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– Oh! madame, simplement un morceau de savon de Marseille, pour la lessive…

– Bien, madame, mais je ne pouvais pas deviner, n’est-ce pas? Garçon, occupez-vous de Madame, et elle gravit les degrés du trône.

Quand elle fut servie, Jacqueline prit son courage à deux mains, car cette grosse dame qui la regardait d’une façon si majestueuse du haut de son comptoir lui faisait un peu peur et elle osa lui demander si monsieur Hilaire n’était pas là.

– Si, madame, il est là, mais je vous préviens qu’il est très occupé.

– J’aurais un petit mot à lui dire.

– Mais, madame, je le lui transmettrai.

– C’est de la part de Mme la marquise du Touchais…

– Que ce soit de la part de n’importe qui, madame, je suis Mme Hilaire! je vous prierai de me confier ce que vous avez à dire à mon mari.

À ce moment, la porte de la salle à manger s’ouvrit et M. Hilaire fit entendre ces mots résolus:

– Mademoiselle Jacqueline, voulez-vous passer dans la salle à manger, je vous prie?

Jacqueline, tout effarée, mais heureuse de cette intervention inattendue, s’empressa de profiter de l’invitation pour fuir la terrible Mme Hilaire…

Et la porte se referma sur celle qui avait été sœur Sainte-Marie-des-Anges et sur celui qui avait été la Ficelle.

À la caisse, Mme Hilaire suffoquait. Dévorant sa honte, elle se mit à faire de longues additions dans le dessein d’arriver à reconquérir son sang-froid.

Dans un coin du magasin, M. Florent et M. Barkimel qui s’étaient fait servir un petit porto au comptoir de dégustation, détournaient la tête pour qu’elle pût croire qu’ils ne s’étaient pas aperçus de l’incident.

Retournons dans la salle à manger où, avec une décision et une autorité dont il était lui-même étonné et, disons le mot, épouvanté, car il ne pouvait s’empêcher de songer aux terribles conséquences de son coup de tête, M. Hilaire avait fait entrer Mlle Jacqueline.

– Merci, monsieur Hilaire, dit la vieille demoiselle, je viens vous demander un service de la part de Mme la marquise.

– Dites vite! fit Hilaire, qui, le visage tourné du côté de la porte, craignait de voir apparaître son irascible épouse.

– Mme la marquise, en se promenant le soir près du Grand Parc ou en sortant du théâtre, a eu quelquefois l’occasion de rencontrer un vieillard tout courbé par les ans qui vend des olives et des cacahuètes. Elle voudrait savoir absolument qui est ce personnage, sa condition au juste, son nom et où il habite… et elle a songé à vous, qui lui avez toujours été si dévoué, jusqu’au moment où vous vous êtes lancé dans cette vilaine politique.

– Halte-là! s’exclama M. Hilaire, Mademoiselle Jacqueline! je ne vous permettrai point de dire que je ne suis plus dévoué à Mme la marquise. Jamais je n’oublierai qu’elle fut jadis à Dieppe la marraine de notre pauvre petit, qui n’eut point, du reste, l’occasion de profiter d’une aussi haute protection puisqu’il attrapa la coqueluche et en mourut! Paix à sa mémoire! Je rendrai à Mme la marquise le petit service qu’elle me demande! Demain, après-demain au plus tard, Mme la marquise saura ce qu’elle désire savoir! Dites-le-lui de ma part!

Il ouvrit la porte et tous deux rentrèrent dans le magasin.

– Je vous assure, mademoiselle Jacqueline, faisait tout haut M. Hilaire, je vous assure que nous ne pouvons baisser nos prix! Il y a une telle crise sur le commerce.

Ainsi conduisit-il Mlle Jacqueline jusqu’à la porte de la rue; puis il revint vers le comptoir.

Mais Mme Hilaire ne disait rien; elle ne le regardait même pas et continuait à faire des additions!

C’était le supplice qui commençait et M. Hilaire savait qu’il serait terrible.

Il poussa un soupir que Mme Hilaire ne voulut pas entendre, car cela entrait dans le supplice de M. Hilaire que sa femme fût sourde… Et ce n’était pas tout! À sa surdité et à son mutisme, elle ajouterait bientôt la mort par la faim! tout simplement…

Quand l’heure du déjeuner arriverait, Mme Hilaire déclarerait «qu’elle n’avait pas faim»… et effectivement elle s’assiérait à table mais ne toucherait à rien.

Et le soir, à dîner, elle repousserait également toute nourriture, comme une suffragette en prison.

Si bien que vers les dix heures, Mme Hilaire, qui n’aurait rien pris de la journée, ce qui était vraiment excessif pour une personne habituée comme elle à ne se priver de rien… ne manquerait point de se trouver mal et de s’écrouler sur le plancher.

C’est à ce moment que M. Hilaire devrait se précipiter sur sa victime en faisant entendre des cris de désespoir qui feraient rouvrir les yeux et la bouche de son épouse. Les yeux seraient mourants, la bouche dirait d’une voix expirante: «Porte-moi dans ma chambre!»

La chambre était au premier étage et Mme Hilaire pesait cent deux kilos!

Voilà pourquoi M. Hilaire soupirait.

IX NOUS DANSONS SUR UN VOLCAN

Cette journée du samedi fut particulièrement inquiétante pour M. Hilaire.

Si sa femme avait été de meilleure humeur, il eût pu espérer la faire consentir à aller voir les danses dans les établissements du Grand Parc mais, après la scène qu’ils avaient eue, il ne fallait plus y songer!

Vers le soir, les nouvelles devinrent si mauvaises et l’écho des rumeurs des faubourgs populaires si menaçant que M. Hilaire ne fut nullement étonné de voir entrer dans son magasin le citoyen Tholosée, qui tenait une feuille de la dernière heure et qui criait une fois de plus qu’il fallait sauver la République.

Il venait annoncer à M. Hilaire que tous les clubs, dans tous les districts, étaient convoqués le soir même en séance exceptionnelle pour prendre des résolutions et émettre des vœux destinés à soutenir et au besoin à forcer la main au gouvernement et à la commission d’enquête dans leurs poursuites «contre les assassins de Carlier et de Bonchamps!»

Ayant conseillé à M. Hilaire de se rendre de bonne heure, vers les sept heures et demie au plus tard, à son poste de secrétaire, Tholosée, de plus en plus excité, reprit le chemin de l’Arsenal.

Mais il laissait M. Hilaire dans la joie.

Sous prétexte de se rendre au club pour y accomplir des devoirs «inéluctables», M. Hilaire sortirait de bonne heure, et, ma foi, il ne serait pas autrement fâché de remplacer une soirée qui avait menacé d’abord d’être plutôt pénible, qui s’était annoncée ensuite comme exclusivement politique, de la remplacer, disons-nous, par une nuit de plaisir, de chants et de danses au Grand Parc. Il irait au bal, en compagnie de ses braves amis Barkimel et Florent, lesquels ne le gêneraient en rien dans ses recherches.

Fort de ce que le farouche Tholosée venait de dire devant sa femme et après avoir calculé que la défaillance de Mme Hilaire se produisait généralement vers les huit heures et demie après le dîner, il s’exprima ainsi: