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Danglars ne poussa qu’un cri, et tomba prosterné.

«Relevez-vous, dit le comte, vous avez la vie sauve; pareille fortune n’est pas arrivée à vos deux autres complices: l’un est fou, l’autre est mort! Gardez les cinquante mille francs qui vous restent, je vous en fais don; quant à vos cinq millions volés aux hospices, ils leur sont déjà restitués par une main inconnue.

«Et maintenant, mangez et buvez; ce soir je vous fais mon hôte.

«Vampa, quand cet homme sera rassasié, il sera libre.»

Danglars demeura prosterné tandis que le comte s’éloignait; lorsqu’il releva la tête, il ne vit plus qu’une espèce d’ombre qui disparaissait dans le corridor, et devant laquelle s’inclinaient les bandits.

Comme l’avait ordonné le comte, Danglars fut servi par Vampa, qui lui fit apporter le meilleur vin et les plus beaux fruits de l’Italie, et qui, l’ayant fait monter dans sa chaise de poste, l’abandonna sur la route, adossé à un arbre.

Il y resta jusqu’au jour, ignorant où il était.

Au jour il s’aperçut qu’il était près d’un ruisseau: il avait soif, il se traîna jusqu’à lui.

En se baissant pour y boire, il s’aperçut que ses cheveux étaient devenus blancs.

CXVII. Le 5 octobre

Il était six heures du soir à peu près, un jour couleur d’opale, dans lequel un beau soleil d’automne infiltrait ses rayons d’or, tombait du ciel sur la mer bleuâtre.

La chaleur du jour s’était éteinte graduellement, et l’on commençait à sentir cette légère brise qui semble la respiration de la nature se réveillant après la sieste brûlante du midi, souffle délicieux qui rafraîchit les côtes de la Méditerranée et qui porte de rivage en rivage le parfum des arbres, mêlé à l’âcre senteur de la mer.

Sur cet immense lac qui s’étend de Gibraltar aux Dardanelles et de Tunis à Venise, un léger yacht, pur et élégant de forme, glissait dans les premières vapeurs du soir. Son mouvement était celui du cygne qui ouvre ses ailes au vent et qui semble glisser sur l’eau. Il s’avançait, rapide et gracieux à la fois, et laissant derrière lui un sillon phosphorescent.

Peu à peu le soleil, dont nous avons salué les derniers rayons, avait disparu à l’horizon occidental; mais, comme pour donner raison aux rêves brillants de la mythologie, ses feux indiscrets, reparaissant au sommet de chaque vague, semblaient révéler que le dieu de flamme venait de se cacher au sein d’Amphitrite, qui essayait en vain de cacher son amant dans les plis de son manteau azuré.

Le yacht avançait rapidement, quoique en apparence il y eût à peine assez de vent pour faire flotter la chevelure bouclée d’une jeune fille.

Debout sur la proue, un homme de haute taille, au teint de bronze, à l’œil dilaté, voyait venir à lui la terre sous la forme d’une masse sombre disposée en cône, et sortant du milieu des flots comme un immense chapeau de Catalan.

«Est-ce là Monte-Cristo? demanda d’une voix grave et empreinte d’une profonde tristesse le voyageur aux ordres duquel le petit yacht semblait être momentanément soumis.

– Oui, Excellence, répondit le patron, nous arrivons.

– Nous arrivons!» murmura le voyageur avec un indéfinissable accent de mélancolie.

Puis il ajouta à voix basse:

«Oui, ce sera là le port.»

Et il se replongea dans sa pensée, qui se traduisait par un sourire plus triste que ne l’eussent été des larmes.

Quelques minutes après, on aperçut à terre la lueur d’une flamme qui s’éteignit aussitôt, et le bruit d’une arme à feu arriva jusqu’au yacht.

«Excellence, dit le patron, voici le signal de terre, voulez-vous y répondre vous-même?

– Quel signal?» demanda celui-ci.

Le patron étendit la main vers l’île aux flancs de laquelle montait, isolé et blanchâtre, un large flocon de fumée qui se déchirait en s’élargissant.

«Ah! oui, dit-il, comme sortant d’un rêve, donnez.»

Le patron lui tendit une carabine toute chargée, le voyageur la prit, la leva lentement et fit feu en l’air.

