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Cécily ne répondit pas. Elle n’en avait pas la force. Toutes ses terreurs, toutes ses appréhensions, tout ce qu’elle avait redouté depuis qu’elle avait remarqué comment le crime profitait à son fils, l’image terrible et confuse de l’homme qui l’avait sauvée elle-même, le souvenir hallucinant d’une captivité dans un souterrain où se traînait à ses genoux un esclave immonde, et surtout le nom du personnage qui s’était révélé par l’image dans la petite chapelle aux reliques, le nom fatal, le nom que les petits enfants de France avaient appris à redouter comme celui de l’ogre ou du loup-garou… tout cela surgit, réapparut, l’entoura d’une ronde diabolique, anéantit son esprit, brûla ses yeux, assourdit ses oreilles… ses oreilles qui tintaient du nom aux syllabes si tragiquement sonnantes… «Chéri-Bibi! Chéri-Bibi!» Elle étendit les bras et cria:

– N’y va pas! N’y va pas!

Elle s’était agrippée à lui; il la secouait comme une entrave quelconque, oubliant qu’elle était sa mère… et elle râlait sans lâcher prise.

– N’y va pas! N’y va pas!

Affolé à l’idée que sa mère voulait l’empêcher de savoir, il se précipita, la traînant derrière elle… Et ils arrivèrent ainsi à la porte du petit salon qui avait été refermée.

Là, il s’arrêta.

Il écouta.

Elle aussi, dominant subitement son commencement de folie, s’était dressée et écoutait.

Ils n’entendaient rien, rien que le battement affreux de leurs cœurs.

Il se décida à ouvrir la porte brusquement et ils entrèrent.

Une lumière douce, tamisée par les fleurs de verre des lampes électriques, s’épandait sur le centre de la pièce, laissant les coins dans l’ombre.

Ils sétonnèrent. Il n’y avait plus personne dans le petit salon!

– Partis! s’écria le Subdamoun; pourquoi sont-ils partis?

Et cela l’épouvantait davantage encore qu’ils fussent partis, quand il croyait les trouver là, à l’attendre.

Comme il avançait vers le milieu de la pièce, il glissa sur le tapis.

Il se pencha.

Sa main alla jusqu’au tapis; puis il regarda cette main à la lumière.

Il poussa un cri: elle était rouge! Du sang! Sa main était rouge de sang!

Alors il se jeta à genoux et regarda, regarda la grande mare de sang qui coulait, glissant vers la fenêtre…

Là, près de la fenêtre, il ramassa, un chapeau un chapeau rond, en feutre, ordinaire, vulgaire, bossué… et… un peu plus loin, un sac… un sac de femme, un coquet réticule ouvert et tout maculé de sang.

Il se releva avec une figure hâve, des yeux de fou:

– On a assassiné quelqu’un ici! Appelle! Mais appelle donc! Appelle les domestiques!

La marquise restait là, debout, la bouche grande ouverte, les yeux pleins d’horreur, les mains tremblantes à ses joues blêmes…

– Il les a encore tués! Il les a encore tués!

Le Subdamoun s’arrachait les cheveux. Mais qui, il? «Ah! je veux savoir! je veux savoir!»

Il se trouvait près de la fenêtre entrouverte qui donnait sur le jardin intérieur de l’hôtel. Cette fenêtre, sous une brise légère, fit entendre un léger grincement.

Le Subdamoun pensa aussitôt que le criminel s’était enfui par là, avec ses cadavres!

D’un geste terrible, il finit d’ouvrir la fenêtre et bondit dans le jardin.

Le clair de lune lui fit voir, en face de lui, un homme penché sur un soupirail, qui poussait là quelque chose…

Au bruit que le Subdamoun avait fait en sautant, l’homme s’était retourné…

Et le Subdamoun reconnut «son sauveur», celui qui l’avait fait fuir de la forteresse, l’homme qui avait tué M. Dimier et tant d’autres! Il sortit son revolver de sa poche et courut à l’homme.

Celui-ci vit bien qu’il n’aurait point le temps de se glisser par le soupirail et s’enfuit… avec une vélocité incroyable… Il faisait des bonds insensés dans le jardin pour échapper au Subdamoun…

Jacques criait: «Arrêtez, ou je tire!» Mais l’homme, sans répondre, l’avait encore évité et était revenu près de la fenêtre par laquelle le Subdamoun avait pénétré dans le jardin.

L’homme sauta, par la fenêtre, dans l’hôtel.

Le petit salon était vide. Il le traversa comme une flèche, gravit un petit escalier qui conduisait au premier étage, et trouva là, sur le palier, la marquise qui appelait en vain, d’une voix mourante, les domestiques.

Devant l’apparition épouvantable, elle tomba à genoux.

L’homme dit:

– Cachez-moi, Cécily!

Et il entra dans la chambre de la marquise, dont il referma la porte.

«Cachez-moi, Cécily!» La marquise poussa un cri… Cette voix! cette façon de dire: Cécily! Et puis, ce suprême appel de celui qui avait, été le compagnon de ses jeux enfantins et qui, jadis, contentait ses moindres caprices de «demoiselle» et cette façon de prononcer ce mot: «Cécily!» comme le marquis du Touchais, à son retour. Elle en frissonna jusque dans les moelles…

Quand Jacques apparut à son tour sur le palier, elle répondit à ses questions furieuses:

– Non! je ne l’ai pas vu!

Et elle entra dans sa chambre.

Elle ne le vit pas. Elle ne savait pas où il s’était caché. Elle dit tout haut:

– Ne bougez pas!

Les pas de Jacques s’approchèrent. Le Subdamoun ouvrit la porte de la chambre de sa mère. Il avait toujours le revolver à la main. Sa rage et sa déconvenue le faisaient écumer:

– Où sont les domestiques? Il n’y a pas un domestique ici? C’est à croire que cet homme avait pour complices tous les domestiques!

Sa mère ne lui répondait pas. Elle s’était mise à son prie-Dieu et priait.

Le Subdamoun ressortit, continuant ses affolantes recherches. Il entra dans la chambre de Lydie que l’absorption d’un narcotique faisait dormir cette nuit-là plus qu’à l’ordinaire, sans doute à la suite de certaines précautions de Chéri-Bibi.

Pendant l’absence du Subdamoun de la chambre de sa mère, il n’y eut entre la marquise et l’homme qui était caché là quelque part, pas un mot d’échangé: il n’y eut entre eux que la prière qu’elle disait.

Jacques revint. Il dit:

– Cet homme est le démon et c’est cet homme qui m’a sauvé!

– Oui, fit-elle en quittant son prie-Dieu…

– Vous doutiez-vous de cela? ma mère.

– Oui, dit-elle encore.

– Mais c’est la plus épouvantable des catastrophes! Nous ne connaissons pas cet homme!