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– Allons, comte, allons!

– À la mer?

– Oui.

– Vous acceptez?

– J’accepte.

– Eh bien, vicomte, il y aura ce soir dans ma cour un briska de voyage, dans lequel on peut s’étendre comme dans son lit; ce briska sera attelé de quatre chevaux de poste. Monsieur Beauchamp, on y tient quatre très facilement. Voulez-vous venir avec nous? je vous emmène!

– Merci, je viens de la mer.

– Comment! vous venez de la mer?

– Oui, ou à peu près. Je viens de faire un petit voyage aux îles Borromées.

– Qu’importe! venez toujours, dit Albert.

– Non, cher Morcerf, vous devez comprendre que du moment où je refuse, c’est que la chose est impossible. D’ailleurs, il est important, ajouta-t-il en baissant la voix, que je reste à Paris, ne fût-ce que pour surveiller la boîte du journal.

– Ah! vous êtes un bon et excellent ami, dit Albert; oui, vous avez raison, veillez, surveillez, Beauchamp, et tâchez de découvrir l’ennemi à qui cette révélation a dû le jour.»

Albert et Beauchamp se séparèrent: leur dernière poignée de main renfermait tous les sens que leurs lèvres ne pouvaient exprimer devant un étranger.

«Excellent garçon que Beauchamp! dit Monte-Cristo après le départ du journaliste; n’est-ce pas, Albert?

– Oh! oui, un homme de cœur, je vous en réponds; aussi je l’aime de toute mon âme. Mais, maintenant que nous voilà seuls, quoique la chose me soit à peu près égale, où allons-nous?

– En Normandie, si vous voulez bien.

– À merveille. Nous sommes tout à fait à la campagne, n’est-ce pas? point de société, point de voisins?

– Nous sommes tête à tête avec des chevaux pour courir, des chiens pour chasser, et une barque pour pêcher, voilà tout.

– C’est ce qu’il me faut; je préviens ma mère, et je suis à vos ordres.

– Mais, dit Monte-Cristo, vous permettra-t-on?

– Quoi?

– De venir en Normandie.

– À moi? est-ce que je ne suis pas libre?

– D’aller où vous voulez, seul, je le sais bien, puisque je vous ai rencontré échappé par l’Italie.

– Eh bien?

– Mais de venir avec l’homme qu’on appelle le comte de Monte-Cristo?

– Vous avez peu de mémoire, comte.

– Comment cela?

– Ne vous ai-je pas dit toute la sympathie que ma mère avait pour vous?

– Souvent femme varie, a dit François Ier ; la femme, c’est l’onde, a dit Shakespeare; l’un était un grand roi et l’autre un grand poète, et chacun d’eux devait connaître la femme.

– Oui, la femme; mais ma mère n’est point la femme, c’est une femme.

– Permettez-vous à un pauvre étranger de ne point comprendre parfaitement toutes les subtilités de votre langue?

– Je veux dire que ma mère est avare de ses sentiments, mais qu’une fois qu’elle les a accordés, c’est pour toujours.

– Ah! vraiment, dit en soupirant Monte-Cristo; et vous croyez qu’elle me fait l’honneur de m’accorder un sentiment autre que la plus parfaite indifférence?

– Écoutez! je vous l’ai déjà dit et je vous le répète, reprit Morcerf, il faut que vous soyez réellement un homme bien étrange et bien supérieur.

– Oh!

– Oui, car ma mère s’est laissée prendre, je ne dirai pas à la curiosité, mais à l’intérêt que vous inspirez. Quand nous sommes seuls, nous ne causons que de vous.

– Et elle vous a dit de vous méfier de ce Manfred?

– Au contraire, elle me dit: «Morcerf, je crois le comte une noble nature; tâche de te faire aimer de lui.»

Monte-Cristo détourna les yeux et poussa un soupir.

«Ah! vraiment? dit-il.

– De sorte, vous comprenez, continua Albert, qu’au lieu de s’opposer à mon voyage, elle l’approuvera de tout son cœur, puisqu’il rentre dans les recommandations qu’elle me fait chaque jour.

– Allez donc, dit Monte-Cristo; à ce soir. Soyez ici à cinq heures; nous arriverons là-bas à minuit ou une heure.

– Comment! au Tréport?…

– Au Tréport ou dans les environs.

– Il ne vous faut que huit heures pour faire quarante-huit lieues?

– C’est encore beaucoup, dit Monte-Cristo.

– Décidément vous êtes l’homme des prodiges, et vous arriverez non seulement à dépasser les chemins de fer, ce qui n’est pas bien difficile en France surtout, mais encore à aller plus vite que le télégraphe.

– En attendant, vicomte, comme il nous faut toujours sept ou huit heures pour arriver là-bas, soyez exact.

– Soyez tranquille, je n’ai rien autre chose à faire d’ici là que de m’apprêter.

– À cinq heures, alors?

– À cinq heures.»

Albert sortit. Monte-Cristo, après lui avoir en souriant fait un signe de la tête, demeura un instant pensif et comme absorbé dans une profonde méditation. Enfin, passant la main sur son front, comme pour écarter sa rêverie, il alla au timbre et frappa deux coups.

Au bruit des deux coups frappés par Monte-Cristo sur le timbre, Bertuccio entra.

«Maître Bertuccio, dit-il, ce n’est pas demain, ce n’est pas après-demain, comme je l’avais pensé d’abord, c’est ce soir que je pars pour la Normandie; d’ici à cinq heures, c’est plus de temps qu’il ne vous en faut; vous ferez prévenir les palefreniers du premier relais; M. de Morcerf m’accompagne. Allez!»

Bertuccio obéit, et un piqueur courut à Pontoise annoncer que la chaise de poste passerait à six heures précises. Le palefrenier de Pontoise envoya au relais suivant un exprès, qui en envoya un autre; et, six heures après, tous les relais disposés sur la route étaient prévenus.

Avant de partir, le comte monta chez Haydée, lui annonça son départ, lui dit le lieu où il allait, et mit toute sa maison à ses ordres.

Albert fut exact. Le voyage, sombre à son commencement, s’éclaircit bientôt par l’effet physique de la rapidité. Morcerf n’avait pas idée d’une pareille vitesse.

«En effet, dit Monte-Cristo, avec votre poste faisant ses deux lieues à l’heure, avec cette loi stupide qui défend à un voyageur de dépasser l’autre sans lui demander la permission, et qui fait qu’un voyageur malade ou quinteux a le droit d’enchaîner à sa suite les voyageurs allègres et bien portants, il n’y a pas de locomotion possible; moi, j’évite cet inconvénient en voyageant avec mon propre postillon et mes propres chevaux, n’est-ce pas, Ali?»