Ses mains tremblaient sur le beau col nu de Sonia et avaient peine à soulever le poids impressionnant de ses magnifiques cheveux d’or.
Il hésitait à faire entrer dans l’adorable toison ses hideux ciseaux et tâtonnait.
De sa voix la plus douce, Sonia le pria de montrer moins de pusillanimité, car elle désirait qu’autant que possible sa chevelure ne fût point «abîmée».
– Je veux en faire un cadeau, disait-elle, arrangez-moi cela d’une façon convenable, monsieur le commis.
Le commis soupirait et suivait les indications de la victime sans pouvoir retenir ses larmes.
– Pourquoi pleurez-vous? lui dit Sonia; suis-je tant à plaindre?
– Madame, répondit galamment ce commis de greffe, si vous ne voulez point que l’on pleure sur vous, laissez-moi pleurer au moins sur ceux qui ne vous verront plus!
La réponse plut beaucoup à Mlle Liskinne qui n’hésita point à lui confier le désir qu’elle avait que ses cheveux fussent portés en souvenir d’elle à la prisonnière qui occupait encore le cachot qui avait été le sien.
Le commis jura tout bas que la commission serait faite, et il eut la précaution de mettre à l’abri immédiatement le trésor capillaire qu’on venait de lui abandonner.
Non loin de Sonia, l’ex-président de la Chambre, M. Lavobourg, penchait la tête et frissonnait au froid des ciseaux…
Le trio Hilaire, Florent, Barkimel était intéressant à contempler en son genre. Ces messieurs n’avaient vu du tribunal révolutionnaire qu’une bousculade; ils en étaient revenus avec quelques coups de crosse qui les avaient fait horriblement souffrir dans leur amour-propre. Ils avaient voué à une destruction rapide une société qui ne sait même pas respecter ses victimes et ils ne regrettaient rien tant que de ne point vivre pour assister à cette catastrophe qui eût pu les sauver.
Pendant qu’on leur faisait leur dernière toilette, ils prêtaient l’oreille aux propos qui se chuchotaient dans la demi-obscurité de la salle gothique: des gens bien informés auxquels on venait d’échancrer fort proprement le col de la chemise affirmaient que si le gouvernement de l’Hôtel de Ville se pressait tant de les «expédier», il n’en fallait point chercher la cause ailleurs que dans l’ultimatum parvenu la veille au soir de Versailles.
On disait qu’à tout hasard Coudry avait fait masser deux cents canons place de la Révolution.
Enfin! «il fallait se faire une raison et tâcher de mourir, avec les autres, le plus convenablement possible.» Ainsi s’exprimèrent les deux amis en s’étreignant mutuellement et en s’inondant le visage de leurs larmes sincères. Quand les grilles du guichet s’ouvrirent, ils se tamponnèrent hâtivement les yeux et s’occupèrent surtout de n’être point séparés l’un de l’autre.
Il y avait là, dans la cour, quatre charrettes. On les poussa dans la première… M. Barkimel aida M. Florent à monter. M. Florent aida ensuite M. Hilaire. M. Hilaire paraissait distrait, ne s’occupant point de ses compagnons, et l’œil errant au lointain.
Il fut tiré de ses préoccupations par la voix de Mlle Liskinne laquelle, placée à côté de lui, demandait à l’ex-inspecteur des prisons s’il était vrai que le Subdamoun fût réellement mort.
M. Hilaire lui répondit qu’il espérait encore que non et que le Subdamoun avait eu, à sa connaissance, quelque chance d’échapper à ses ennemis.
À ces mots, Sonia pâlit et l’on ne sut jamais si c’était de bonheur ou de regret: de bonheur de pouvoir penser que son dernier amant fût encore vivant ou de regret de s’être sacrifiée avec tant d’héroïsme, dans un moment où elle aurait encore pu le rejoindre!
Sur ces entrefaites, la porte du guichet extérieur fut ouverte et la sinistre procession commença de défiler sur le quai.
Quand la première charrette apparut, et c’était une véritable charrette que l’on avait réquisitionnée au dernier moment, «les cars de la mort» étant pleins, il y eut contre elle un formidable hourvari d’injures et de malédictions. Elle était pleine des principaux héros de cette histoire.
Au surplus, le désordre, le combat, l’incendie, les chants, les blasphèmes semblaient, ce matin-là, être les maîtres de la ville et ne cessèrent de faire cortège aux dernières victimes de la nouvelle révolution.
Au-delà des flammes, qui léchaient déjà sur les bords du fleuve les pierres séculaires des monuments sacrés de l’histoire et qu’avaient allumées des hordes déchaînées par la rage et l’impuissance d’un comité de révolte vaincu d’avance, les condamnés entendaient le bruit sourd du canon de Versailles qui venait peut-être les délivrer!
À ce moment, M. Hilaire était certainement le plus désolé de tous. Mais trois cents mètres plus loin, il sembla renaître.
– C’est lui!
En effet, c’était lui, le marchand de cacahuètes qui marchait en tête de la première charrette, au milieu d’une bande d’hommes de sang et de rapine.
Il paraissait en proie à un vertige insensé, et son aveugle transport amusait la hideuse cohorte qui l’encourageait de ses rires. Il jetait les fruits légers de son commerce aux uns et aux autres en leur criant:
– Mangez mes cacahuètes! En voilà encore que les Versaillais n’auront pas!
Le cortège avait tourné sur la gauche, gagnant, comme toujours, par le boulevard Sébastopol, les grands boulevards.
M. Hilaire ne voyait, n’entendait plus que le fantasque vieillard qui agitait son panier vide.
Certes! il avait eu raison de ne point douter de Chéri-Bibi. Sans doute, celui-ci eût mieux fait de ne point rejeter la Ficelle dans la cheminée alors qu’il en était si heureusement sorti; mais ce geste de colère, si excusable en l’occurrence, devait être naturellement racheté par quelque entreprise héroïque qui arracherait M. Hilaire au bourreau.
M, Hilaire, cependant, s’impatientait de voir le chemin «se raccourcir», mot affreux qui lui vint à l’esprit et lui fit faire la grimace, quand son attention fut attirée par de singuliers mitrons qui vendaient des brioches.
Il y avait là, en effet, plusieurs établissements de pâtisserie. À l’époque qui nous occupe, ils avaient acquis une grande prospérité et les temps malheureux que l’on traversait n’avaient point atteint leur commerce.
Les jours de fête, ces pâtisseries chargeaient des mitrons extra d’écouler dans la foule leur marchandise toute chaude.
Ce matin-là, ils étaient plus nombreux que de coutume et faisaient entendre au-dessus du tumulte général d’étranges interpellations qui cessèrent, du reste, dès que le marchand de cacahuètes eut jeté son panier vide en l’air, dans leur direction.
Dès lors, M. Hilaire ne douta plus que le moment utile fût arrivé.
L’endroit paraissait, du reste, bien choisi. Les charrettes passaient en contrebas d’un perron sur lequel s’étageaient de vieilles rues qui n’avaient pas changé d’aspect depuis plus de deux cents ans. Des hauteurs du perron une troupe de partisans déterminés pouvait tenter, avec quelque chance de succès, de se jeter sur le cortège et d’y faire, par surprise, de la bonne besogne.
Il voulut avertir d’un signe M. Florent mais il s’aperçut que le marchand de papier à lettre s’était affalé sur l’épaule de l’ex-marchand de parapluies. M. Barkimel, lui, paraissait complètement avachi.