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Alors il continua:

– J’aurai eu au moins cette consolation d’avoir ruiné votre entreprise et de vous avoir perdus.

Il ricana:

– Je vous vole la victoire! Mais nous sommes quittes: vous m’avez bien volé ma maîtresse!

– C’est faux! éclata Sonia en se redressant devant lui… et c’est un premier crime de ta part de le croire! Qui t’a raconté cette chose honteuse?

– Oh! madame! fit simplement Lavobourg… ayez au moins autant de pudeur que votre complice! Est-ce qu’il a protesté, lui?

– Assez! cette scène a trop duré, déclara brusquement Jacques, qui venait de prendre une résolution inébranlable. Je vais vous tuer, monsieur!

Lucien, d’un bond, fut debout. Il avait parlé de sa mort, mais il n’y avait point cru!

Jacques avait disparu un instant et il était maintenant devant Lavobourg, deux épées à la main. Il lui en jeta une.

«Ma mort ou celle de Lavobourg», voilà ce à quoi venait de se résoudre Jacques, «et, si je le tue, je trouverai, quoi qu’il dise, un autre président…, Mais je n’ai pas un instant à perdre!»

Ainsi arrangeait-il l’événement.

Lavobourg était de première force aux armes. Il se rua sur celle qu’on lui offrait avec d’autant plus d’enthousiasme que c’était une épée et qu’il avait redouté, une seconde, le poignard.

Sonia suivait toutes les péripéties du combat avec une angoisse tellement aiguë qu’elle gémissait comme si elle était transpercée elle-même par l’acier quand l’épée de Lavobourg partait à fond dans la direction du commandant.

À un moment, sur un coup droit de Lucien qui avait l’avantage de la taille et de l’«allonge», elle put croire Jacques cloué à la muraille.

Elle était tombée à genoux en criant:

– Ne le tue pas!

Mais Jacques avait paré le coup, relevé l’épée de son adversaire et, glissant sous elle, avait servi une botte terrible à Lavobourg, qui ne l’évita qu’en faisant un bond prodigieux.

Jacques, reprenant l’offensive, ramenait le combat au milieu de la pièce, et ce n’était pas un spectacle banal que celui de cette lutte à mort entre ces deux hommes, parmi les meubles renversés et suivie sur les genoux par cette femme râlant ses espoirs et ses terreurs au choc des épées.

Mais Jacques était trop pressé d’en finir et Lavobourg s’en aperçut. Dès lors, il changea de tactique. Il savait très bien que chaque minute perdue enlevait de sa force à son adversaire en lui ôtant de son sang-froid, pour qu’il n’en profitât point en jouant un jeu des plus serrés qui exciterait l’impatience de l’autre.

C’est là qu’il l’attendait. Jacques fit une lourde faute en se découvrant audacieusement pour tenter Lavobourg, et celui-ci, par un solide coup d’arrêt sur un retirement de bras, le toucha en pleine poitrine, mais l’épée, heureusement, glissa sur le sternum.

La chemise de Jacques fut immédiatement rouge de sang, et Sonia se jeta entre les deux combattants avec un affreux gémissement, mais ils la repoussèrent brutalement et elle s’en fut rouler à demi évanouie sur les tapis, tandis qu’ils continuaient de se porter des coups désespérés.

Jacques fut touché encore deux fois, à l’avant-bras et à la figure. Chacun de ses gestes répandait une pluie de sang.

Jacques pensait à trop de choses en se battant… Il pensait qu’on devait commencer à arriver au Palais-Bourbon et il sentit que s’il n’en finissait pas tout de suite avec Lavobourg, tout était perdu…

Le sang, coulant de son front, le gênait en l’aveuglant.

Il eut un cri de rage contre l’injustice du destin qui avait attendu la dernière minute pour le faire ainsi trébucher sur le seuil, et il se jeta sur Lavobourg, acculé à la porte de la chambre de Sonia, avec la résolution farouche de risquer le coup fourré; mais cette porte s’ouvrit tout à coup et quatre formidables bras enlevèrent Lavobourg comme une plume. Sonia était allée chercher elle-même ces bras-là et elle referma, haletante, sur les gardes du corps de Jacques et sur leur proie, cette porte qui n’avait encore était franchie que par l’amour et qui venait peut-être de s’ouvrir à l’assassinat!

Ce fut la première pensée de Jacques quand il eut compris ce qui venait de se passer et de quelle façon on venait de le débarrasser d’un adversaire qu’il n’avait pas réussi à tuer de sa main.

– Ne le tuez pas! cria-t-il en secouant la porte que les autres avaient refermée derrière eux au verrou.

– Non! non! Ils ne lui feront aucun mal! il est notre prisonnier! Laissez-moi vous panser, Jacques, et partez!

– Ah! vous ne les connaissez pas!

Et il appelait:

– Jean-Jean! Jean-Jean! Liez-le! Ne lui faites pas de mal! Bâillonnez-le, mais vous me répondez de sa vie sur la vôtre!

Elle lui montra l’heure à une petite pendule de Boulle sur la cheminée… C’était peut-être le seul objet qui fût resté debout dans le tumulte de la bataille…

– Quatre heures et demie!

Elle l’entraîna dans un cabinet de toilette, chercha la blessure sur sa poitrine; l’épée avait glissé le long des côtes; beaucoup de sang répandu pour une plaie sans gravité.

Elle procéda à un rapide pansement qu’il laissa faire sans dire un mot, car il rassemblait ses idées, tendait à nouveau les cordes de son piège un instant relâchées par un incident imbécile.

La blessure du front résultait d’un coup de «fouet». Il y colla du diachylum, ramena sa mèche dessus en bataille, ne s’occupa même pas du coup qu’il avait reçu au bras, remit son vêtement et courut à la petite porte secrète, suivi de Sonia qui lui donna le plus chaud des baisers, lui cria: «triomphe!» comme avait déjà dit la plus chaste des jeunes filles, et il disparut.

XII LES TREIZE CACAHUÈTES DU BARON D’ASKOF

Nous n’avons pas encore pénétré dans le charmant intérieur du baron et de la baronne d’Askof, lesquels habitaient un vaste appartement situé en face du square Monceau.

Le plus bel ornement de la famille était incontestablement Marie-Thérèse, l’amie de Lydie, une brune au teint ambré et rose, au profil très légèrement aquilin, au jeune front de volonté et aux grands yeux sombres singulièrement beaux, mais qui manquaient de douceur.

La mère de Marie-Thérèse était jalouse de sa fille. Elle trouvait insupportable d’avoir à ses côtés cette belle enfant qui lui volait des hommages. C’est surtout le second mariage de la baronne qui avait rompu tout lien de tendresse entre la mère et la fille.

Marie-Thérèse n’avait jamais pu voir Askof sans lui dire quelque chose de désagréable. Elle le trouvait bellâtre, vaniteux, inquiétant, sournois, redoutable.

Elle ne comprenait point que sa mère se fût laissée influencer par une «nature» aussi hostile; elle ne lui pardonnait surtout pas la rapidité avec laquelle la nouvelle union avait été contractée, après la mort tragique du père.