être Faiseur, tu en sais déjà si long que je suis surpris de te voir rester dans ce village en attendant qu’Alvin t’enseigne ce que tu ne tiens visiblement pas à apprendre.

— J’veux qu’il me montre comment on entre dans ce qu’y a de tout p’tit ! s’écria Calvin. J’veux apprendre à changer les genses, comme il a changé Arthur Stuart pour que les pisteux, ils le trouvent plus ! J’veux apprendre à entrer dans les os et les vaisseaux sanguins, à changer l’fer en or ! J’veux un soc en or pareil que lui, et il veut pas m’apprendre !

— Et il ne t’est jamais venu à l’esprit, quand il parle d’employer le pouvoir du Faiseur uniquement pour bâtir et jamais pour détruire, qu’il t’apprend peut-être justement ce que tu cherches ? Oh, Calvin, ça me désole de voir que ta maman a quand même eu un enfant stupide, au bout du compte. »

Calvin sentit la rage exploser en lui, et avant de savoir ce qu’il faisait il envoya Mot-pour-mot à terre, se mit à cheval sur ses hanches et bourra de coups son ventre et ses côtes fragiles. Ce n’est qu’au bout d’un moment qu’il se rendit compte que le vieil homme ne répliquait pas. Est-ce que je l’ai tué ? se demanda-t-il. Qu’est-ce que je vais faire s’il est mort ? On va m’accuser de meurtre. On ne comprendra pas que c’est lui qui m’a provoqué, qu’il cherchait sa raclée. Je n’avais pas l’intention de le tuer.

Calvin posa les doigts sur la gorge de Mot-pour-mot, en quête d’un pouls. Il le sentit, faible, mais sans doute pas plus que d’habitude, vu le grand âge du bonhomme.

« Tu ne m’as pas complètement tué, hein ? murmura Mot-pour-mot.

— Ça m’disait rien, fit Calvin.

— Sur combien de gars tu vas devoir taper avant qu’on admette que tu es un Faiseur ? »

Calvin eut envie de le cogner encore. Il ne comprenait donc rien, ce vieux ?

« Tu sais, si tu leur fais assez mal, les gens finiront tous par t’appeler ce que tu veux. Faiseur. Roi. Capitaine. Patron. Maître. Saint. Tu n’as qu’à choisir, tu peux les forcer à coups de poing. Mais toi, tu ne te changes pas. Tu ne fais que changer le sens de ces mots, et tu leur donnes à tous le même : brute. »

Calvin, rouge de honte, se releva et domina Mot-pour-mot de toute sa hauteur. Il se retint de le bourrer de coups de pied jusqu’à lui réduire la tête en bouillie. « T’as un talent pour les mots, dit-il.

— En particulier ceux qui expriment la vérité, répliqua le vieil homme.

— Des menteries, m’est avis.

— Un menteur ne voit que des menteries. Même quand elles n’existent pas. Tout comme un hypocrite ne voit que des hypocrites dès qu’il croise des braves gens. Tu ne supportes pas l’idée que les autres soient réellement ce que toi, tu fais seulement semblant d’être.

— Y a tout d’même une affaire de vraie dans c’que t’as dit, fit Calvin. Ça sert à rien d’attendre icitte qu’Alvin me montre c’qu’y veut visiblement garder secret. J’aurais dû comprendre qu’il me montrerait jamais rien, par rapport qu’il a peur, si on me voit faire aussi bien que lui, de jouer au roi du pays. Faut que j’trouve tout seul, comme il a fait.

— Faut que tu trouves en apprenant les mêmes choses que lui. Tout seul, ou comme son élève, mais je ne t’en crois pas capable.

— Tu te trompes. J’te l’prouverai.

— En apprenant à maîtriser tes envies et à utiliser ton pouvoir uniquement pour construire, uniquement pour aider les autres ?

