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Une casquette était enfoncée sur son crâne chauve. Quant à sa figure, on était presque toujours dans l’impossibilité de l’apercevoir, tant à cause de la position qu’elle occupait qu’à cause d’un énorme cache-nez gris de fer, tout élimé, qui en faisait plusieurs fois le tour.

Parfois ce lamentable individu levait un peu la tête et alors on voyait, au-dessus du cache-nez, une énorme paire de lunettes noires qui eût fait rire si le regard qui parvenait à percer ces verres opaques n’eût point fait peur.

Chose curieuse, tous les clients, ce soir-là, aimaient les cacahuètes et il en distribua pour quelques sous, à chacun, un petit paquet. Sur certaines tables, il déposa, par-dessus le marché, ici, deux cacahuètes, là, quatre, plus loin cinq.

Il arriva ainsi près du comptoir, et, devant Petit-Bon-Dieu, compta sept cacahuètes. Après quoi, il s’en retourna.

Certaine nuit, Petit-Bon-Dieu, intrigué, et manquant à la parole du contrat qui le liait, s’était montré curieux de savoir ce qu’était et où se rendait, en sortant de chez lui, l’extraordinaire vieillard.

Et il était sorti derrière lui, le suivant prudemment, tandis que le bonhomme remontait vers la rue de Rome.

Or, comme Petit-Bon-Dieu fils arrivait au coin de la rue Cardinet, il avait été assailli par une bande de vauriens qui déjà avaient sorti leurs couteaux.

Heureusement que le marchand de cacahuètes était arrivé pour le délivrer: «Laissez-le donc, leur avait-il dit. Monsieur est de mes amis.»

Le lendemain, Petit-Bon-Dieu avait une ration supplémentaire de cacahuètes dans un cornet de papier, et sur le cornet lui-même il avait pu lire cette phrase soigneusement dactylographiée: «La prochaine fois, je les laisserai faire!» Il se l’était tenu pour dit.

Après le départ du marchand, quelques-uns des clients s’en allèrent. D’autres se mirent à lire des journaux en regardant de temps en temps l’heure qu’il était.

À deux heures et demie du matin la porte du cabaret fut ouverte par un homme habillé comme un artiste, dont les épaules étaient recouvertes d’une cape très ample rejetée sur l’épaule et lui cachant une partie du visage. Le chapeau de feutre rabattu lui cachait l’autre.

Il traversa la pièce, s’arrêta une seconde au comptoir, déposa sous le nez de Petit-Bon-Dieu sept cacahuètes et entra dans l’office.

Là, il y avait un escalier en tire-bouchon qui grimpait à l’étage supérieur. L’homme eut vite fait de l’escalader; et bientôt il se trouva en face d’une porte dont il lui fallut ouvrir les trois serrures. Ceci fait, il entra dans une salle uniquement meublée d’une table ronde, d’un buffet et de quelques chaises de paille. Au mur, un porte-manteau.

L’homme, après avoir allumé une petite lanterne sourde, y suspendit son feutre et sa cape. Puis il s’en fut au buffet, en ouvrit les deux battants et les referma sur lui.

Il était enfermé dans ce buffet vide, dont le fond se déploya instantanément sur un geste qui commanda un déclic.

L’homme se courba et glissa dans une sorte de couloir qu’il referma derrière lui en mettant en jeu un mécanisme dont il paraissait connaître depuis longtemps l’usage.

Aussitôt, il s’en fut rapidement jusqu’au bout du couloir qui était des plus étroits. Là encore, il eut à ouvrir une porte. Il passa, referma la porte, éteignit sa lanterne sourde, et allongeant le bras, sa main rencontra un commutateur qu’il tourna.

VI INCIDENT

L’homme était dans un décor des plus gracieux, des plus riches et des plus galants. Il était dans le boudoir de la belle Sonia et cet homme, c’était Jacques.

Jacques se mit immédiatement au travail sur une petite table signée de Boule, entre un grand paravent de Coromandel qui se déployait devant la porte de la chambre à coucher et une coquette bibliothèque pratiquée dans la vieille boiserie grise, style Marie-Antoinette.

Ça n’était pas une chose banale que le spectacle de cet homme travaillant à bouleverser l’État par le plus prodigieux des coups de force, dans ce boudoir charmant où flottaient les parfums les plus délicats, sanctuaire de l’amour transformé en officine politique.

Jacques avait tiré de la poche intérieure de son vêtement deux longs portefeuilles qu’il avait vidés sur la table.

Il y avait là plusieurs centaines de feuillets, les uns à en-tête de la Chambre des députés, les autres à en-tête du Sénat.

Sur ces feuillets où s’étalaient des formules imprimées, il apparaissait des blancs que Jacques remplissait d’une écriture rapide.

Soudain, il leva la tête: un pas traversait le salon à côté et on introduisait une clef dans la serrure de la porte qui donnait sur cette pièce.

Sonia parut.

– Je vous sais gré de me rejoindre si tôt. Voulez-vous m’aider? dit-il; D’où venez-vous?

Et se remettant à écrire:

– Les domestiques, votre femme de chambre?

– Ils dorment. Vous savez bien que vous m’avez habituée à me passer de tout service depuis que vous m’avez «envahie»! Seulement, mon cher, ce soir, avant de partir, il faudra que vous m’ôtiez quelques agrafes!

Il la regarda. Elle laissa tomber son manteau et elle se montrait à lui telle qu’il ne l’avait pas encore vue, et cependant telle qu’elle avait été toute la soirée, dans une robe audacieuse qui avait fait sensation; mais jusque-là, en vérité, il avait été tellement préoccupé qu’en paraissant la voir il ne l’avait pas regardée…

– Sapristi! fit-il, il est étonnant qu’étant habillée de la sorte vous ayez encore besoin de quelqu’un pour vous déshabiller!

– Toujours aimable!

– Je vous ai demandé où vous êtes allée. Vous avez dû avoir un certain succès!

– Bast! fit-elle, on ne s’occupe que de vous! Nous sommes allés un instant à Magic, au bal d’Ispahan, avec Martinez et Lucienne Drice, puis on a soupé au dancing. Je voulais tâter le pouls de l’opinion.

– J’imagine qu’elle n’est point trop mauvaise?

– Très bonne! On ne parle que de «vos assassinats»… et l’on dit: «Il est très fort. Rien ne l’arrête!»

– J’espère que vous ne croyez point à toutes ces stupidités!

– Eh! eh! mon cher! est-ce que je sais, moi? Je vous connais si peu!

Elle était venue à lui, de sa démarche lente, royale, harmonieuse, et s’était assise près de lui, son corps le frôlant; et il était irrité par le chaud parfum de cette belle femme dans un moment où il avait besoin de tout son sang-froid.

– Comme vous froncez les sourcils! dit-elle. Je vous gêne?

– Oui, vous êtes vraiment trop belle!

– C’est le premier compliment de la journée. Maintenant, je puis me retirer?

– Non, restez! J’ai besoin de vous. Et ne soyez plus coquette pendant… pendant simplement vingt-quatre heures!