Dix minutes après on carguait les voiles, et l’on jetait l’ancre à cinq cents pas d’un petit port.

Le canot était déjà à la mer avec quatre rameurs et le pilote; le voyageur descendit, et au lieu de s’asseoir à la poupe, garnie pour lui d’un tapis bleu, se tint debout et les bras croisés.

Les rameurs attendaient, leurs avirons à demi levés, comme des oiseaux qui font sécher leurs ailes.

«Allez!» dit le voyageur.

Les huit rames retombèrent à la mer d’un seul coup et sans faire jaillir une goutte d’eau; puis la barque, cédant à l’impulsion, glissa rapidement.

En un instant on fut dans une petite anse formée par une échancrure naturelle, la barque toucha sur un fond de sable fin.

«Excellence, dit le pilote, montez sur les épaules de deux de nos hommes, ils vous porteront à terre.»

Le jeune homme répondit à cette invitation par un geste de complète indifférence, dégagea ses jambes de la barque et se laissa glisser dans l’eau qui lui monta jusqu’à la ceinture.

«Ah! Excellence, murmura le pilote, c’est mal ce que vous faites là, et vous nous ferez gronder par le maître.»

Le jeune homme continua d’avancer vers le rivage, suivant deux matelots qui choisissaient le meilleur fond.

Au bout d’une trentaine de pas on avait abordé; le jeune homme secouait ses pieds sur un terrain sec, et cherchait des yeux autour de lui le chemin probable qu’on allait lui indiquer, car il faisait tout à fait nuit.

Au moment où il tournait la tête, une main se posait sur son épaule, et une voix le fit tressaillir.

«Bonjour, Maximilien, disait cette voix, vous êtes exact, merci!

– C’est vous, comte, s’écria le jeune homme avec un mouvement qui ressemblait à de la joie, et en serrant de ses deux mains la main de Monte-Cristo.

– Oui, vous le voyez, aussi exact que vous; mais vous êtes ruisselant, mon cher ami: il faut vous changer, comme dirait Calypso à Télémaque. Venez donc, il y a par ici une habitation toute préparée pour vous, dans laquelle vous oublierez fatigues et froid.»

Monte-Cristo s’aperçut que Morrel se retournait; il attendit.

Le jeune homme, en effet, voyait avec surprise que pas un mot n’avait été prononcé par ceux qui l’avaient amené, qu’il ne les avait pas payés et que cependant ils étaient partis. On entendait même déjà le battement des avirons de la barque qui retournait vers le petit yacht.

«Ah! oui, dit le comte, vous cherchez vos matelots?

– Sans doute, je ne leur ai rien donné, et cependant ils sont partis.

– Ne vous occupez point de cela, Maximilien, dit en riant Monte-Cristo, j’ai un marché avec la marine pour que l’accès de mon île soit franc de tout droit de charroi et de voyage. Je suis abonné, comme on dit dans les pays civilisés.»

Morrel regarda le comte avec étonnement.

«Comte, lui dit-il, vous n’êtes plus le même qu’à Paris.

– Comment cela?

– Oui, ici, vous riez.»

Le front de Monte-Cristo s’assombrit tout à coup.

«Vous avez raison de me rappeler à moi-même, Maximilien, dit-il, vous revoir était un bonheur pour moi, et j’oubliais que tout bonheur est passager.

– Oh! non, non, comte! s’écria Morrel en saisissant de nouveau les deux mains de son ami; riez au contraire, soyez heureux, vous, et prouvez-moi par votre indifférence que la vie n’est mauvaise qu’à ceux qui souffrent. Oh! vous êtes charitable; vous êtes bon, vous êtes grand, mon ami, et c’est pour me donner du courage que vous affectez cette gaieté.

– Vous vous trompez, Morrel, dit Monte-Cristo, c’est qu’en effet j’étais heureux.

– Alors vous m’oubliez moi-même; tant mieux!

– Comment cela?

– Oui, car vous le savez, ami, comme disait le gladiateur entrant dans le cirque au sublime empereur, je vous dis à vous: «Celui qui va mourir te salue.»

– Vous n’êtes pas consolé? demanda Monte-Cristo avec un regard étrange.