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«Oh! c’est très bien! en vérité, c’est très bien, dit Louise en la regardant avec admiration; mais ces beaux cheveux noirs, ces nattes magnifiques qui faisaient soupirer d’envie toutes les femmes, tiendront-ils sous un chapeau d’homme comme celui que j’aperçois là?

– Tu vas voir», dit Eugénie.

Et saisissant avec sa main gauche la tresse épaisse sur laquelle ses longs doigts ne se refermaient qu’à peine, elle saisit de sa main droite une paire de longs ciseaux, et bientôt l’acier cria au milieu de la riche et splendide chevelure, qui tomba tout entière aux pieds de la jeune fille, renversée en arrière pour l’isoler de sa redingote.

Puis, la natte supérieure abattue, Eugénie passa à celles de ses tempes, qu’elle abattit successivement, sans laisser échapper le moindre regret: au contraire, ses yeux brillèrent, plus pétillants et plus joyeux encore que de coutume, sous ses sourcils noirs comme l’ébène.

«Oh! les magnifiques cheveux! dit Louise avec regret.

– Eh! ne suis-je pas cent fois mieux ainsi? s’écria Eugénie en lissant les boucles éparses de sa coiffure devenue toute masculine, et ne me trouves-tu donc pas plus belle ainsi?

– Oh! tu es belle, belle toujours! s’écria Louise. Maintenant, où allons-nous?

– Mais, à Bruxelles, si tu veux; c’est la frontière la plus proche. Nous gagnerons Bruxelles, Liège, Aix-la-Chapelle; nous remonterons le Rhin jusqu’à Strasbourg, nous traverserons la Suisse et nous descendrons en Italie par le Saint-Gothard. Cela te va-t-il?

– Mais, oui.

– Que regardes-tu?

– Je te regarde. En vérité, tu es adorable ainsi; on dirait que tu m’enlèves.

– Eh pardieu! on aurait raison.

– Oh! je crois que tu as juré, Eugénie?»

Et les deux jeunes filles, que chacun eût pu croire plongées dans les larmes, l’une pour son propre compte, l’autre par dévouement à son amie, éclatèrent de rire, tout en faisant disparaître les traces les plus visibles du désordre qui naturellement avait accompagné les apprêts de leur évasion.

Puis, ayant soufflé leurs lumières, l’œil interrogateur, l’oreille au guet, le cou tendu, les deux fugitives ouvrirent la porte d’un cabinet de toilette qui donnait sur un escalier de service descendant jusqu’à la cour, Eugénie marchant la première, et soutenant d’un bras la valise que, par l’anse opposée, Mlle d’Armilly soulevait à peine de ses deux mains.

La cour était vide. Minuit sonnait.

Le concierge veillait encore.

Eugénie s’approcha tout doucement et vit le digne suisse qui dormait au fond de sa loge, étendu dans son fauteuil.

Elle retourna vers Louise, reprit la malle qu’elle avait un instant posée à terre, et toutes deux, suivant l’ombre projetée par la muraille, gagnèrent la voûte.

Eugénie fit cacher Louise dans l’angle de la porte, de manière que le concierge, s’il lui plaisait par hasard de se réveiller, ne vît qu’une personne.

Puis, s’offrant elle-même au plein rayonnement de la lampe qui éclairait la cour:

«La porte!» cria-t-elle de sa plus belle voix de contralto, en frappant à la vitre.

Le concierge se leva comme l’avait prévu Eugénie, et fit même quelques pas pour reconnaître la personne qui sortait; mais voyant un jeune homme qui fouettait impatiemment son pantalon de sa badine, il ouvrit sur-le-champ.

Aussitôt Louise se glissa comme une couleuvre par la porte entrebâillée, et bondit légèrement dehors. Eugénie, calme en apparence, quoique, selon toute probabilité, son cœur comptât plus de pulsations que dans l’état habituel, sortit à son tour.

Un commissionnaire passait, on le chargea de la malle, puis les deux jeunes filles lui ayant indiqué comme le but de leur course la rue de la Victoire et le numéro 36 de cette rue, elles marchèrent derrière cet homme, dont la présence rassurait Louise; quant à Eugénie, elle était forte comme une Judith ou une Dalila.

On arriva au numéro indiqué. Eugénie ordonna au commissionnaire de déposer la malle, lui donna quelques pièces de monnaie, et, après avoir frappé au volet, le renvoya.

Ce volet auquel avait frappé Eugénie était celui d’une petite lingère prévenue à l’avance: elle n’était point encore couchée, elle ouvrit.

«Mademoiselle, dit Eugénie, faites tirer par le concierge la calèche de la remise, et envoyez-le chercher des chevaux à l’hôtel des Postes. Voici cinq francs pour la peine que nous lui donnons.

– En vérité, dit Louise, je t’admire, et je dirai presque que je te respecte.»

La lingère regardait avec étonnement; mais comme il était convenu qu’il y aurait vingt louis pour elle, elle ne fit pas la moindre observation.

Un quart d’heure après, le concierge revenait ramenant le postillon et les chevaux, qui, en un tour de main, furent attelés à la voiture, sur laquelle le concierge assura la malle à l’aide d’une corde et d’un tourniquet.

«Voici le passeport, dit le postillon; quelle route prenons-nous, notre jeune bourgeois?

– La route de Fontainebleau, répondit Eugénie avec une voix presque masculine.

– Eh bien, que dis-tu donc? demanda Louise.

– Je donne le change, dit Eugénie; cette femme à qui nous donnons vingt louis peut nous trahir pour quarante: sur le boulevard nous prendrons une autre direction.»

Et la jeune fille s’élança dans le briska établi en excellente dormeuse, sans presque toucher le marchepied.

«Tu as toujours raison, Eugénie», dit la maîtresse de chant en prenant place près de son amie.

Un quart d’heure après, le postillon, remis dans le droit chemin, franchissait, en faisant claquer son fouet, la grille de la barrière Saint-Martin.

«Ah! dit Louise en respirant, nous voilà donc sorties de Paris!

– Oui, ma chère, et le rapt est bel et bien consommé, répondit Eugénie.

– Oui, mais sans violence, dit Louise.

– Je ferai valoir cela comme circonstance atténuante», répondit Eugénie.

Ces paroles se perdirent dans le bruit que faisait la voiture en roulant sur le pavé de la Villette.

M. Danglars n’avait plus sa fille.

LXCVIII. L’auberge de la Cloche et de la Bouteille.

Et maintenant, laissons Mlle Danglars et son amie rouler sur la route de Bruxelles, et revenons au pauvre Andrea Cavalcanti, si malencontreusement arrêté dans l’essor de sa fortune.