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– Après? Après? gronda Chéri-Bibi qui se mordait les poings.

– Eh! j’cavale! Attendez un peu, patron! Ces messieurs venaient perquisitionner chez Hilaire, du club de l’Arsenal, qui avait fait fuir le Subdamoun, qu’ils disaient! Il n’y avait pas cinq minutes qu’ils étaient dans la bicoque qu’ils échangeaient des coups de flingots et de revolver avec Jean-Jean et Polydor, sortis de leur trappe pour les empêcher de descendre dans la cave! Les commis se sauvaient de tous côtés en poussant des hurlements. Je m’dis: ça va mal tourner; puisque je n’sais pas où est l’patron, j’vas toujours aller avertir le bougnat! Dare-dare, j’me suis carapaté à la recherche du lieutenant, qu’j’ai vu entrer par les derrières de la tôle où on l’attendait avec le Subdamoun en personne! L’bougnat m’avait vu; il est redescendu et je suis revenu ici, avec lui, dans l’auto! Pensez s’il a perdu son temps! On faisait du cent vingt; por sûr! Mais ici, il faisait déjà chaud. Furieux de ne pas pouvoir descendre dans la cave, les officiers municipaux avaient déjà fichu le feu à la boutique! Et les bonnes femmes, en bas, qui hurlaient! J’entendais la voix de Mme Hilaire qui criait au secours comme si déjà elle n’était plus qu’une braise! Pauvre Mme Hilaire! il n’y a qu’elle dont on ne s’est pas occupé! Elle n’crie plus! De profundis!

– Et la marquise? râla Chéri-Bibi.

– Ah! la marquise! on ne l’entendait pas! C’est du monde qui ne crie jamais, même quand il y a le feu, patron!

– Était-elle blessée?

– Est-ce que j’sais, moi, est-ce que j’pourrais vous dire? Sûr que lorsque je l’ai vue dans les bras de Jean-Jean, elle avait l’air plus morte que vive!

– Si elle est morte, j’vous crève tous! gronda Chéri-Bibi, les poings serrés.

– Mais pisqu’on vous dit que Jean-Jean l’a sauvée! Tenez, la v’la!

Chéri-Bibi fit un bond terrible par la fenêtre. Lui aussi venait d’apercevoir la marquise du Touchais, ou plutôt son corps pantelant dans le plus tragique décor qui se pût concevoir, et toujours dans les bras du fidèle Jean-Jean! Celui-ci, poursuivi sur les toits par les gardes civiques et voyant sa retraite coupée, s’était vu dans la nécessité de revenir vers les murs branlants de la fournaise.

La minute était terrible.

Le dernier espoir de Jean-Jean l’avait poussé évidemment du côté de la ruelle où il savait qu’il trouverait la retraite du bougnat! Mais cette retraite, comment l’atteindre?

Bien que le feu, depuis quelques instants, eût diminué d’intensité en cet endroit, le groupe formé par Jean-Jean et la marquise n’en paraissait pas moins fort aventuré dans le coin de cette croisée du dernier étage que venait lécher encore de temps à autre les flammes.

Des coups de fusil avaient accueilli la sortie de Chéri-Bibi et, des deux côtés de la ruelle, les gardes civiques se précipitèrent, en dépit de la chaleur atroce.

Mais cette double ruée sauva notre bandit. En effet, quand les gardes se virent en face les uns des autres, ils cessèrent le feu pour ne point s’entre-tuer. Chéri-Bibi en profita pour achever sa course et sauter dans cet enfer, où il disparut.

Alors, quelques-uns des gardes se jetèrent vers la porte du bougnat où ils savaient que le resté de la bande s’était réfugié.

Ils n’y trouvèrent plus personne, mais découvrirent le couloir souterrain par lequel les trois hommes s’étaient certainement échappés, emportant Mlle de la Morlière et Marie-Thérèse.

Après avoir déchargé leurs armes dans cet étroit boyau, ils avancèrent à tâtons et se heurtèrent tout de suite à deux corps qui avaient roulé par terre.

Ils les tirèrent à eux jusque dans la boutique. C’était Polydore, qui avait reçu une balle dans le dos et qui paraissait à son dernier spasme. On eut toutes les peines du monde à lui arracher le corps de la pauvre femme qu’il avait voulu sauver.

Lydie, au milieu de ce carnage et de ces lueurs d’incendie, ouvrit les yeux:

– Chouette! s’écria un officier municipal, voilà une bonne prise: c’est la fiancée du Subdamoun!

Satisfaits de leur besogne de ce côté, ils se rejetèrent dans la ruelle qui, dès lors, fut envahie par la foule, les pompiers et les soldats. On s’y écrasait. On s’y brûlait aussi.

Des clameurs de diverses natures se faisaient entendre, car un coup de feu venait d’atteindre l’homme qui tenait la marquise dans ses bras; et beaucoup de ceux qui étaient là protestaient contre les exécuteurs d’une aussi abominable consigne.

Jean-Jean était visiblement touché. Il s’accrochait désespérément à une barre de fer tordue par les flammes et dont la chaleur lui avait arraché un cri suprême de douleur.

Mais, déjà, il basculait sans qu’il eût lâché son fardeau et l’on s’attendait à le voir s’écraser sur le pavé avec la marquise quand, dans le cadre de cette même croisée, surgit un furieux démon. Cet être extraordinaire, qui paraissait vomi par le feu comme le génie du feu même, arriva juste à temps pour arracher à Jean-Jean la pauvre douairière, dans la seconde même où celui-ci, victime de son dévouement au «Grand Dab», accomplissait sa suprême pirouette: il s’abîmait au milieu d’un brasier qui jeta, sous son poids, une véritable gerbe de feu d’artifice.

Pendant ce temps, l’homme sorti du feu y rentrait avec sa proie. Des flammes, des coups de fusil, des balles qui sifflent à ses oreilles, au-dessus de lui, autour de lui, une horde qui le poursuit, un brasier à ses pieds, un ciel d’enfer sur sa tête, mais Cécily sur son cœur!

Chéri-Bibi est aux anges! Chéri-Bibi est dans le paradis!

Il remercie le ciel, au centre de cette furieuse bataille qu’il livre aux hommes et aux éléments, de lui avoir réservé un pareil bonheur!

Certes, cela compte, une journée pareille, où il lui était réservé, à lui, le paria de toutes les sociétés, d’entendre battre, sur sa poitrine, la vie de ces deux êtres adorés: son Jacques et sa Cécily!

Ah! Cécily! Cécily! sa femme! sa femme adorée, sa femme évanouie qu’il pouvait presser sur son formidable, ignoble sein après tant d’années, tant d’années de misère morale passées à se dire: «Je ne l’approcherai plus!»

Il la berce dans ses bras comme une mère son enfant qui dort. L’incendie qui les entoure est moins chaud que l’ardent charbon du cœur de Chéri-Bibi, lequel brûle, pour Cécily, éternellement, comme l’enfer, sans se consumer.

Seigneur Dieu! l’homme a vivement profité d’un rideau de feu pour embrasser cette femme! Ah! les lèvres de Chéri-Bibi sur le front blanc de la sainte, dans cette cathédrale de flammes!

Chéri-Bibi hurle de joie, halète, grogne, danse de bonheur sur les briques brûlantes!

Il apparaît, disparaît, réapparaît, embrasse son fardeau, le dresse vers le ciel, le rejette sur son cœur, et saute avec lui dans quelque trou de mansarde au-dessus duquel les visages effarés des poursuivants se pencheront et n’apercevront rien!