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– C’est fait, dit Lydie en tendant le pli à Marie-Thérèse, va remettre toi-même ces enveloppes à Jacqueline et dis-lui qu’elle porte tout cela, au sortir de la messe!

– Et si j’écrivais un mot aussi à Frédéric! fit Marie-Thérèse subitement. Moi, je désire qu’il sache une chose, c’est que c’est lui qui me tue et que je ne lui pardonne pas!

Et elle écrivit:

«Frédéric, votre conduite et celle de Jacques nous ont enlevé le goût de la vie! Adieu donc, messieurs, et soyez heureux avec ces dames!

Un dernier conseiclass="underline" ne point pénétrer dans la chambre de Lydie avec de la lumière.»

XIV CHÉRI-BIBI ET LA FICELLE

M. Hilaire suivait donc le marchand de cacahuètes. Tout doucement l’autre s’était mis à remonter les quais.

Il ne devait pas être loin de trois heures du matin.

Des ombres singulières apparaissaient tout à coup et disparaissaient presque aussitôt, frôlant le père Cacahuètes qui, lui, ne paraissait s’étonner de rien, marchant toujours cahin-caha, son petit baril au bras avec l’allure d’une vieille qui revient de faire ses provisions.

De l’autre côté de l’eau, des coups de sifflet bizarres semblaient s’appeler et se répondre. La nuit était menaçante de mystère. Enfin M. Hilaire regrettait de n’être point couché tranquillement à côté de Mme Hilaire, son épouse.

Et cependant il venait de retrouver Chéri-Bibi!

Car c’était bien lui! Il ne pouvait plus en douter et les dernières paroles relatives à la morue espagnole dont il régalait jadis son ami avaient définitivement éclairci ses soupçons!

Chéri-Bibi, qu’il avait tant aimé, qu’il avait tant pleuré, était vivant! D’où venait donc que le cœur de M. Hilaire n’était point rempli d’une sublime allégresse?

Déchu moralement et physiquement, Chéri-Bibi n’était plus qu’une ruine! En vérité, cela, M. Hilaire osait à peine se le dire, au fond, tout au fond de son obscure conscience. N’eût-il point mieux valu pour Chéri-Bibi qu’il fût mort, mort héroïquement, superbement, dans l’incendie de la Falaise, sous les ruines fumantes de la maison du Touchais, ou au bagne quand il y était retourné, que de ressusciter à nouveau aux yeux attristés de la Ficelle (chut! de M. Hilaire) dans la lamentable carcasse d’un marchand de cacahuètes!

– Regardez-le, le pauvre, comme il traîne la patte! s’interpellait en douceur M. Hilaire… Si ça n’est pas à pleurer! Il doit être perclus de rhumatismes! Pourquoi n’est-il pas venu me trouver plus tôt? Sans doute parce qu’il avait honte… Je lui ferai une petite rente sans en parler à Mme Hilaire, pauvre Chéri-Bibi!

«Mais où va-t-il? Où va-t-il?»

«Ah! on entre dans le cul-de-sac historique» Oui. M. Hilaire reconnaît le cul-de-sac historique. C’est là que le duc d’Orléans fut assassiné au temps des Armagnacs. On était dans le quartier des Francs-Bourgeois, dans le quartier de M. Hilaire.

Quand M. Hilaire arriva au coin du cul-de-sac, qu’un pâle reflet de lune éclairait bien faiblement, il allongea la tête et vit Papa Cacahuètes en grande conversation avec un petit gars à casquette et à accroche-cœur sur les tempes, dont l’aspect seul causa à M. Hilaire une répugnance que nous renonçons à décrire.

«Voilà donc les gens qu’il fréquente maintenant!»

