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«Toujours la Providence! murmura-t-iclass="underline" ah! c’est d’aujourd’hui seulement que je suis bien certain d’être l’envoyé de Dieu!»

LXCI. La mère et le fils.

Le comte de Monte-Cristo salua les cinq jeunes gens avec un sourire plein de mélancolie et de dignité, et remonta dans sa voiture avec Maximilien et Emmanuel.

Albert, Beauchamp et Château-Renaud restèrent seuls sur le champ de bataille.

Le jeune homme attacha sur ses deux témoins un regard qui, sans être timide, semblait pourtant leur demander leur avis sur ce qui venait de se passer.

«Ma foi! mon cher ami, dit Beauchamp le premier, soit qu’il eût plus de sensibilité, soit qu’il eût moins de dissimulation, permettez-moi de vous féliciter: voilà un dénouement bien inespéré à une bien désagréable affaire.»

Albert resta muet et concentré dans sa rêverie. Château-Renaud se contenta de battre sa botte avec sa canne flexible.

«Ne partons-nous pas? dit-il après ce silence embarrassant.

– Quand il vous plaira, répondit Beauchamp; laissez-moi seulement le temps de complimenter M. de Morcerf; il a fait preuve aujourd’hui d’une générosité si chevaleresque… si rare!

– Oh! oui, dit Château-Renaud.

– C’est magnifique, continua Beauchamp, de pouvoir conserver sur soi-même un empire aussi grand!

– Assurément: quant à moi, j’en eusse été incapable, dit Château-Renaud avec une froideur des plus significatives.

– Messieurs, interrompit Albert, je crois que vous n’avez pas compris qu’entre M. de Monte-Cristo et moi il s’est passé quelque chose de bien grave…

– Si fait, si fait, dit aussitôt Beauchamp, mais tous nos badauds ne seraient pas à portée de comprendre votre héroïsme, et, tôt ou tard, vous vous verriez forcé de le leur expliquer plus énergiquement qu’il ne convient à la santé de votre corps et à la durée de votre vie. Voulez-vous que je vous donne un conseil d’ami? Partez pour Naples, La Haye ou Saint-Pétersbourg, pays calmes, où l’on est plus intelligent du point d’honneur que chez nos cerveaux brûlés de Parisiens. Une fois là, faites pas mal de mouches au pistolet, et infiniment de contres de quarte et de contres de tierce; rendez-vous assez oublié pour revenir paisiblement en France dans quelques années, ou assez respectable, quant aux exercices académiques, pour conquérir votre tranquillité. N’est-ce pas, monsieur de Château-Renaud, que j’ai raison?

– C’est parfaitement mon avis, dit le gentilhomme. Rien n’appelle les duels sérieux comme un duel sans résultat.

– Merci, messieurs, répondit Albert avec un froid sourire; je suivrai votre conseil, non parce que vous me le donnez, mais parce que mon intention était de quitter la France. Je vous remercie également du service que vous m’avez rendu en me servant de témoins. Il est bien profondément gravé dans mon cœur, puisque, après les paroles que je viens d’entendre, je ne me souviens plus que de lui.»

Château-Renaud et Beauchamp se regardèrent. L’impression était la même sur tous deux, et l’accent avec lequel Morcerf venait de prononcer son remerciement était empreint d’une telle résolution, que la position fût devenue embarrassante pour tous si la conversation eût continué.

«Adieu, Albert», fit tout à coup Beauchamp en tendant négligemment la main au jeune homme, sans que celui-ci parût sortir de sa léthargie.

En effet, il ne répondit rien à l’offre de cette main.

«Adieu», dit à son tour Château-Renaud, gardant à la main gauche sa petite canne, et saluant de la main droite.

Les lèvres d’Albert murmurèrent à peine: «Adieu!» Son regard était plus explicite; il renfermait tout un poème de colères contenues, de fiers dédains, de généreuse indignation.

Lorsque ses deux témoins furent remontés en voiture, il garda quelque temps sa pose immobile et mélancolique; puis soudain, détachant son cheval du petit arbre autour duquel son domestique avait noué le bridon, il sauta légèrement en selle, et reprit au galop le chemin de Paris. Un quart d’heure après, il rentrait à l’hôtel de la rue du Helder.

En descendant de cheval, il lui sembla, derrière le rideau de la chambre à coucher du comte, apercevoir le visage pâle de son père; Albert détourna la tête avec un soupir et rentra dans son petit pavillon.

Arrivé là, il jeta un dernier regard sur toutes ces richesses qui lui avaient fait la vie si douce et si heureuse depuis son enfance; il regarda encore une fois ces tableaux, dont les figures semblaient lui sourire, et dont les paysages parurent s’animer de vivantes couleurs.

Puis il enleva de son châssis de chêne le portrait de sa mère, qu’il roula, laissant vide et noir le cadre d’or qui l’entourait.

Puis il mit en ordre ses belles armes turques, ses beaux fusils anglais, ses porcelaines japonaises, ses coupes montées, ses bronzes artistiques, signés Feuchères ou Barye, visita les armoires et plaça les clefs à chacune d’elles; jeta dans un tiroir de son secrétaire qu’il laissa ouvert, tout l’argent de poche qu’il avait sur lui, y joignit les mille bijoux de fantaisie qui peuplaient ses coupes, ses écrins, ses étagères; fit un inventaire exact et précis de tout, et plaça cet inventaire à l’endroit le plus apparent d’une table, après avoir débarrassé cette table des livres et des papiers qui l’encombraient.

Au commencement de ce travail, son domestique malgré l’ordre que lui avait donné Albert de le laisser seul, était entré dans sa chambre.

«Que voulez-vous? lui demanda Morcerf d’un accent plus triste que courroucé.

– Pardon, monsieur, dit le valet de chambre, monsieur m’avait bien défendu de le déranger, c’est vrai mais M. le comte de Morcerf m’a fait appeler.

– Eh bien? demanda Albert.

– Je n’ai pas voulu me rendre chez M. le comte sans prendre les ordres de monsieur.

– Pourquoi cela?

– Parce que M. le comte sait sans doute que j’ai accompagné monsieur sur le terrain.

– C’est probable, dit Albert.

– Et s’il me fait demander, c’est sans doute pour m’interroger sur ce qui s’est passé là-bas. Que dois-je répondre?

– La vérité.

– Alors je dirai que la rencontre n’a pas eu lieu!

– Vous direz que j’ai fait des excuses à M. le comte de Monte-Cristo, allez.»

Le valet s’inclina et sortit.

Albert s’était alors remis à son inventaire.

Comme il terminait ce travail, le bruit de chevaux piétinant dans la cour et des roues d’une voiture ébranlant les vitres attira son attention, il s’approcha de la fenêtre, et vit son père monter dans sa calèche et partir.