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– Avec mes deux mathurins qui se cachaient dans le fond, prêts à tout événement… Ah! je vous jure que nous parlons d’autre chose que d’amour avec elle! C’est une femme qui vaut dix hommes! Entre nous, c’est le plus précieux auxiliaire de Jacques.

– Mon Dieu! murmura Lydie en pâlissant. Lisez votre lettre, monsieur Héloni… je ne vous regarde pas…

Et elle alla s’asseoir mélancoliquement auprès d’un guéridon sur lequel se trouvaient des illustrés qu’elle feuilleta.

– Merci, cher petit facteur, lui dit Frédéric qui avait lu… Vous retournerez demain au cours?

Et il lui tendit une autre lettre toute préparée. Lydie prit la lettre:

– Vous me faites faire un joli métier…

– Oh! mademoiselle, vous savez que j’aime Marie-Thérèse comme… comme Jacques vous aime… d’un amour aussi pur et aussi profond…

Lydie se leva et regardant l’officier bien en face:

– Frédéric, dit-elle… vous voyez, je vous appelle Frédéric, moi aussi… je vais vous parler comme une sœur. Frédéric, croyez-vous que Jacques m’aime toujours autant?

– Que voulez-vous dire? s’écria Frédéric, j’en suis sûr!

Cette sincérité évidente et cette spontanéité dans la réplique semblèrent apaiser un instant l’incompréhensible émoi de Mlle de la Morlière:

– Merci! dit-elle. Vous m’avez fait du bien! Évidemment, je suis un peu folle… Ce sont toutes ces émotions et puis que voulez-vous, mon cher Frédéric, ajouta-t-elle, en s’efforçant de sourire, depuis que j’ai vu la belle Sonia, il me semble que si j’étais homme une petite fille insignifiante comme moi compterait si peu… si peu auprès d’elle.

– C’est un sacrilège de parler ainsi! Tenez, voilà le commandant! Je vais tout lui dire.

– Non! Non! ne lui dites rien. Je vous en supplie.

Jacques arrivait. La jeune fille courut au-devant de lui, toute rouge d’une émotion qu’elle n’essayait pas de dissimuler.

– Ah! Jacques! quelle joie de vous revoir, après cette affreuse séance!

– Ma petite Lydie!

Elle se mit à pleurer doucement. Elle était jolie quand elle ne pleurait pas, mais les larmes la rendaient adorable.

En voyant couler ces larmes qu’il séchait à l’ordinaire si promptement, Jacques, cette fois, ne put retenir un mouvement d’énervement qui n’échappa point à Lydie.

Et, quand le commandant lui eut annoncé qu’il désirait embrasser tout de suite sa mère parce qu’il était dans la nécessité de retourner immédiatement chez M. Lavobourg (elle comprit: chez Sonia Liskinne), elle n’eut pas un mot pour se plaindre de cette nécessité-là, et rien, dans son attitude, ne put trahir la douleur aiguë qui vint la «pincer au cœur».

Cependant les jeunes gens se connaissaient si bien et l’amour de Jacques pour Lydie était, de son côté, si sincère que celui-ci eut la sensation immédiate de ce qui se passait à côté de lui, dans cette jeune et ardente poitrine qui ne battait que pour lui seul au monde; et il profita de l’instant où Frédéric paraissait très absorbé dans la contemplation d’un vieux tableau représentant un ancêtre de Mlle de la Morlière à la bataille de Marignan pour saisir dans ses bras l’héritière de ce valeureux guerrier et la consoler d’un baiser suivi d’une douce parole qui la fit pâlir de joie, elle, et le fit rougir, lui, de remords.

– Ma petite Lydie, je t’adore…

C’était vrai, mais ce qui était vrai aussi, c’est que le héros du Subdamoun pensait, dans le même moment, à la belle Sonia.

Cécily arriva. Elle eut un cri joyeux. La mère et le fils s’étreignirent à leur tour.

Ce n’était ni de l’admiration, ni de l’amour que Cécily avait pour Jacques, c’était de la dévotion. Si bien que, tout au fond d’elle-même, dans les minutes les plus redoutables, elle ne désespérait jamais car elle le voyait quasi invulnérable.

Elle ne l’avait point détourné de sa grande entreprise. Mais, en son âme simple où le bien et le mal ne se mêlaient jamais, elle était encore toute troublée de ces événements tragiques qui ressemblaient si fort à des assassinats et qui déblayaient singulièrement et si heureusement la route devant le héros en marche. Ce fut une bien autre affaire quand Jacques lui eut appris la dernière nouvelle:

– Figurez-vous que Cravely, raconta Jacques, avait fait suivre le mystérieux visiteur qui a laissé Carlier en si mauvais état. Or, cet homme, qui avait échappé un instant à son pisteur a été retrouvé.

– Eh bien? qu’est-ce qu’il a dit? demanda Cécily avec anxiété.

– Mais, ma mère, il n’a rien dit, parce qu’on l’a retrouvé pendu!

– Pendu!

– Oui, pendu à l’espagnolette de sa fenêtre! Cravely est dans un état de rage indescriptible, paraît-il.

Frédéric n’en revenait pas.

– Tout de même, dit-il, la journée finit mieux pour nous qu’elle n’a commencé.

Mais ils ne continuèrent pas sur ce ton. Comme ils s’étaient retournés du côté de la marquise, ils s’aperçurent avec effroi qu’elle semblait étouffer. Ils se précipitèrent. Marie-Thérèse lui fit respirer des sels; et Cécily revint à elle presque aussitôt. Elle s’excusa de l’alarme qu’elle avait causée, embrassa son fils en lui recommandant plus que jamais de la prudence et manifesta le désir d’aller se reposer. Elle s’éloigna au bras de Jacqueline qui était accourue.

– Pauvre maman! fit le commandant Jacques… elle doit être à bout de forces car ce n’est point le courage qui lui manque. Soignez-la bien, ma petite Lydie, aimez-la bien, ne la quittez pas pendant ces journées décisives où je n’aurai peut-être point le temps de venir ici, ne serait-ce que pour vous embrasser!

– Comptez sur moi, Jacques! s’écria la jeune fille en refoulant le sanglot qui déjà gonflait sa gorge… comptez sur moi… et triomphez!

Elle se laissa aller sur sa poitrine. Il lui donna un dernier baiser, cette fois en ne pensant qu’à elle, car il savait que s’il ne réussissait point, il ne la reverrait sans doute jamais et il partit entraînant rapidement Frédéric.

Ils avaient à peine franchi la porte de la rue que deux ombres, se détachant du mur, les suivaient. Mais ces deux ombres-là furent elles-mêmes suivies de deux autres ombres qui se confiaient leurs impressions à voix basse:

– C’est maintenant nous qui surveillons la rousse, disait Jean-Jean à Polydore… Que les temps sont changés!

Cécily était arrivée, épuisée, dans sa chambre et repoussait les soins de Jacqueline:

– Il s’agit bien de me soigner, dit-elle, quand on assassine tout le monde autour de mon fils!

– Que voulez-vous dire, madame la marquise? Je vous ai rarement vue dans cet état!

– Je vais tout te dire. Tu pourras me donner un bon conseil, et peut-être m’aider, car je veux tirer cette affaire au clair et il m’est impossible de rester plus longtemps sous le coup d’une aussi atroce imagination!

Te rappelles-tu Jacqueline ce soir où nous sommes allées avec Marie-Thérèse au concert classique de la Comédie de l’Élysée?

– Si je me le rappelle! fit Jacqueline, c’est le soir où madame la marquise, incommodée par la chaleur, car le théâtre était encore chauffé, comme en plein hiver, avait manifesté le désir de sortir un instant.