— En partant dans l’monde pour tout apprendre et en revenant pour montrer à Alvin lequel a l’vrai talent d’Faiseux et lequel fait des accroires. »

Mot-pour-mot se souleva sur un coude. « Mais, Calvin, ton attitude ici, aujourd’hui, répond parfaitement à cette question. »

Calvin lui aurait bien flanqué son pied dans la figure. Histoire de réduire cette goule au silence. De briser ce crâne luisant et de regarder la cervelle se répandre dans l’herbe du pré.

Il jugea préférable de se détourner pour faire quelques pas vers les bois. Il avait une destination, cette fois. L’Est. La civilisation. Les villes, les pays où les gens vivaient les uns sur les autres. Il y trouverait sûrement ceux qui pourraient lui apprendre. Sinon, ceux sur lesquels il pourrait mener ses expériences jusqu’à ce qu’il en sache autant qu’Alvin, voire davantage. Calvin avait eu tort de rester si longtemps au village. Été idiot d’espérer obtenir un jour le moindre amour ou soutien de son frère. Je l’ai idolâtré, voilà mon erreur, songea-t-il. Il a fallu que ce vieux fou d’abruti me révèle le mépris que j’inspire aux autres. Faut toujours qu’ils me comparent à Alvin, Alvin le parfait, Alvin le Faiseux, Alvin le fils vertueux.

Alvin l’hypocrite. Il se sert de son pouvoir exactement comme je veux le faire, seulement il s’y prend discrètement, et les gens ne s’aperçoivent pas qu’il les manipule. Conseille-nous, Alvin ! Apprends-nous à devenir Faiseux, Alvin ! Est-ce qu’Alvin a jamais répondu : Ce n’est pas ton talent, bougre de couillon, autant apprendre à un poisson à marcher ? Non. Il fait semblant de leur donner des leçons, il les aide à remporter quelques succès aussi trompeurs que pitoyables pour qu’ils restent auprès de lui comme des serviteurs obéissants, ses disciples.

Eh bien moi, je ne suis pas de ceux-là. Je suis mon propre chef, plus malin que lui et plus puissant aussi, suffit que j’apprenne le nécessaire. En définitive, Alvin n’a été septième fils qu’un tout petit moment après sa naissance, jusqu’à la mort de Vigor, notre frère aîné. Alors que moi, je l’ai été toute ma vie, et que je le suis encore asteure. D’ici peu, je vais surpasser Alvin. C’est moi, le Faiseux. Le seul, le vrai. Je ne suis pas un hypocrite. Ni un simulateur.

« Quand tu trouveras Alvin, dis-y de pas m’suivre. Il me verra plus jusqu’à tant que j’soye prêt à me mesurer à lui. Faiseux contre Faiseux.

— Ça ne peut pas exister, une bataille entre deux Faiseurs, dit Mot-pour-mot.

— Oh ?

— Parce que s’il y a bataille, c’est qu’au moins un des deux n’est pas Faiseur, mais plutôt le contraire. »

Calvin éclata de rire. « Ce conte de vieilles femmes ? D’un soi-disant Défaiseux ? Alvin a causé de ces affaires-là, mais c’est des foutaises pour s’donner encore plusse l’air d’un héros.

— Ça ne m’étonne pas que tu ne croies pas au Défaiseur, répliqua Mot-pour-mot. Son premier mensonge, c’est de prétendre qu’il n’existe pas. Et ses vrais serviteurs le croient toujours, alors même qu’ils accomplissent son travail dans le monde.

— Alors j’suis l’serviteur du Défaiseux ? demanda Calvin.

— Évidemment. J’ai maintenant des tas de bleus qui le prouvent.

— Ces bleus, ça prouve que t’es faible avec une grande goule.

— Alvin, lui, il m’aurait guéri et donné des forces, dit Mot-pour-mot. C’est ce que font les Faiseurs. »

Calvin ne put en supporter davantage. Il envoya carrément son pied dans la figure du bonhomme. Il sentit le nez se casser sous sa semelle ; puis Mot-pour-mot s’effondra en arrière dans l’herbe et ne bougea plus. Calvin ne se soucia même pas de lui tâter le pouls. S’il était mort, tant pis. Le monde ne s’en porterait que mieux sans ses mensonges et son insolence.