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Qui à part lui ? Rand sursauta comme la plus grosse cloche dans le beffroi de la citadelle se mettait bruyamment en branle. Les autres cloches sonnèrent à leur tour, puis des cloches dans la ville leur répondirent.

« Si Tema peut prendre cette liberté, cria le palefrenier pour dominer le carillon des cloches, mon Seigneur doit être très heureux. »

Rand dut crier aussi pour être entendu. « Heureux ? Pourquoi ?

— La Cérémonie de l’Accueil est terminée, mon Seigneur. » Le geste de Tema désigna le beffroi. « La Souveraine d’Amyrlin va convoquer mon Seigneur, ainsi que les amis de mon Seigneur, pour aller la voir, à présent. »

Rand détala à toutes jambes. Il eut juste le temps d’apercevoir la surprise se peindre sur le visage de Tema, puis il fut loin. Il ne s’inquiéta pas de ce que pensait Tema. Elle va m’envoyer chercher maintenant.

3

Amis et ennemis

Rand ne courut pas sur une longue distance. Seulement jusqu’à la poterne, passé le coin de l’écurie. Il ralentit pour reprendre le pas avant d’y arriver, s’efforçant de paraître insouciant et peu pressé.

La porte voûtée était close hermétiquement. Elle avait juste assez de largeur pour que deux cavaliers la franchissent de front mais, comme toutes les autres portes dans le rempart extérieur, elle était bardée d’épaisses bandes de fer noir et maintenue fermée par une grosse bâcle. Deux gardes en armure à plates et simple heaume conique, avec de longues épées sur le dos, se tenaient devant cette porte. Leur surcot doré s’ornait du Faucon Noir sur la poitrine. Il connaissait un tantinet l’un d’eux, Ragan. La cicatrice causée par une flèche trolloque formait un triangle blanc sur la joue sombre de Ragan derrière les barres de son vantail. La peau ridée forma la fossette d’un sourire quand il vit Rand.

« Que la Paix soit avec vous, Rand al’Thor. » Ragan criait presque pour se faire entendre par-dessus les carillons. « Avez-vous l’intention d’assommer des lapins en leur tapant sur la tête ou continuez-vous à prétendre que cette massue est un arc ? »

L’autre garde se déplaça pour se poster plus carrément devant la porte.

« Que la Paix soit avec vous, Ragan », dit Rand en s’arrêtant à leur hauteur. Garder un ton calme lui fut un effort. « Vous savez bien que c’est un arc. Vous m’avez vu tirer avec. »

« Ne vaut rien quand on est à cheval », commenta aigrement l’autre garde. Rand le reconnut alors, avec ses yeux presque noirs enfoncés au creux des orbites qui ne semblaient jamais ciller. Derrière son heaume, ils donnaient l’impression de cavernes jumelles à l’intérieur d’une autre caverne. Il songea qu’il pourrait encore jouer d’une plus grande malchance que d’avoir Masema en sentinelle à la porte, mais il ne savait pas trop quoi, à part une Aes Sedai de l’Ajah Rouge. « Il est trop long, reprit Masema. Je peux tirer trois flèches avec un arc ordinaire quand vous n’en décocherez qu’une avec ce monstre. »

Rand se força à sourire, comme s’il prenait cela pour une plaisanterie. Il n’avait jamais entendu Masema en dire ni en rire. La plupart des hommes à Fal Dara acceptaient Rand ; il s’entraînait avec Lan, le Seigneur Agelmar le recevait à sa table et, surtout il était arrivé à Fal Dara en compagnie de Moiraine, une Aes Sedai. Toutefois, certains étaient apparemment incapables d’oublier qu’il était un étranger, lui adressant rarement la parole et encore seulement s’ils y étaient obligés. Masema était le pire d’entre eux.

« Il est assez bon pour moi, répliqua Rand. À propos de lapins, Ragan, si vous me laissiez sortir ? Tout ce vacarme et ce remue-ménage sont trop pour moi. Mieux vaut m’en aller chasser le lapin, même si je n’en rencontre pas un seul. »

Ragan se tourna à demi pour regarder son collègue et les espoirs de Rand commencèrent à grandir. Ragan était un brave homme dont le caractère démentait sa cicatrice sinistre et il paraissait éprouver de la sympathie pour Rand. Mais Masema secouait déjà la tête. Ragan soupira. « Ce n’est pas possible, Rand al’Thor. » Il esquissa un petit mouvement de tête vers Masema comme pour expliquer. Si cela n’avait tenu qu’à lui… « Personne ne doit sortir sans laissez-passer écrit. Dommage que vous n’en ayez pas parlé quelques minutes plus tôt. L’ordre de fermer les portes vient juste de nous parvenir.

