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Véra réfléchissait profondément à tout ce qu’elle venait d’entendre…

– Ce qu’il y a d’extraordinaire, fit-elle, c’est qu’il ne se soit trouvé personne, sinon pour le dénoncer, du moins pour le signaler à la police, ce marchand de cacahuètes!

– Ma pauvre enfant! Le dénoncer à la police! On est venu vingt fois le dénoncer à la police… et pas seulement des gens de la bande… mais aussi des indicateurs officiels sont venus le dénoncer et aussi de braves bourgeois que les allures du père Cacahuètes inquiétaient, et encore des agents qui trouvaient ses manières suspectes. Ces gens-là sont allés trouver Cravely, le chef de la Sûreté, et lui ont signalé le vieillard! Cravely remerciait, faisait venir Papa Cacahuètes et lui disait:

«- Prenez garde, Cartel, vous allez être brûlé… On commence à se méfier de vous!

«Mais ma pauvre Véra, Papa Cacahuètes en est de la police à Cravely! C’est son principal indicateur. Il lui a donné assez de gages! Il lui a donné assez d’anciens bagnards qui avaient cessé de lui plaire! Papa Cacahuètes est le plus précieux auxiliaire de Cravely! Sais-tu ce que Papa Cacahuètes est pour Cravely? Un forçat en rupture de ban, nommé Cartel! Y es-tu?

«Et crois-tu que c’est fort, hein? un nommé Cartel, condamné à vingt ans de bagne pour escroquerie et tentative d’assassinat! qui est venu en France, qui a offert son travail au chef de la Sûreté et qui lui a rendu immédiatement de tels services que Cravely s’en est remis au père Cacahuètes, ma chère, de la surveillance du commandant Jacques!

«C’est là-dessus que Papa Cacahuètes a fourni au commandant Jacques deux héros qui ne le lâchent pas et qui l’avaient, du reste, accompagné au Subdamoun, les nommés Jean-Jean et Polydore… Eh bien “Papa” n’a pas caché à Cravely que ces deux types-là étaient eux-mêmes des évadés du bagne, et que, sous prétexte de surveiller le commandant, ils le gardaient pour la police dans laquelle ils rêvaient de faire une fin!

«Et c’est ce qui t’explique, ma petite, qu’on n’a pas touché aux deux mathurins en dépit de leur intervention un peu brutale au Parlement quand ils se sont rués dans l’hémicycle pour défendre leur commandant!

– Oh! fit Véra, vaincue, c’est génial!

– Tu as dit le mot, ma chérie… Non! il n’y a rien à faire contre lui! On n’a qu’à compter ses treize cacahuètes, qu’à écouter le sifflet de la mort et qu’à attendre ici le coup de foudre qui va peut-être me frapper! Le dénoncer à Cravely! Tu penses si Cravely doit rire! Il n’y a qu’une chose qui ne le ferait pas rire, Cravely! S’il recevait, par exemple, le secret qui est écrit là! (Et il montrait la place où il avait caché la lettre.) C’est à lui que tu le porteras, Véra!

– Pourquoi pas tout de suite?

– Parce que nous n’aurions plus qu’à disparaître… Attends donc que j’aie disparu! Cette lettre ne peut pas être le salut, elle ne peut être qu’une vengeance! et encore dans la main d’une personne qui sait que, sa vengeance accomplie, elle doit mourir!

XIII AIMER – MOURIR

Ils restèrent quelques instants silencieux puis Véra ne put retenir un gémissement désespéré.

– Quelle nuit! fit-elle, en se passant la main sur sa figure ravagée, vieillie, en quelques heures, de dix ans! Et sais-tu ce que me disait Marie-Thérèse avant que tu n’arrives? Que tu avais assassiné son père, à la chasse!

– Non!

– Ah! ce qu’elle te hait!

– Dame! répliqua Askof assez froidement, si elle croit que je lui ai tué son père? Mais c’est une idée qui ne me surprend guère… et que j’ai lue bien souvent dans ses mauvais yeux… Mais enfin, elle ne l’avait jamais encore formulée! Qu’est-ce qu’il lui a donc pris aujourd’hui?

– Je l’ai surprise écrivant et lisant des lettres d’amour.

– À qui? De qui?

– Frédéric!

– Frédéric Héloni?

– Oui, elle est férue de ce garçon, elle veut l’épouser! Au premier mot que j’ai prononcé pour l’en dissuader, elle m’a traitée avec une violence inouïe et m’a reproché mon second mariage et ton crime! C’est le mot dont elle s’est servi!

– Oui… Oui… C’est bon… Et alors?

– Et alors, je l’ai menacée de l’enfermer dans un couvent, puis, la voyant menaçante j’ai fini par lui dire qu’elle épouserait qui elle voudrait, que cela, après tout, m’était absolument égal!

Le baron avait son plus méchant sourire:

– Ces petites sont folles, dit-il. Décidément, le galon leur tourne la tête! Mlle de la Morlière aime Jacques, Marie-Thérèse aime Frédéric, c’est charmant, touchant, idyllique! Seulement, si elles savaient combien, au fond, ces beaux officiers se moquent d’elles et qu’ils n’en veulent qu’à leur galette!

– Tu as les preuves de cela, toi?

– Dans ma poche! les voici!

Et Askof tira de son portefeuille le coquet sachet qu’il avait ramassé sur la table du boudoir, sachet qui contenait les lettres de Jacques à Sonia Liskinne.

Il les fit passer sous les yeux de Véra qui ne put cacher le plaisir qu’elle prenait à cette lecture!

– Mais il y a tout ce qu’il nous faut là-dedans, s’exclama-t-elle… Il est impossible, en lisant ces lettres, de douter des liens qui unissent Jacques et Sonia… et, en ce qui concerne Frédéric, voici trois petits mots qui sont des plus explicites… La partie de campagne à quatre, hein? Jacques, Sonia, Frédéric et Lucienne Drice, l’actrice, et ces mots de Jacques: «Heureusement que Lucienne était fort occupée avec Frédéric; elle n’a pu rien entendre de notre conversation!» Ah! les pauvres petites chéries!

– Véra, je vais te prêter cela! Tu iras montrer ces lettres à Marie-Thérèse, mais il faut que Marie-Thérèse les montre aussi à Lydie! Voici comment tu vas t’y prendre; Marie-Thérèse te demandera de lui laisser pendant quelques heures ces papiers en sa possession… elle est très pieuse… Tu lui feras jurer sur le Christ qu’elle te rendra ces lettres après qu’elle les aura montrées à Mlle de la Morlière, tu lui feras jurer aussi qu’elle ne les montrera qu’à elle. Va, Véra, je t’attends!

La baronne ne se le fit pas répéter. Elle ramassa les lettres, les glissa dans le sachet et s’en alla frapper à la porte de sa fille. Marie-Thérèse lui ouvrit aussitôt.

La séance ne fut pas longue.

Sitôt que sa mère fut partie, Marie-Thérèse s’habilla, ouvrit sa porte et écouta. N’ayant entendu aucun bruit, elle se glissa dans le corridor, arriva au vestibule, la clef était dans la serrure. Marie-Thérèse fut bientôt sur le palier.

Elle descendit, demanda le cordon et se trouva dehors. Au coin de la rue un fiacre passait à vide. Elle appela, jeta l’adresse de la marquise du Touchais et monta.