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Et, à propos de cet accident, Marie-Thérèse osait à peine s’avouer à elle-même que d’Askof, qui avait été du nombre des chasseurs, était capable de tout!

Cependant, il y avait eu une sorte de trêve entre la mère et la fille depuis quelques mois.

En fait, Marie-Thérèse était maintenant uniquement occupée de ses affaires à elle qui se résumaient toutes dans son amour pour Frédéric Héloni.

Les deux jeunes gens s’étaient rencontrés chez des amis communs et comme Marie-Thérèse fréquentait les mêmes cours que Lydie, les deux jeunes filles n’avaient bientôt plus eu de secrets l’une pour l’autre.

Cette nuit-là, Marie-Thérèse venait d’être surprise par la baronne dans le moment qu’elle répondait à Frédéric.

La dispute avait atteint aussitôt un diapason élevé.

– Vous me dites que Frédéric n’a pas le sou, mais Askof n’était pas riche non plus quand vous avez consenti à l’épouser! Vous dites qu’il n’en veut qu’à ma fortune… Askof a pris la vôtre et peut-être un peu de la mienne!

– Je sais depuis longtemps que je n’ai pas de plus cruelle ennemie que toi, mais je t’enfermerai dans un couvent jusqu’à ta majorité!

– En vérité! ma chère mère, je m’en échapperai, je vous le jure, pour crier partout que votre Askof a assassiné mon père à la chasse!

Véra reçut le coup et en fut si étourdie qu’il lui fut impossible d’abord de répondre. Elle jeta à sa fille un regard égaré et une teinte livide se répandit sur ses traits tout à l’heure enflammés. Enfin, elle reprit quelque force et quelque souffle pour s’écrier:

– Malheureuse! Comment oses-tu?

… Mais il était trop tard! Et sa fille ne le lui envoya pas dire:

– Trop tard, maman! Tu as avoué! Tu le savais, tu le savais! Mais moi, je ne le savais pas! Je m’en doutais tout simplement, et tu viens de me l’avouer!

– Je te jure, balbutia la mère éperdue.

– Ne jure pas! Papa t’entend! Papa t’entend! Sur ta part de paradis, ne jure pas! Tu comprends, maman, que je ne t’accuse pas! Non! Non! Ça non… Mais c’est lui qui l’a tué! Tu en es sûre comme j’en suis sûre maintenant! Et tu… Oh! je ne veux plus te voir!

– Et moi, gémit la baronne, je ne te connais plus! J’ai une fille qui délire, qui accuse sa mère, qui accuse son beau-père… et qui ne sait que me haïr… parce qu’on la prie de réfléchir avant de donner sa main à un intrigant en vérité!

– Ton Askof est un assassin et Frédéric est un honnête homme!

– Laisse-moi te dire… laisse-moi te dire que tu l’épouseras demain si tu veux! Tu feras tout ce que tu voudras!

À ce moment on frappa à la porte de la chambre de la jeune fille et une servante polonaise appela sa maîtresse. Le baron était rentré et demandait à voir à l’instant même la baronne.

Véra poussa un soupir, tourna vers sa fille une figure désespérée et, d’un pas traînant, elle sortit.

La porte se referma durement derrière elle. Elle eut la sensation qu’elle venait d’être jetée dehors comme une chienne.

Askof l’attendait dans sa chambre à lui.

Quand ils se virent, ils ne se reconnurent plus. Mais si elle était devenue en cinq minutes une chose laide et répugnante, son Georges avait une telle figure d’effroi, présentait un si pauvre visage de bête traquée à mort, que ce fut elle qui eût le premier cri:

– Qu’est-ce que tu as?

– Écoute, Véra, sais-tu ce qui m’arrive?

– Non! dis vite!

– Eh bien, ma petite… J’ai reçu treize cacahuètes!

Elle le regardait d’abord comme si elle n’avait pas bien entendu… et puis elle répéta d’un air hébété: treize? qu’est-ce que tu me dis? Treize?

– C’est lui-même qui me les a comptées! fit-il en se laissant glisser à côté d’elle sur un canapé qui reçut leur mutuelle, incroyable, extraordinaire terreur.

Maintenant, elle avait tout oublié de ce qui s’était passé entre sa fille et elle, rien n’existait plus pour elle que les treize cacahuètes!

Et elle entourait son Georges de ses bras tremblants.

– Qu’est-ce que tu as fait, mon pauvre petit? fit-elle en le regardant comme une mère peut regarder son enfant condamné à mort.

Il haussa les épaules:

– Est-ce que je sais, moi? Il me le dira ou me le fera dire peut-être avant que je crève!

– Tais-toi! tais-toi! ne dis pas cela! Si tu étais sûr de cela, tu ne me le dirais pas! Tu sais bien qu’il ne peut pas se passer de toi… Tu lui es trop utile! La dernière fois, il a bien pardonné! Il pardonnera encore cette fois!

Askof secoua la tête. «La dernière fois, il m’a averti. Il m’a dit que c’était “la dernière fois”! et, tu sais, quand il dit quelque chose! Enfin… que veux-tu? nous n’avons plus qu’à attendre!

– Mon pauvre petit! Mon pauvre petit! Et tu n’as pas essayé de fuir? Il eut un sourire sinistre.

– Où? Tu sais bien que si je n’étais pas rentré chez moi, directement, il me faisait régler mon compte! As-tu donc oublié ce qui est arrivé à Bastard? Sitôt qu’il eut reçu les treize, il a voulu prendre de l’air. Le lendemain, sa veuve allait reconnaître son cadavre au dépôt mortuaire! Non! vois-tu, je suis rentré!

– Mais nous ne serons donc jamais débarrassés de cet homme?

– Jamais!

– Mais il ne mourra donc jamais! Mais on ne le tuera donc jamais, lui!

– Le tuer! La mort lui obéit! Si tu savais! je ne t’ai dit que la moitié de ce que je sais de cet homme et moi-même je suis encore si ignorant de tant de choses qui constituent sa puissance! Tu souhaites qu’il disparaisse, malheureuse, tu souhaites par cela même notre ruine! Car crois bien qu’il a tout prévu et qu’il ne redoute nulle trahison. Un jour, il m’a dit: «Le lendemain de ma mort, même de ma mort naturelle, vous serez perdus, vous et les vôtres…

– Quel supplice! Ne me diras-tu donc jamais, Georges, ce que tu as fait pour être ainsi dans la main de ce monstre?

– Ce que j’ai fait! Il n’a eu qu’à ouvrir la main et j’y suis tombé! Je voulais de l’or et cette main en était pleine!

– Mais tout cet or, où le prend-il?

– Quand on a tous les secrets du monde, Véra, on a tout l’or du monde! Seulement, avec cet or, il m’a acheté! et sa main m’a retenu pour toujours! À cet homme, j’ai vendu mon âme et mon corps et mon intelligence, et mon cœur… et ma haine… oui, j’ai vendu jusqu’à cette chose sacrée: la haine! Écoute Véra, il faut que je te dise des choses, car demain… qui sait si demain je serai encore là pour te les dire?

– Tais-toi, Georges! tu ne le crois pas… et si cela arrivait, je te jure que je saurais te venger, moi!