— Mais pourquoi le Seigneur Agelmar voudrait-il me garder à l’intérieur ? » Masema inspectait les ballots sur le dos de Rand, et ses sacoches. Rand s’efforça de ne pas tenir compte de cet examen. « Je suis son invité, continua-t-il à l’adresse de Ragan. Sur mon honneur, j’aurais pu partir à n’importe quel moment ces dernières semaines. Pourquoi m’appliquerait-il cet ordre ? C’est bien l’ordre du Seigneur Agelmar, n’est-ce pas ? » Cela fit ciller Masema dont la perpétuelle expression renfrognée s’assombrit encore ; il eut presque l’air d’oublier les paquets de Rand.

Ragan rit. « Qui d’autre pourrait donner pareil ordre, Rand al’Thor ? Bien sûr, c’est Uno qui me l’a transmis, mais de qui aurait-il pu provenir ? »

Les yeux de Masema, fixés sur le visage de Rand, ne cillèrent pas.

« Je désire simplement me promener seul, reprit Rand. Alors, je vais opter pour un des jardins. Pas de lapins mais, au moins il n’y aura pas la foule. Que la Lumière vous illumine, et que la Paix soit avec vous. »

Il s’éloigna sans attendre de bénédiction en réponse, fermement décidé à ne s’approcher des jardins sous aucun prétexte. Que je brûle, une fois les cérémonies terminées, il peut y avoir des Aes Sedai dans n’importe lequel. Conscient du regard de Masema sur son dos – il était sûr que c’était celui de Masema – il continua à marcher d’un pas normal.

Tout à coup, les cloches s’arrêtèrent de sonner, et il manqua trébucher. Les minutes passaient. En grand nombre. Le temps pour que la Souveraine d’Amyrlin soit conduite à ses appartements. Le temps pour qu’elle le convoque, pour que des recherches soient déclenchées quand on ne le trouverait pas. Dès qu’il fut hors de vue de la poterne, il se remit à courir.

Près des cuisines de la caserne, la Porte des Charretiers, par où toutes les provisions de bouche pour la forteresse étaient acheminées, était fermée et bâclée, derrière deux soldats. Il passa devant d’une allure pressée, traversant la cour des cuisines, comme s’il n’avait jamais eu l’intention de s’arrêter.

La Poterne du Chien, à l’arrière de la forteresse, juste assez haute et large pour un homme à pied, avait ses sentinelles, elle aussi. Il fit demi-tour avant qu’elles l’aperçoivent. Il n’y avait pas beaucoup de portes, si imposante que fût la forteresse mais, si la Poterne du Chien était gardée, toutes le seraient.

Peut-être trouverait-il un bout de corde… Il gravit un des escaliers conduisant vers le sommet du mur d’enceinte, au vaste parapet avec ses parois crénelées. Ce n’était pas très rassurant pour lui de se trouver ainsi exposé à cette hauteur au cas où ce vent se remettrait à souffler, mais de là il avait une vue qui portait jusqu’aux remparts extérieurs de la ville par-dessus les grandes cheminées et les toits pointus. Même au bout de près d’un mois de séjour, les habitations avaient encore un aspect curieux à ses yeux de natif des Deux Rivières, avec leurs cheneaux touchant presque le sol comme si les maisons n’étaient qu’un toit couvert de bardeaux et avec leurs cheminées inclinées pour laisser les épaisseurs de neige couler sans s’y accumuler. Un grand glacis pavé entourait la citadelle mais à cent pas seulement du rempart il y avait des rues pleines de gens allant à leurs affaires, des marchands ceints d’un tablier dehors sous la banne abritant leur boutique, des paysans vêtus d’étoffe tissée à la maison venus en ville acheter et vendre, des artisans, des habitants de la cité rassemblés par petits groupes, sans doute pour discuter de la visite inattendue du Trône d’Amyrlin. Il voyait des charrettes et une foule qui s’engouffraient sous une des portes du rempart de la ville. Apparemment, les gardes de là-bas n’avaient pas reçu l’ordre d’empêcher qui que ce soit de sortir.