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Ils ne surent d’abord que se dire et leur trouble eût appris leur secret à un enfant.

Heureusement que le baron d’Askof était là pour sauver la situation.

Il protesta avec une joie bruyante, du plaisir de tous à revoir le Subdamoun. Il affirma que, depuis le premier jour, il ne manquait que Jacques pour qu’on pût se croire à l’une de ces petites fêtes intimes de l’hôtel du boulevard Pereire, fêtes qui n’avaient rien perdu de leur charme pour avoir été transportées jusque «dans l’antichambre de l’échafaud!»

– L’échafaud! murmura Jacques. C’est vrai! Mes pauvres amis! Me pardonnerez-vous?

– Nous vous remercions! s’écria un ci-devant… Nous vous remercions, car il n’était plus possible de vivre dans cette abominable époque!

– Ce n’est pas à nous à vous pardonner! interrompit encore Sonia… et elle ajouta, à mi-voix: «Ceux qui ont besoin du pardon l’ont déjà reçu, par mes soins et en votre nom…»

Ce disant, elle lui désignait le malheureux Lavobourg qui faisait une bien pitoyable mine dans son coin.

Le Subdamoun n’hésita point. Il s’avança vers lui et lui tendit la main. Lavobourg accueillit ce geste amical sans enthousiasme, car il eût oublié facilement toute l’horreur de sa propre traîtrise politique pour ne se souvenir que d’avoir été trompé par cet homme qui lui pardonnait!

– Allons! Lavobourg, dit Jacques, nous allons tous mourir, tous comparaître bientôt devant notre seul juge… Pardonnez-moi comme je vous pardonne!

Lavobourg fit signe de la tête que c’était une chose entendue.

Sonia fit asseoir Jacques près d’elle, et, persuadée qu’aucune des paroles échangées n’échappait aux oreilles de la police privée de M. Talbot, elle prit soin de conter avec une coquetterie légère et négligente l’emploi de son temps, en ces longues heures de captivité.

– Nous lisions les Mémoires de Mme Elliot! C’est épouvantable et charmant… Tenez, commandant! à vous de lire! Moi, je suis fatiguée!

Et elle lui remit le volume, en adressant au Subdamoun un coup d’œil qui le mit tout de suite en éveil.

Il comprit qu’il tenait entre ses mains le mystère qui le poursuivait depuis le matin.

Il ouvrit le livre, négligemment et sut ne marquer aucune surprise quand ces lignes lui sautèrent aux yeux:

«Commandant, la France n’a plus d’espoir qu’en vous, et cependant nous venons d’apprendre que vous avez refusé d’user du seul moyen d’évasion qui pourrait vous sauver! Vous n’avez point le droit, commandant!»

Il lut tout haut un passage…

– Plus loin! fit Sonia, j’ai déjà lu cela!

Et, se penchant vers lui, lui faisant sentir sa chaude haleine, le frôlant de son bras nu, elle feuilleta les pages… et encore ces lignes passèrent sous les yeux du commandant:

«Si vous le voulez, commandant, rien n’est perdu! vous pouvez encore sauver la France!»

Et plus loin:

«Vous n’avez pas le droit de vous refuser! Vous n’avez pas le droit de déserter dans la mort!»

Plus il lisait, et plus il était troublé, plus il se sentait faiblir dans sa sinistre résolution.

À la fin, il comprit que la véritable lâcheté serait de ne point tenter le suprême combat.

Sonia fixait sur lui des yeux ardents, où Lavobourg et Askof ne virent que de l’amour.

Seulement, si Lavobourg ne s’en montra qu’accablé, Askof sentit monter en lui le flot de la haine, et d’une impitoyable jalousie. Jusque sur les marches de l’échafaud, ce frère qu’il abhorrait venait lui voler les sourires et les regards de Sonia. Dans le moment que le baron croyait l’avoir reconquise, Jacques n’avait eu qu’à se présenter pour qu’elle lui échappât encore.

Jacques referma le volume et le tendit à Sonia qui retint à la fois entre ses mains le livre et la main de Jacques.

– Eh bien? Qu’en pensez-vous? lui demanda-t-elle, avec une intention certaine dans le regard.

Askof ne voyait plus que ces doigts qui se frôlaient, que ces mains qui se prenaient et, fou de rage, ne se maîtrisant plus, il allait se jeter sur le livre et le leur arracher des mains comme une brute, quand il fut devancé dans ce mouvement par l’intervention bien inattendue d’un prisonnier, auquel certainement personne ne pensait plus!

C’était M. Florent que le sentiment de la propriété et de son juste droit avait poussé jusque-là et qui, s’étant emparé du bouquin, proclamait d’une voix rauque: «Ce livre est à moi! je le garde!»

Toute la compagnie, stupéfaite, et bien naturellement offusquée, s’était levée; mais ceux qui, comme Sonia et le Subdamoun, et aussi comme M. Hilaire, connaissaient tout le prix de ce livre ne purent s’empêcher de trembler d’effroi.

M. Hilaire était accouru derrière M. Talbot, lequel ne comprenant rien à ce qui se passait exigeait des explications immédiates.

M. Florent ne se fit point faute de lui en donner.

– Monsieur le directeur, ce livre est à moi, et je le prouve! Il appartenait à ma bibliothèque circulante. Je l’ai cherché pendant des années… et je comprends maintenant comment je le retrouve ici, puisque je vois dans cette cour mon ancien client, M. Saw!

Mais déjà M. Saw était sur M. Florent et tentait de lui arracher le livre:

– J’ai acheté cet ouvrage! s’écriait M. Saw, avec toute l’indignation outrancière de la mauvaise foi… je l’ai acheté de mes deniers et je vous défends de me traiter de voleur!

– La preuve que vous êtes un voleur! tempêta M. Florent, je vais vous la donner! Il y a dans ce livre, une grande tache de café au lait que je saurai bien retrouver…

Et M. Florent allait ouvrir les Mémoires de Mme Elliot devant tout le monde et découvrir ainsi ce que nous pouvons appeler «le pot aux roses» quand M. Hilaire allongea la main à son tour et prétendit, lui aussi, à s’emparer du volume.

– C’est moi qui ai apporté ici cet ouvrage; je le remporte! fit-il, plus ému qu’il ne le voulait paraître.

Quant à Sonia, elle défaillait et il lui fallut s’asseoir quand elle vit le livre échapper aux mains tendues de M. Hilaire pour aboutir à celles de M. Talbot!

C’était M. Florent qui faisait ce beau coup-là!

– Tenez, monsieur le directeur! tenez! regardez vous-même si elle n’y est pas la tache de café au lait!

Et, cette fois, il ouvrit le livre, le feuilletant hâtivement!

M. Hilaire était blême; le Subdamoun, prêt déjà à recevoir ce nouveau coup de la fatalité, avait croisé les bras. Askof ricanait. Les quelques personnages qui avaient pu voir ou deviner, par-dessus l’épaule du lecteur et de la lectrice, une partie du mystère avaient le cœur étreint par une indicible angoisse…

Encore une seconde et la supercherie allait être découverte!