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Il était temps. Une minute de plus et M. Dimier était sauvé et le Subdamoun était perdu. Chéri-Bibi regretta son bavardage. Le corps avait roulé sous le bureau. Chéri-Bibi avait soufflé la lampe. Le Subdamoun ne vit rien. Et Hilaire n’apprit le crime nécessaire que plus tard.

La porte repoussée et verrouillée les séparait maintenant de la horde des gardes civiques qui, conduits par Talbot et l’officier municipal, furieux d’avoir été joués, la bourraient de coups, se transformaient en catapultes et réclamaient des haches!

Dans l’ombre, le Subdamoun, qui ne comprenait pas grand-chose à ce qui se passait, se laissa attacher à une corde par une sorte de géant bizarre qui, penché sur lui, le maniait avec une grande douceur.

M. Hilaire lui ordonnait de se laisser faire.

À la lueur d’un rayon de lune, l’ombre inquiétante du géant disparut dans la vaste cheminée, grimpant comme un chimpanzé le long de la corde.

Alors, le commandant comprit qu’arrivé sur le toit, son singulier sauveur allait le hisser par la cheminée, comme un colis.

Les coups à la porte se faisaient terriblement furieux. La porte semblait prête à céder. En même temps que l’on entendait des clameurs de sauvages à l’adresse du commandant, des cris de mort destinés à M. Hilaire s’élevaient dans une cacophonie terrifiante.

Le Subdamoun, qui était le courage et l’honneur même, trouva le moyen de compliquer encore ce moment difficile.

Il sortit un petit couteau de sa poche, coupa la corde qui le liait et déclara qu’il ne consentirait à prendre le chemin de la cheminée que lorsque l’héroïque M. Hilaire, à qui il devait la vie, aurait sauvé d’abord la sienne.

M. Hilaire, naturellement, se prit à jurer comme un païen.

– Monsieur! exprima ensuite M. Hilaire, on ne me le pardonnerait jamais!

– Qui: on? demanda le Subdamoun.

– L’homme qui est là-haut, répondit simplement M. Hilaire, en essayant d’attacher le Subdamoun.

XXXII OÙ CHÉRI-BIBI RETROUVE SON FILS

Au haut de la cheminée, Chéri-Bibi halait à lui la corde. Il lui semblait entendre au pied de la tour une rumeur insolite. Sans doute était-on sorti de la Conciergerie pour avertir les gardes civiques qui se trouvaient sur le quai du drame qui se passait sur le toit.

Et soudain, des coups de feu retentirent; des balles vinrent ricocher sur le toit en poivrière.

La position devenait critique. Il fallait se hâter. Chéri-Bibi brassait la corde et enfin une tête, un corps apparurent. Chéri-Bibi le saisit avec une joie sauvage.

– C’est moi! fit la voix haletante et assez inquiète de M. Hilaire.

Il y eut sous le ciel noir un hurlement de fureur et Chéri-Bibi rejeta M. Hilaire dans la cheminée!

M. Hilaire arriva en bas avec un grand fracas et dans un assez piètre état. Il avait les mains et le visage en sang et se plaignait de maux de reins.

– Là! qu’est-ce que je vous avais dit? fit-il au Subdamoun qui déplorait l’événement, cependant que la porte, sous l’assaut furieux du dehors, commençait à céder.

Mais le commandant n’eut point le temps de plaindre M. Hilaire: il fut entraîné, emporté, ficelé comme un paquet par le démon redescendu du ciel et hissé dans le moment que la porte sautait enfin de ses gonds.

On tira des coups de fusil dans la cheminée. Par un miracle, ils ne furent atteints ni l’homme ni lui.

Une décharge, partie des quais de la Seine, les accueillit encore à leur sortie de la cheminée. Là non plus ils ne furent point touchés! L’homme avait pris le Subdamoun dans ses bras. Il le serrait sans brutalité, presque avec tendresse. Il glissa avec lui jusqu’à la gouttière.

– Nous sommes sauvés! dit l’homme.

Le Subdamoun n’en crut pas un mot, mais tout de même il admira l’homme. Celui-ci l’avait poussé du côté opposé au quai, le mettant ainsi à l’abri des salves tirées par les gardes civiques et aussi des entreprises de quelques vieux gardes de la Conciergerie qui se montraient aux mansardes des toits.

L’homme accrochait le grappin de sa corde à une gouttière et la laissait pendre sur des toits en contre-bas. Puis il mit cette corde entre les mains du Subdamoun. Le commandant comprit qu’il devait se lancer dans le vide.

La corde se balançait sous le poids. Enfin le Subdamoun prit pied.

L’homme, pour ne point se séparer de sa corde, en détacha le grappin, l’enroula autour de son épaule et se laissa tomber le long d’une gouttière avec une adresse surprenante.

Il fut aux côtés du Subdamoun assez à temps pour l’empêcher de faire un mauvais pas qui eût pu lui être fatal.

L’obscurité étant presque complète, il ne comprenait point comment l’homme voyait des choses qui restaient indistinctes pour ses regards à lui, cependant exercés au danger.

On se trouvait dans un véritable chaos de toits et d’ombres. Des cheminées surgissaient tout à coup comme autant d’ennemis qui les guettaient.

Parfois le Subdamoun ne parvenait point à dissimuler un tressaillement parce qu’il avait été surpris. Alors l’homme lui disait: «N’ayez pas peur!» Et puis, tout à coup, il se reprenait. Il disait: «Je vous demande pardon!» Il était honteux d’avoir recommandé au Subdamoun de ne pas avoir peur!

Le Subdamoun comprenait cela et il était touché.

Il n’avait pas vu le visage de l’homme, même dans l’ombre; il était sûr de ne pas connaître son sauveur.

Tout d’abord, il ne s’étonna point outre mesure de ce dévouement anonyme. Sur les champs de bataille, il avait été à même de juger le besoin qu’ont les humbles de se dévouer corps et âme aux chefs. Celui-là était sans doute un obscur soldat de la grande bataille civile que le Subdamoun avait menée contre les pouvoirs établis.

Tout de même, ce qui se passa sur les toits devait lui donner la plus haute idée non seulement de la force, mais encore de la tranquillité d’âme avec laquelle son sauveur supprimait tout obstacle pouvant gêner leur fuite.

L’homme avait dirigé cette fuite de façon à s’éloigner le plus vite possible des parages du quai, où l’on continuait à tirer des coups de fusil. Et, vaguement, le commandant se rendait compte qu’à travers les mille méandres de ces toits et gouttières parmi lesquels son étrange cicérone se mouvait comme chez lui, tous deux tendaient à atteindre un point donné.

Un orage venait d’éclater. La pluie se prit à tomber à torrents.

L’homme défit son vêtement qui ressemblait à peu près à une pèlerine et le jeta sur les épaules du Subdamoun.

Chose curieuse, le Subdamoun rejeta le manteau avec horreur. L’homme s’en aperçut et eut un gémissement:

«Je vous demande pardon!» dit-il humblement.

– Je ne veux pas vous en priver, fit le Subdamoun en le ramassant et en lui tendant le vêtement. Vous en avez autant besoin que moi.