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« – C’est juste.

« – Mais sois tranquille, reprit Cucumetto en riant, un peu plus tôt, un peu plus tard, ton tour viendra.

«Les dents de Carlini se serraient à se briser.

« – Allons, dit Cucumetto en faisant un pas vers les convives, viens-tu?

« – Je vous suis…

«Cucumetto s’éloigna sans perdre de vue Carlini, car sans doute il craignait qu’il ne le frappât par derrière. Mais rien dans le bandit ne dénonçait une intention hostile.

«Il était debout, les bras croisés, près de Rita toujours évanouie.

«Un instant, l’idée de Cucumetto fut que le jeune homme allait la prendre dans ses bras et fuir avec elle. Mais peu lui importait maintenant, il avait eu de Rita ce qu’il voulait; et quant à l’argent, trois cents piastres réparties à la troupe faisaient une si pauvre somme qu’il s’en souciait médiocrement.

«Il continua donc sa route vers la clairière; mais, à son grand étonnement, Carlini y arriva presque aussitôt que lui.

« – Le tirage au sort! le tirage au sort! crièrent tous les bandits en apercevant le chef.

«Et les yeux de tous ces hommes brillèrent d’ivresse et de lascivité, tandis que la flamme du foyer jetait sur toute leur personne une lueur rougeâtre qui les faisait ressembler à des démons.

«Ce qu’ils demandaient était juste; aussi le chef fit-il de la tête un signe annonçant qu’il acquiesçait à leur demande. On mit tous les noms dans un chapeau, celui de Carlini comme ceux des autres, et le plus jeune de la bande tira de l’urne improvisée un bulletin.

«Ce bulletin portait le nom de Diavolaccio.

«C’était celui-là même qui avait proposé à Carlini la santé du chef, et à qui Carlini avait répondu en lui brisant le verre sur la figure.

«Une large blessure ouverte de la tempe à la bouche, laissait couler le sang à flots.

«Diavolaccio, se voyant ainsi favorisé de la fortune, poussa un éclat de rire.

« – Capitaine, dit-il, tout à l’heure Carlini n’a pas voulu boire à votre santé, proposez-lui de boire à la mienne; il aura peut-être plus de condescendance pour vous que pour moi.»

«Chacun s’attendait à une explosion de la part de Carlini; mais au grand étonnement de tous, il prit un verre d’une main, un fiasco de l’autre, puis, remplissant le verre:

« – À ta santé, Diavolaccio, dit-il d’une voix parfaitement calme.

«Et il avala le contenu du verre sans que sa main tremblât. Puis, s’asseyant près du feu:

« – Ma part de souper! dit-il; la course que je viens de faire m’a donné de l’appétit.

« – Vive Carlini! s’écrièrent les brigands.

« – À la bonne heure, voilà ce qui s’appelle prendre la chose en bon compagnon.

«Et tous reformèrent le cercle autour du foyer, tandis que Diavolaccio s’éloignait.

«Carlini mangeait et buvait, comme si rien ne s’était passé.

«Les bandits le regardaient avec étonnement, ne comprenant rien à cette impassibilité, lorsqu’ils entendirent derrière eux retentir sur le sol un pas alourdi.

«Ils se retournèrent et aperçurent Diavolaccio tenant la jeune fille entre ses bras.

«Elle avait la tête renversée, et ses longs cheveux pendaient jusqu’à terre.

«À mesure qu’ils entraient dans le cercle de la lumière projetée par le foyer, on s’apercevait de la pâleur de la jeune fille et de la pâleur du bandit.

«Cette apparition avait quelque chose de si étrange et de si solennel, que chacun se leva, excepté Carlini, qui resta assis et continua de boire et de manger, comme si rien ne se passait autour de lui.

«Diavolaccio continuait de s’avancer au milieu du plus profond silence, et déposa Rita aux pieds du capitaine.

«Alors tout le monde put reconnaître la cause de cette pâleur de la jeune fille et de cette pâleur du bandit: Rita avait un couteau enfoncé jusqu’au manche au-dessous de la mamelle gauche.

«Tous les yeux se portèrent sur Carlini: la gaine était vide à sa ceinture.

