« – Je crois que l’orage se calme, dit-il.
«Mais en ce moment, comme pour lui donner un démenti, un coup de tonnerre terrible ébranla la maison, et une bouffée de vent mêlée de pluie entra, qui éteignit la lampe.
«Caderousse referma la porte; sa femme alluma une chandelle au brasier mourant.
« – Tenez, dit-elle au bijoutier, vous devez être fatigué; j’ai mis des draps blancs au lit, montez vous coucher et dormez bien.
«Joannès resta encore un instant pour s’assurer que l’ouragan ne se calmait point, et lorsqu’il eut acquis la certitude que le tonnerre et la pluie ne faisaient qu’aller en augmentant, il souhaita le bonjour à ses hôtes et monta l’escalier.
«Il passait au-dessus de ma tête, et j’entendais chaque marche craquer sous ses pas.
«La Carconte le suivit d’un œil avide, tandis qu’au contraire Caderousse lui tournait le dos et ne regardait pas même de son côté.
«Tous ces détails, qui sont revenus à mon esprit depuis ce temps-là, ne me frappèrent point au moment où ils se passaient sous ses yeux; il n’y avait, à tout prendre, rien que de naturel dans ce qui arrivait, et, à part l’histoire du diamant qui me paraissait un peu invraisemblable, tout allait de source. Aussi comme j’étais écrasé de fatigue, que je comptais profiter moi-même du premier répit que la tempête donnerait aux éléments, je résolus de dormir quelques heures et de m’éloigner au milieu de la nuit.
«J’entendais dans la pièce au-dessus le bijoutier, qui prenait de son côté toutes ses dispositions pour passer la meilleure nuit possible. Bientôt son lit craqua sous lui; il venait de se coucher.
«Je sentais mes yeux qui se fermaient malgré moi, et comme je n’avais conçu aucun soupçon, je ne tentai point de lutter contre le sommeil; je jetai un dernier regard sur l’intérieur de la cuisine. Caderousse était assis à côté d’une longue table, sur un de ces bancs de bois qui, dans les auberges de village, remplacent les chaises; il me tournait le dos, de sorte que je ne pouvais voir sa physionomie; d’ailleurs eût-il été dans la position contraire, la chose m’eût encore été impossible, attendu qu’il tenait sa tête ensevelie dans ses deux mains.
«La Carconte le regarda quelque temps, haussa les épaules et vint s’asseoir en face de lui.
«En ce moment la flamme mourante gagna un reste de bois sec oublié par elle; une lueur un peu plus vive éclaira le sombre intérieur… La Carconte tenait ses yeux fixés sur son mari, et comme celui-ci restait toujours dans la même position, je la vis étendre vers lui sa main crochue, et elle le toucha au front.
«Caderousse tressaillit. Il me sembla que la femme remuait les lèvres, mais, soit qu’elle parlât tout à fait bas, soit que mes sens fussent déjà engourdis par le sommeil, le bruit de sa parole n’arriva point jusqu’à moi. Je ne voyais même plus qu’à travers un brouillard et avec ce doute précurseur du sommeil pendant lequel on croit que l’on commence un rêve. Enfin mes yeux se fermèrent, et je perdis conscience de moi-même.
«J’étais au plus profond de mon sommeil, lorsque je fus réveillé par un coup de pistolet, suivi d’un cri terrible. Quelques pas chancelants retentirent sur le plancher de la chambre, et une masse inerte vint s’abattre dans l’escalier, juste au-dessus de ma tête.
«Je n’étais pas encore bien maître de moi. J’entendais des gémissements, puis des cris étouffés comme ceux qui accompagnent une lutte.
«Un dernier cri, plus prolongé que les autres et qui dégénéra en gémissements, vint me tirer complètement de ma léthargie.
«Je me soulevai sur un bras, j’ouvris les yeux, qui ne virent rien dans les ténèbres, et je portai la main à mon front, sur lequel il me semblait que dégouttait à travers les planches de l’escalier une pluie tiède et abondante.
