Выбрать главу

Tous – les Liges, les Aes Sedai, le Seigneur de Fal Dara et son Shambayan – restaient immobiles comme des pierres. La foule des spectateurs semblait retenir son souffle. Malgré lui, Rand ralentit le pas.

Soudain, Ronan frappa par trois fois de son bâton les larges dalles du sol, proclamant dans le silence : « Qui vient ici ? Qui vient ici ? Qui vient ici ? »

Par trois fois en retour, la femme debout près de la litière donna un coup sec par terre avec sa crosse. « La Gardienne des Sceaux. La Flamme de Tar Valon. Le Trône d’Amyrlin.

— Pourquoi devrions-nous monter la garde ? questionna Ronan d’une voix ferme.

— Pour l’espoir de l’humanité, répliqua la grande femme.

— Contre quoi nous gardons-nous ?

— L’Ombre à midi.

— Combien de temps veillerons-nous ?

— D’un lever de soleil à l’autre, aussi longtemps que tournera la Roue du Temps. »

Agelmar s’inclina, son chignon blanc ondulant dans la brise. « Fal Dara offre le pain, le sel et son bon accueil. Bienvenue au Trône d’Amyrlin à Fal Dara, car ici la garde est montée, ici le Pacte est respecté. Bienvenue. »

La grande femme tira de côté le rideau de la litière et l’Amyrlin en sortit. Les cheveux noirs, sans âge comme l’étaient toutes les Aes Sedai, elle parcourut des yeux l’assemblée des assistants en se redressant. Rand tiqua quand son regard croisa le sien ; il eut l’impression d’avoir été touché. Mais les yeux de l’Amyrlin continuèrent leur revue et allèrent se poser sur le Seigneur Agelmar. Un serviteur en livrée s’agenouilla près d’elle avec des serviettes pliées, d’où s’échappait encore de la vapeur, sur un plateau d’argent. D’un geste cérémonieux, elle s’essuya les mains et se tamponna le visage avec l’étoffe humide. « J’offre mes remerciements pour votre accueil, mon fils. Que la lumière illumine la Maison de Jagad. Que la Lumière illumine Fal Dara et toute sa population. »

Agelmar s’inclina de nouveau. « Vous nous honorez, Mère. » Cela ne paraissait pas bizarre qu’elle l’appelle fils ni que lui l’appelle Mère, bien qu’à comparer ses joues lisses au visage anguleux d’Agelmar il semblait être plutôt son père, ou même son grand-père. Elle avait une présence qui surpassait même la sienne. « La Maison de Jagad est à vous. Fal Dara est à vous. »

Des acclamations retentirent de tous côtés, se répercutant contre les murs de la forteresse comme des vagues déferlantes.

Secoué de frissons, Rand se précipita vers la porte ouvrant sur la sécurité, sans se soucier cette fois de qui il bousculait. Ce n’est que ta sacrée imagination. Elle ne sait même pas qui tu es. Pas encore. Sang et cendres, si jamais… » Il ne voulait pas penser à ce qui risquait de se produire si elle apprenait qui il était, ce qu’il était. À ce qui arriverait quand elle finirait par le découvrir. Il se demanda si elle était pour quelque chose dans le vent au sommet de la tour ; les Aes Sedai avaient le pouvoir de réaliser ce genre de choses. Quand il s’engouffra par la porte et la rabattit derrière lui, amortissant les clameurs de bienvenue qui faisaient encore vibrer la cour, il poussa un profond soupir de soulagement.

Les couloirs ici étaient aussi déserts que les autres, et il les suivit d’un pas pressé qui était presque une allure de course. Il sortit dans une cour plus petite avec une fontaine jaillissant au centre, s’engagea dans un autre corridor et aboutit sur les dalles de pierre de la cour de l’écurie. L’Écurie du Seigneur elle-même, aménagée dans le mur de la forteresse, était haute et longue, avec de grandes fenêtres ouvrant ici à l’intérieur des remparts et deux étages où étaient installés les chevaux. La forge de l’autre côté de la cour était silencieuse, le maréchal-ferrant et ses aides étaient partis assister à la Cérémonie de l’Accueil.

Tema, le palefrenier en chef au visage tanné comme du cuir, le salua au seuil des vastes portes avec une profonde inclination du buste, portant la main à son front puis à sa poitrine. « L’esprit et le cœur à votre service, mon Seigneur. En quoi Tema peut-il être utile, mon Seigneur ? » Pas de chignon de guerrier ici ; les cheveux de Tema collaient à sa tête comme un bol gris renversé.

Rand soupira. « Pour la centième fois, Tema, je ne suis pas un seigneur.

— Comme mon Seigneur le désire. » Le palefrenier s’inclina encore plus bas, cette fois-ci.

C’est son nom qui causait le problème, et une similarité. Rand al’Thor. Al’Lan Mandragoran. Pour Lan, selon la coutume de la Malkier, le « al » royal le désignait comme Roi, bien que lui-même n’en fasse jamais usage. Pour Rand, « al » était seulement une partie de son nom, encore qu’il eût entendu dire que jadis, il y a fort longtemps, avant que les Deux Rivières aient été appelées les Deux Rivières, ce « al » avait signifié « fils de ». Cependant certains serviteurs de la forteresse de Fal Dara avaient cru que cela voulait dire qu’il était aussi un roi, ou au moins un prince. Toutes ses dénégations avaient seulement réussi à le réduire au rang de « Seigneur ». En tout cas, il le supposait ; il n’avait jamais vu tant de courbettes, même devant le Seigneur Agelmar.

« J’ai besoin que le Rouge soit sellé, Tema. » Il se garda bien d’offrir de s’en charger lui-même. Tema refuserait de laisser Rand se salir les mains. « J’ai envie de passer quelques jours à visiter le pays autour de la ville. » Une fois qu’il serait sur le dos du grand étalon roux, en quelques jours il serait à la rivière Erinin, ou de l’autre côté de la frontière, dans l’Arafel. Alors elles ne me retrouveront jamais.

Le palefrenier se plia presque en deux et resta courbé. « Pardonnez-moi, mon Seigneur, chuchota-t-il d’une voix rauque. Pardon, mais Tema ne peut pas obéir. »

Rougissant de gêne, Rand jeta un coup d’œil anxieux à la ronde – il n’y avait personne en vue – saisit le palefrenier par l’épaule et l’obligea à se redresser. Il ne pouvait peut-être pas empêcher Tema et consorts de se conduire de cette manière, mais il pouvait tenter d’éviter qu’on les voie le faire. « Pourquoi cela, Tema ? Tema, regardez-moi, s’il vous plaît. Pourquoi non ?

— C’est un ordre, mon Seigneur », répliqua Tema toujours dans un chuchotement. Il gardait les yeux baissés, non par peur mais par honte de ne pouvoir exécuter ce que demandait Rand. Les Shienariens en éprouvaient de la honte autant que certains étaient mortifiés de s’entendre traiter de voleurs. « Aucun cheval ne peut quitter cette écurie avant que l’ordre soit changé. Ni aucune autre écurie de la citadelle, mon Seigneur. »

Rand ouvrit la bouche pour dire que cela n’avait pas d’importance mais, à la place, il s’humecta les lèvres. « Aucun cheval d’aucune écurie ?

— Oui, mon Seigneur. L’ordre vient juste d’arriver. Il n’y a que quelques minutes. » La voix de Tema prit de l’assurance. « Toutes les portes sont fermées aussi, mon Seigneur. Personne ne peut entrer ou partir sans autorisation. Même pas la patrouille de la ville à ce qu’on a dit à Tema. »

Rand ravala sa salive, mais cela n’atténua pas cette sensation de doigts qui lui serraient la gorge. « L’ordre, Tema, il émanait du Seigneur Agelmar ?

— Bien sûr, mon Seigneur. De qui d’autre ? Le Seigneur Agelmar ne l’a pas signifié en personne à Tema, évidemment, ni même à l’homme qui a averti Tema mais, mon Seigneur, qui à part lui pouvait donner un ordre pareil à Fal Dara ? »