Le gars à casquette se trouvait entre les brancards d’une voiture à bras qui paraissait lourdement chargée de deux sacs. Il l’avait tirée jusque-là et, sans doute, attendait-il des ordres. C’est alors que Papa Cacahuètes lança un sifflement strident, qui fit bondir de l’ombre M. Hilaire, comme il lui arrivait autrefois quand Chéri-Bibi l’appelait pour une besogne pressée. M. Hilaire ne se rendit compte de la spontanéité touchante de son geste que lorsqu’il fut près de Papa Cacahuètes. M. Hilaire rougit dans l’ombre et Papa Cacahuètes se mit à rire à petits coups déplaisants en grinçant entre ses dents (car il les avait conservées toutes… une mâchoire terrible):

– Bravo! M. Hilaire!

L’épicier eut un haut-le-corps et fit un pas de retraite… Décidément, Chéri-Bibi allait le compromettre! il eut envie de lui souffler: «Ne me nommez pas, je suis dans mon quartier!»

Mais, après tout ce qu’il venait de voir, il était inutile d’apprendre à Chéri-Bibi qu’il habitait dans ce quartier-là!

«On ne s’est jamais rencontré, pensa-t-il, parce qu’il doit sortir pour aller vendre ses cacahuètes à l’heure où je me couche!»

Quand il eut fini de rire, le vieillard dit en montrant le jeune homme à la casquette:

– Monsieur Hilaire, je vous présente le jeune Mazeppa, employé chez un cafetier où il est chargé de vider les fonds de petits verres. Entre-temps, il fait mes commissions. Il vient de m’apporter deux sacs de cacahuètes que vous aurez la bonté de décharger avec moi, car Mazeppa est pressé, son patron le réclame! Je peux compter sur vous, monsieur Hilaire?

– Oui, oui! Mais comment donc!

M. Hilaire ne savait plus où se mettre. Ce fut bien autre chose quand M. Mazeppa, après avoir salué respectueusement Papa Cacahuètes, lui serra la main, à lui comme à un vrai «poteau».

Mais déjà Chéri-Bibi le mettait à la besogne.

Il dut soulever avec lui l’un des sacs. Jamais M. Hilaire n’aurait pensé qu’un sac de cacahuètes pouvait être aussi lourd!

Chose extraordinaire! Il pliait, lui, sous la charge, et Chéri-Bibi la soulevait sans effort apparent… «Tiens, tiens, pensa-t-il, il est moins déjeté que je pensais!»

Papa Cacahuètes avait poussé la porte basse de son caveau, car c’est là qu’il habitait, et il guidait l’expédition:

– Prends garde à te casser la margoulette, fit-il, de sa voix rauque… C’est déjà arrivé dans le temps, à c’t’endroit-là, au dab d’Orléans; pas la peine de r’commencer l’histoire, s’pas? Attention! Y a dix marches! dix marches à descendre, et nous sommes au premier étage!

Ils étaient dans une nuit profonde! M. Hilaire, suait, soufflait.

– T’as vieilli, la Ficelle! grogna le vieillard.

– Chut!

– Te demande pardon, monsieur Hilaire!

– Silence!

– Ben, comment veux-tu que je t’appelle?

– Ne m’appelez pas!

On entendit dans l’ombre comme une sorte de rugissement et M. Hilaire laissa échapper son sac qui continua de descendre sans lui!

– Remonte! fit la voix qui avait rugi.

M. Hilaire remonta à reculons, comme pour repousser l’agression de l’ombre.

Cependant, il parvint au niveau du cul-de-sac sain et sauf. Mais sous la clarté lunaire, la figure terrible du marchand de cacahuètes apparut, presque aussitôt.

Le vieillard était tremblant de fureur. Il s’en fut tout seul à la charrette qui dressait vers le ciel ses brancards suppliants; d’un seul effort et avec un «han» d’effroyable orgueil, Chéri-Bibi jeta sur son dos le second sac de cacahuètes: et alors, se retournant vers M. Hilaire et lui montrant l’extrémité de la ruelle où cliquetait la lueur blafarde du réverbère: