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«Dans un mois, continua Monte-Cristo, tu auras, sur la table devant laquelle nous serons assis l’un et l’autre, de bonnes armes et une douce mort; mais, en revanche, tu me promets d’attendre jusque-là et de vivre?

– Oh! à mon tour, s’écria Morrel, je vous le jure!»

Monte-Cristo attira le jeune homme sur son cœur, et l’y retint longtemps.

«Et maintenant, lui dit-il, à partir d’aujourd’hui, tu vas venir demeurer chez moi; tu prendras l’appartement d’Haydée, et ma fille au moins sera remplacée par mon fils.

– Haydée! dit Morrel; qu’est devenue Haydée?

– Elle est partie cette nuit.

– Pour vous quitter?

– Pour m’attendre…

«Tiens-toi donc prêt à venir me rejoindre rue des Champs-Élysées, et fais-moi sortir d’ici sans qu’on me voie.»

Maximilien baissa la tête, et obéit comme un enfant ou comme un apôtre.

CVI. Le partage.

Dans cet hôtel de la rue Saint-Germain-des-Prés qu’avait choisi pour sa mère et pour lui Albert de Morcerf, le premier étage, composé d’un petit appartement complet, était loué à un personnage fort mystérieux.

Ce personnage était un homme dont jamais le concierge lui-même n’avait pu voir la figure, soit qu’il entrât ou qu’il sortît; car l’hiver il s’enfonçait le menton dans une de ces cravates rouges comme en ont les cochers de bonne maison qui attendent leurs maîtres à la sortie des spectacles, et l’été il se mouchait toujours précisément au moment où il eût pu être aperçu en passant devant la loge. Il faut dire que, contrairement à tous les usages reçus, cet habitant de l’hôtel n’était épié par personne, et que le bruit qui courait que son incognito cachait un individu très haut placé, et ayant le bras long, avait fait respecter ses mystérieuses apparitions.

Ses visites étaient ordinairement fixes, quoique parfois elles fussent avancées ou retardées; mais presque toujours, hiver ou été, c’était vers quatre heures qu’il prenait possession de son appartement, dans lequel il ne passait jamais la nuit.

À trois heures et demie, l’hiver, le feu était allumé par la servante discrète qui avait l’intendance du petit appartement; à trois heures et demie, l’été, des glaces étaient montées par la même servante.

À quatre heures, comme nous l’avons dit, le personnage mystérieux arrivait.

Vingt minutes après lui, une voiture s’arrêtait devant l’hôtel; une femme vêtue de noir ou de bleu foncé, mais toujours enveloppée d’un grand voile, en descendait, passait comme une ombre devant la loge, montait l’escalier sans que l’on entendît craquer une seule marche sous son pied léger.

Jamais il ne lui était arrivé qu’on lui demandât où elle allait.

Son visage, comme celui de l’inconnu, était donc parfaitement étranger aux deux gardiens de la porte, ces concierges modèles, les seuls peut-être, dans l’immense confrérie des portiers de la capitale capables d’une pareille discrétion.

Il va sans dire qu’elle ne montait pas plus haut que le premier. Elle grattait à une porte d’une façon particulière; la porte s’ouvrait, puis se refermait hermétiquement, et tout était dit.

Pour quitter l’hôtel, même manœuvre que pour y entrer.

L’inconnue sortait la première, toujours voilée, et remontait dans sa voiture, qui tantôt disparaissait par un bout de la rue, tantôt par l’autre; puis, vingt minutes après, l’inconnu sortait à son tour, enfoncé dans sa cravate ou caché par son mouchoir, et disparaissait également.

Le lendemain du jour où le comte de Monte-Cristo avait été rendre visite à Danglars, jour de l’enterrement de Valentine, l’habitant mystérieux entra vers dix heures du matin, au lieu d’entrer comme d’habitude, vers quatre heures de l’après-midi.

Presque aussitôt, et sans garder l’intervalle ordinaire, une voiture de place arriva, et la dame voilée monta rapidement l’escalier.

La porte s’ouvrit et se referma.

Mais, avant même que la porte fût refermée, la dame s’était écriée:

«Ô Lucien! ô mon ami!»

De sorte que le concierge, qui, sans le vouloir, avait entendu cette exclamation, sut alors pour la première fois que son locataire s’appelait Lucien; mais comme c’était un portier modèle, il se promit de ne pas même le dire à sa femme.

«Eh bien, qu’y a-t-il, chère amie? demanda celui dont le trouble ou l’empressement de la dame voilée avait révélé le nom; parlez, dites.

– Mon ami, puis-je compter sur vous?

– Certainement, et vous le savez bien.

«Mais qu’y a-t-il?

«Votre billet de ce matin m’a jeté dans une perplexité terrible.

«Cette précipitation, ce désordre dans votre écriture; voyons, rassurez-moi ou effrayez-moi tout à fait!

– Lucien, un grand événement! dit la dame en attachant sur Lucien un regard interrogateur: M. Danglars est parti cette nuit.

– Parti! M. Danglars parti!

«Et où est-il allé?

– Je l’ignore.

– Comment! vous l’ignorez? Il est donc parti pour ne plus revenir?

– Sans doute!

«À dix heures du soir, ses chevaux l’ont conduit à la barrière de Charenton; là, il a trouvé une berline de poste tout attelée; il est monté dedans avec son valet de chambre, en disant à son cocher qu’il allait à Fontainebleau.

– Eh bien, que disiez-vous donc?

– Attendez, mon ami. Il m’avait laissé une lettre.

– Une lettre?

– Oui; lisez.»

Et la baronne tira de sa poche une lettre décachetée qu’elle présenta à Debray.

Debray, avant de la lire, hésita un instant, comme s’il eût cherché à deviner ce qu’elle contenait, ou plutôt comme si, quelque chose qu’elle contînt, il était décidé à prendre d’avance un parti.

Au bout de quelques secondes ses idées étaient sans doute arrêtées, car il lut.

Voici ce que contenait ce billet qui avait jeté un si grand trouble dans le cœur de Mme Danglars:

«Madame et très fidèle épouse.»

Sans y songer, Debray s’arrêta et regarda la baronne, qui rougit jusqu’aux yeux.

«Lisez», dit-elle.

Debray continua:

«Quand vous recevrez cette lettre vous n’aurez plus de mari! Oh! ne prenez pas trop chaudement l’alarme, vous n’aurez plus de mari comme vous n’aurez plus de fille, c’est-à-dire que je serai sur une des trente ou quarante routes qui conduisent hors de France.

«Je vous dois des explications, et comme vous êtes femme à les comprendre parfaitement, je vous les donnerai.