« – Ah! ah! dit le chef, je comprends maintenant pourquoi Carlini était resté en arrière.

«Toute nature sauvage est apte à apprécier une action forte; quoique peut-être aucun des bandits n’eût fait ce que venait de faire Carlini, tous comprirent ce qu’il avait fait.

« – Eh bien, dit Carlini en se levant à son tour et en s’approchant du cadavre, la main sur la crosse d’un de ses pistolets, y a-t-il encore quelqu’un qui me dispute cette femme?

« – Non, dit le chef, elle est à toi!»

«Alors Carlini la prit à son tour dans ses bras, et l’emporta hors du cercle de lumière que projetait la flamme du foyer.

«Cucumetto disposa les sentinelles comme d’habitude, et les bandits se couchèrent, enveloppés dans leurs manteaux, autour du foyer.

«À minuit, la sentinelle donna l’éveil, et en un instant le chef et ses compagnons furent sur pied.

«C’était le père de Rita, qui arrivait lui-même, portant la rançon de sa fille.

« – Tiens, dit-il à Cucumetto en lui tendant un sac d’argent, voici trois cents pistoles, rends-moi mon enfant.

«Mais le chef, sans prendre l’argent, lui fit signe de le suivre. Le vieillard obéit; tous deux s’éloignèrent sous les arbres, à travers les branches desquels filtraient les rayons de la lune. Enfin Cucumetto s’arrêta étendant la main et montrant au vieillard deux personnes groupées au pied d’un arbre:

« – Tiens, lui dit-il, demande ta fille à Carlini, c’est lui qui t’en rendra compte.

«Et il s’en retourna vers ses compagnons.

«Le vieillard resta immobile et les yeux fixes. Il sentait que quelque malheur inconnu, immense, inouï, planait sur sa tête.

«Enfin, il fit quelques pas vers le groupe informe dont il ne pouvait se rendre compte.

«Au bruit qu’il faisait en s’avançant vers lui, Carlini releva la tête, et les formes des deux personnages commencèrent à apparaître plus distinctes aux yeux du vieillard.

«Une femme était couchée à terre, la tête posée sur les genoux d’un homme assis et qui se tenait penché vers elle; c’était en se relevant que cet homme avait découvert le visage de la femme qu’il tenait serrée contre sa poitrine.

«Le vieillard reconnut sa fille, et Carlini reconnut le vieillard.

« – Je t’attendais, dit le bandit au père de Rita.

« – Misérable! dit le vieillard, qu’as-tu fait?

«Et il regardait avec terreur Rita, pâle, immobile, ensanglantée, avec un couteau dans la poitrine.

«Un rayon de la lune frappait sur elle et l’éclairait de sa lueur blafarde.

« – Cucumetto avait violé ta fille, dit le bandit, et, comme je l’aimais, je l’ai tuée; car, après lui, elle allait servir de jouet à toute la bande.

«Le vieillard ne prononça point une parole, seulement il devint pâle comme un spectre.

« – Maintenant, dit Carlini, si j’ai eu tort, venge-la.

«Et il arracha le couteau du sein de la jeune fille et, se levant, il l’alla offrir d’une main au vieillard tandis que de l’autre il écartait sa veste et lui présentait sa poitrine nue.

« – Tu as bien fait, lui dit le vieillard d’une voix sourde. Embrasse-moi, mon fils.

«Carlini se jeta en sanglotant dans les bras du père de sa maîtresse. C’étaient les premières larmes que versait cet homme de sang.

« – Maintenant, dit le vieillard à Carlini, aide-moi à enterrer ma fille.

«Carlini alla chercher deux pioches, et le père et l’amant se mirent à creuser la terre au pied d’un chêne dont les branches touffues devaient recouvrir la tombe de la jeune fille.

«Quand la tombe fut creusée, le père l’embrassa le premier, l’amant ensuite; puis, l’un la prenant par les pieds, l’autre par-dessous les épaules, ils la descendirent dans la fosse.

«Puis ils s’agenouillèrent des deux côtés et dirent les prières des morts.

«Puis, lorsqu’ils eurent fini, ils repoussèrent la terre sur le cadavre jusqu’à ce que la fosse fût comblée.

«Alors, lui tendant la main: