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– Ah! fit le receveur.

– Écoutez, cela s’est vu, et dans ce cas on fait un sacrifice.

– Dieu merci! non, dit M. de Boville.

– Alors, à demain; mais sans faute?

– Ah çà! mais, vous riez! Envoyez à midi, et la Banque sera prévenue.

– Je viendrai moi-même.

– Mieux encore, puisque cela me procurera le plaisir de vous voir.»

Ils se serrèrent la main.

«À propos, dit M. de Boville, n’allez-vous donc point à l’enterrement de cette pauvre Mlle de Villefort, que j’ai rencontré sur le boulevard?

– Non, dit le banquier, je suis encore un peu ridicule depuis l’affaire de Benedetto, et je fais un plongeon.

– Bah! vous avez tort; est-ce qu’il y a de votre faute dans tout cela?

– Écoutez, mon cher receveur, quand on porte un nom sans tache comme le mien, on est susceptible.

– Tout le monde vous plaint, soyez-en persuadé, et, surtout, tout le monde plaint mademoiselle votre fille.

– Pauvre Eugénie! fit Danglars avec un profond soupir. Vous savez qu’elle entre en religion, monsieur?

– Non.

– Hélas! ce n’est que malheureusement trop vrai. Le lendemain de l’événement, elle s’est décidée à partir avec une religieuse de ses amies; elle va chercher un couvent bien sévère en Italie ou en Espagne.

– Oh! c’est terrible!»

Et M. de Boville se retira sur cette exclamation en faisant au père mille compliments de condoléance. Mais il ne fut pas plus tôt dehors, que Danglars, avec une énergie de geste que comprendront ceux-là seulement qui ont vu représenter Robert Macaire, par Frédérick, s’écria:

«Imbécile!»

Et serrant la quittance de Monte-Cristo dans un petit portefeuille:

«Viens à midi, ajouta-t-il, à midi, je serai loin.»

Puis il s’enferma à double tour, vida tous les tiroirs de sa caisse, réunit une cinquantaine de mille francs en billets de banque, brûla différents papiers, en mit d’autres en évidence, et commença d’écrire une lettre qu’il cacheta, et sur laquelle il mit pour suscription:

«À madame la baronne Danglars.»

«Ce soir, murmura-t-il, je la placerai moi-même sur sa toilette.»

Puis, tirant un passeport de son tiroir.

«Bon, dit-il, il est encore valable pour deux mois.»

CV. Le cimetière du Père-Lachaise.

M. de Boville avait, en effet, rencontré le convoi funèbre qui conduisait Valentine à sa dernière demeure.

Le temps était sombre et nuageux; un vent tiède encore, mais déjà mortel pour les feuilles jaunies, les arrachait aux branches peu à peu dépouillées et les faisait tourbillonner sur la foule immense qui encombrait les boulevards.

M. de Villefort, parisien pur, regardait le cimetière du Père-Lachaise comme le seul digne de recevoir la dépouille mortelle d’une famille parisienne; les autres lui paraissaient des cimetières de campagne, des hôtels garnis de la mort. Au Père-Lachaise seulement un trépassé de bonne compagnie pouvait être logé chez lui.

Il avait acheté là, comme nous l’avons vu, la concession à perpétuité sur laquelle s’élevait le monument peuplé si promptement par tous les membres de sa première famille.

On lisait sur le fronton du mausolée: FAMILLE SAINT-MÉRAN ET VILLEFORT; car tel avait été le dernier vœu de la pauvre Renée, mère de Valentine.

C’était donc vers le Père-Lachaise que s’acheminait le pompeux cortège parti du faubourg Saint-Honoré. On traversa tout Paris, on prit le faubourg du Temple, puis les boulevards extérieurs jusqu’au cimetière. Plus de cinquante voitures de maîtres suivaient vingt voitures de deuil, et, derrière ces cinquante voitures, plus de cinq cents personnes encore marchaient à pied.

C’étaient presque tous des jeunes gens que la mort de Valentine avait frappés d’un coup de foudre, et qui, malgré la vapeur glaciale du siècle et le prosaïsme de l’époque, subissaient l’influence poétique de cette belle, de cette chaste, de cette adorable jeune fille enlevée en sa fleur.

À la sortie de Paris, on vit arriver un rapide attelage de quatre chevaux qui s’arrêtèrent soudain en raidissant leurs jarrets nerveux comme des ressorts d’acier: c’était M. de Monte-Cristo.

Le comte descendit de sa calèche, et vint se mêler à la foule qui suivait à pied le char funéraire.

Château-Renaud l’aperçut; il descendit aussitôt de son coupé et vint se joindre à lui. Beauchamp quitta de même le cabriolet de remise dans lequel il se trouvait.

Le comte regardait attentivement par tous les interstices que laissait la foule; il cherchait visiblement quelqu’un. Enfin, il n’y tint pas.

«Où est Morrel? demanda-t-il. Quelqu’un de vous, messieurs, sait-il où il est?

– Nous nous sommes déjà fait cette question à la maison mortuaire, dit Château-Renaud; car personne de nous ne l’a aperçu.»

Le comte se tut, mais continua à regarder autour de lui.

Enfin on arriva au cimetière. L’œil perçant de Monte-Cristo sonda tout d’un coup les bosquets d’ifs et de pins, et bientôt il perdit toute inquiétude: une ombre avait glissé sous les noires charmilles, et Monte-Cristo venait sans doute de reconnaître ce qu’il cherchait.

On sait ce que c’est qu’un enterrement dans cette magnifique nécropole: des groupes noirs disséminés dans les blanches allées, le silence du ciel et de la terre, troublé par l’éclat de quelques branches rompues, de quelque haie enfoncée autour d’une tombe puis le chant mélancolique des prêtres auquel se mêle çà et là un sanglot échappé d’une touffe de fleurs, sous laquelle on voit quelque femme, abîmée et les mains jointes.

L’ombre qu’avait remarquée Monte-Cristo traversa rapidement le quinconce jeté derrière la tombe d’Héloïse et d’Abélard, vint se placer, avec les valets de la mort, à la tête des chevaux qui traînaient le corps, et du même pas parvint à l’endroit choisi pour la sépulture.

Chacun regardait quelque chose.

Monte-Cristo ne regardait que cette ombre à peine remarquée de ceux qui l’avoisinaient.

Deux fois le comte sortit des rangs pour voir si les mains de cet homme ne cherchaient pas quelque arme cachée sous ses habits.

Cette ombre, quand le cortège s’arrêta, fut reconnue pour être Morrel, qui, avec sa redingote noire boutonnée jusqu’en haut, son front livide, ses joues creusées, son chapeau froissé par ses mains convulsives, s’était adossé à un arbre situé sur un tertre dominant le mausolée, de manière à ne perdre aucun des détails de la funèbre cérémonie qui allait s’accomplir.