«Le plus profond silence avait succédé à ce bruit affreux. J’entendis les pas d’un homme qui marchait au-dessus de ma tête, ses pas firent craquer l’escalier. L’homme descendit dans la salle inférieure, s’approcha de la cheminée et alluma une chandelle.
«Cet homme, c’était Caderousse; il avait le visage pâle, et sa chemise était tout ensanglantée.
«La chandelle allumée, il remonta rapidement l’escalier, et j’entendis de nouveau ses pas rapides et inquiets.
«Un instant après il redescendit. Il tenait à la main l’écrin; il s’assura que le diamant était bien dedans, chercha un instant dans laquelle de ses poches il le mettrait; puis, sans doute, ne considérant point sa poche comme une cachette assez sûre, il le roula dans son mouchoir rouge, qu’il tourna autour de son cou.
«Puis il courut à l’armoire, en tira ses billets et son or, mit les uns dans le gousset de son pantalon, l’autre dans la poche de sa veste, prit deux ou trois chemises, et, s’élançant vers la porte, il disparut dans l’obscurité. Alors tout devint clair et lucide pour moi; je me reprochai ce qui venait d’arriver, comme si j’eusse été le vrai coupable. Il me sembla entendre des gémissements: le malheureux bijoutier pouvait n’être pas mort; peut-être était-il en mon pouvoir, en lui portant secours, de réparer une partie du mal non pas que j’avais fait, mais que j’avais laissé faire. J’appuyai mes épaules contre une de ces planches mal jointes qui séparaient l’espèce de tambour dans lequel j’étais couché de la salle inférieure; les planches cédèrent, et je me trouvai dans la maison.
«Je courus à la chandelle, et je m’élançai dans l’escalier; un corps le barrait en travers, c’était le cadavre de la Carconte.
«Le coup de pistolet que j’avais entendu avait été tiré sur elle: elle avait la gorge traversée de part en part, et outre sa double blessure qui coulait à flots, elle vomissait le sang par la bouche. Elle était tout à fait morte. J’enjambai par-dessus son corps, et je passai.
«La chambre offrait l’aspect du plus affreux désordre. Deux ou trois meubles étaient renversés; les draps, auxquels le malheureux bijoutier s’était cramponné, traînaient par la chambre: lui-même était couché à terre, la tête appuyée contre le mur, nageant dans une mare de sang qui s’échappait de trois larges blessures reçues dans la poitrine.
«Dans la quatrième était resté un long couteau de cuisine, dont on ne voyait que le manche.
«Je marchai sur le second pistolet qui n’était point parti, la poudre étant probablement mouillée.
«Je m’approchai du bijoutier; il n’était pas mort effectivement: au bruit que je fis, à l’ébranlement du plancher surtout, il rouvrit des yeux hagards, parvint à les fixer un instant sur moi, remua les lèvres comme s’il voulait parler, et expira.
«Cet affreux spectacle m’avait rendu presque insensé; du moment où je ne pouvais plus porter de secours à personne je n’éprouvais plus qu’un besoin, celui de fuir. Je me précipitai dans l’escalier, en enfonçant mes mains dans mes cheveux et en poussant un rugissement de terreur.
«Dans la salle inférieure, il y avait cinq ou six douaniers et deux ou trois gendarmes, toute une troupe armée.
«On s’empara de moi; je n’essayai même pas de faire résistance, je n’étais plus le maître de mes sens. J’essayai de parler, je poussai quelques cris inarticulés, voilà tout.
«Je vis que les douaniers et les gendarmes me montraient du doigt; j’abaissai les yeux sur moi-même, j’étais tout couvert de sang. Cette pluie tiède que j’avais sentie tomber sur moi à travers les planches de l’escalier, c’était le sang de la Carconte.
«Je montrai du doigt l’endroit où j’étais caché.
« – Que veut-il dire? demanda un gendarme.
«Un douanier alla voir.
« – Il veut dire qu’il est passé par là, répondit-il.
«Et il montra le trou par lequel j’avais passé effectivement.
«Alors, je compris qu’on me prenait pour l’assassin. Je retrouvai la voix, je retrouvai la force; je me dégageai des mains des deux hommes qui me tenaient, en m’écriant: