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– Vous êtes sûr de ces hommes?

– Comme de moi-même.

– C’est que l’autre, émit Talbot, plus bas encore, l’autre, c’est le Subdamoun!

– Mâtin! et il faut le tuer!

– Ordre de Coudry! Par le temps qui court, on n’est jamais sûr de rien! Il vaut mieux profiter de la tentative d’évasion pour en finir!

– Comment avez-vous su qu’ils devaient s’évader?

– C’est Askof qui a trouvé le moyen de faire prévenir Coudry. Ils devaient se jeter sur moi, me faire signer de force leur libération! Je l’ai échappé belle! Mais ne ratez pas le Subdamoun, hein?

– Sufficit! répliqua le lieutenant.

La tête de Talbot, la gorge, le cou de Talbot étaient à la portée de la main du terrible Chéri-Bibi; celui-ci n’avait qu’à allonger un bras et l’homme, accroché, étranglé, entraîné dans le boyau noir, eût fini d’expirer sur la poitrine du démon!

Jamais, au cours de son extraordinaire criminelle vie, Chéri-Bibi n’avait eu une pareille poussée de désir vers la gorge d’un homme.

Hélas! Chéri-Bibi ne tuait que lorsqu’il ne le voulait pas.

Dans l’affreux tourbillon de ses pensées, l’idée du danger dont il fallait à tout prix sauver le Subdamoun sauva Talbot. La gargouille s’en alla. Elle remonta la cheminée.

Chéri-Bibi avait une agilité de singe et de forçat.

Il calculait: «Il faut dix minutes à Hilaire, à Garot et Manol, pour qu’ils se débarrassent d’Askof dans le «parloir des parents». En ce moment ce doit être fait. Le Subdamoun doit commencer à se déguiser, à se mettre la fausse barbe… Dans cinq minutes, ils seront chez Talbot et Jacques est f…»

Mais il ne perdait point son temps… Comme un diable, il était sorti de sa cheminée…

La nuit, heureusement, était complètement venue.

D’en bas montait la rumeur de la soldatesque qui causait là en attendant les événements du lendemain et l’heure de conduire le Subdamoun et sa bande, après le procès, à l’échafaud. Chéri-Bibi aperçut les feux du bivouac tandis qu’il se laissait glisser le long de la haute cheminée après avoir enroulé sa corde autour d’un bras.

Tant de soldats dehors, tant de gardes dedans contre le Subdamoun! Toutes les forces réunies contre son fils! son fils qu’on allait assassiner s’il n’accomplissait pas, dans le moment, quelque chose de prodigieux!

Au long des gouttières qui surplombaient le quai de la Seine, il filait comme un chat.

Il grimpa sur un pignon, escalada sa cheminée avec la même rapidité qu’il avait descendu celle de la Tour de l’Ouest; il attacha sa corde, la lança dans le trou noir et descendit à son tour, comme une flèche.

Il sauta dans une cheminée, bondit dans une pièce. Il était dans la salle qui servait de cabinet de travail au président des assises quand celui-ci venait, avant un procès, s’entretenir avec les accusés provisoirement enfermés à la Conciergerie.

Cette pièce était entièrement semblable à celle qui servait de bureau au directeur. Sous cette pièce, il y avait le parloir des avocats, comme sous le bureau du directeur se trouvait le greffe.

Un petit escalier faisait également communiquer le cabinet du président des assises avec la salle des gardes.

Si le Subdamoun et Hilaire montaient cet escalier-là au lieu de monter celui qui conduisait à la Tour de l’Ouest, ils pouvaient encore être sauvés.

En tout cas, on essaierait, par la cheminée, par les toits!

Ce n’était plus la tranquillité du départ légal! C’était la poursuite avec tous ses aléas, ses dangers, son tumulte! mais enfin, Chéri-Bibi avait trouvé, dans son cerveau embrasé, qu’on pouvait encore tenter ça!

Il fallait arriver à temps et pouvoir avertir Hilaire, tout était là!

Chéri-Bibi se rua sur l’énorme porte qui fermait la pièce au haut de l’escalier.

Seigneur Dieu! la porte était ouverte. Il gagnait une minute. Tout doucement il l’entrouvrit. Une demi-obscurité propice lui permit de se glisser jusque sur le palier du petit escalier à rampe de fer.

Il fut là à plat ventre, épaississant à peine l’ombre, et regardant ce qui se passait, sous lui, dans la salle des gardes.

Il y avait, dans le moment, un assez fort remue-ménage qui ne pouvait être que favorable aux desseins de Chéri-Bibi.

Celui-ci, allongeant la tête au-dessus de l’escalier, cherchait Hilaire. Il l’aperçut au-dessous de lui, devant la porte du «parloir des parents».

Chéri-Bibi laissa tomber à ses pieds une cacahuète, dont le son fit que M. Hilaire redressa immédiatement la tête.

– Chut! fit au-dessus de lui Chéri-Bibi, le coup est manqué dans la Tour de l’Ouest. Mais venez me rejoindre dans la Tour de l’Est.

Hilaire se baissa, ramassa le fruit, l’éplucha et le mangea, ce qui signifiait qu’il avait compris.

Jamais Chéri-Bibi n’avait été si bien servi par les circonstances. On eût dit que, dans ce besoin extrême, elles se liguaient toutes pour le sauver de l’abîme où avait tenté de le précipiter ce brigand d’Askof.

Étant sûr d’avoir été compris, Chéri-Bibi qui, pour pouvoir être entendu de M. Hilaire, était quasi sorti de la cage de l’escalier, restant suspendu presque tout entier à un barreau, reprit son équilibre sur le palier et rentra tout doucement, continuant de se glisser comme une couleuvre dans le cabinet du président des assises. Or, quand il y fut, il entendit une voix qui disait au fond de l’obscurité: Vous apporterez de la lumière!

Chéri-Bibi poussa un sourd blasphème et referma la porte derrière lui.

Il venait de reconnaître la voix de Dimier, le président des assises.

S’il avait trouvé ouverte la porte du cabinet du président des assises, c’est que celui-ci, en visite à la Conciergerie, venait de la faire ouvrir. Et, pendant que Chéri-Bibi parlait à M. Hilaire, M. Dimier était entré dans la Tour de l’Est.

Et Chéri-Bibi, tout-à-coup, pensa que l’événement pourrait peut-être le servir.

Il ne pouvait douter que ce fût pour voir Garot et Manol, à la veille de leur procès, que M. Dimier avait fait ouvrir son cabinet. Donc, on ne s’étonnerait point dans la salle des gardes de voir Hilaire conduire celui que chacun prendrait pour l’un des bandits dans la Tour de l’Est et non dans la Tour de l’Ouest, puisque M. le président des assises l’y attendait.

Mais, quand le Subdamoun se trouverait en face de M. Dimier, qu’allait-il se passer?

Il fallait, coûte que coûte, que M. Dimier se prêtât à la combinaison.

Nous savons en quelle estime Chéri-Bibi avait M. Dimier. Il l’appréciait, en particulier, autant qu’il méprisait, en général, pour des raisons à lui connues, la magistrature.

Sans le connaître M. Dimier avait, dans un ouvrage sur les erreurs judiciaires, osé parler de l’innocence première de Chéri-Bibi. Enfin, non seulement M. Dimier était un magistrat intègre, mais un honnête homme qui ne pouvait qu’être écœuré par-dessus tout de la façon dont étaient conduites les affaires publiques.