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– Mangez mes cacahuètes! En voilà encore que les Versaillais n’auront pas!

Le cortège avait tourné sur la gauche, gagnant, comme toujours, par le boulevard Sébastopol, les grands boulevards.

M. Hilaire ne voyait, n’entendait plus que le fantasque vieillard qui agitait son panier vide.

Certes! il avait eu raison de ne point douter de Chéri-Bibi. Sans doute, celui-ci eût mieux fait de ne point rejeter la Ficelle dans la cheminée alors qu’il en était si heureusement sorti; mais ce geste de colère, si excusable en l’occurrence, devait être naturellement racheté par quelque entreprise héroïque qui arracherait M. Hilaire au bourreau.

M, Hilaire, cependant, s’impatientait de voir le chemin «se raccourcir», mot affreux qui lui vint à l’esprit et lui fit faire la grimace, quand son attention fut attirée par de singuliers mitrons qui vendaient des brioches.

Il y avait là, en effet, plusieurs établissements de pâtisserie. À l’époque qui nous occupe, ils avaient acquis une grande prospérité et les temps malheureux que l’on traversait n’avaient point atteint leur commerce.

Les jours de fête, ces pâtisseries chargeaient des mitrons extra d’écouler dans la foule leur marchandise toute chaude.

Ce matin-là, ils étaient plus nombreux que de coutume et faisaient entendre au-dessus du tumulte général d’étranges interpellations qui cessèrent, du reste, dès que le marchand de cacahuètes eut jeté son panier vide en l’air, dans leur direction.

Dès lors, M. Hilaire ne douta plus que le moment utile fût arrivé.

L’endroit paraissait, du reste, bien choisi. Les charrettes passaient en contrebas d’un perron sur lequel s’étageaient de vieilles rues qui n’avaient pas changé d’aspect depuis plus de deux cents ans. Des hauteurs du perron une troupe de partisans déterminés pouvait tenter, avec quelque chance de succès, de se jeter sur le cortège et d’y faire, par surprise, de la bonne besogne.

Il voulut avertir d’un signe M. Florent mais il s’aperçut que le marchand de papier à lettre s’était affalé sur l’épaule de l’ex-marchand de parapluies. M. Barkimel, lui, paraissait complètement avachi.

M. Hilaire, en faisant rapidement des yeux le tour de la voiture, aperçut la figure rayonnante de Sonia et fut frappé de l’éclat qu’elle avait mis dans son regard. Il suivit ce regard qui se dirigeait vers un point et il découvrit là, à une fenêtre, qui dominait l’étrange foule bruissante dans l’étroit carrefour, une physionomie dont l’aspect lui fit pousser une sourde exclamation:

– Le Subdamoun!

Il n’y avait pas à en douter: le commandant Jacques était là, et s’il était là, il ne devait pas y être seul. Le renfort, en tout cas, ne pouvait être loin.

«Il y a du bon», pensa M. Hilaire qui n’avait jamais cru sérieusement qu’il pût mourir sur l’échafaud ou, tout au moins, qui avait toujours rejeté cette perspective comme lui étant particulièrement désagréable.

Et voilà que, juste dans le moment que l’espoir tenace de la délivrance renaissait en lui, le Subdamoun fit un signe à la suite duquel mille clameurs s’élevèrent.

Les mitrons, qui semblaient commander à cette foule, escaladèrent la balustrade de la haute rampe et se jetèrent sur la chaussée, suivis d’une centaine d’individus à figures farouches qui agitaient les armes les plus hétéroclites. Des coups de feu partirent de tous les côtés. Des gardes civiques tombèrent. Une bataille acharnée se livra autour de la première charrette.

Sonia haletait aux péripéties de l’atroce mêlée; elle put voir le Subdamoun, lui-même, qui, debout près de la rampe, maintenant, dirigeait le combat.

Les gardes, surpris, tout d’abord, durent reculer. Il y eut un flottement dans la marche du cortège. La première charrette se trouva séparée des autres.

M. Hilaire cherchait déjà comment il allait pouvoir se jeter hors de sa voiture. Le marchand de cacahuètes avait disparu. Tout à coup, M. Hilaire se sentit terriblement accroché à l’épaule par une poigne formidable qui venait du dehors. Il n’eut garde de résister et se laissa emporter par cette puissance irrésistible. Seulement, le sectionnaire qui était dans la voiture, non loin de lui, lui allongea un grand coup de baïonnette en pleine poitrine, ou du moins qui visait la poitrine et qui glissa sous le bras.

Comme M. Hilaire bascula, alors d’étrange façon, les pieds en l’air, le sectionnaire put croire que son coup avait porté et qu’il avait étripé son prisonnier dont il ne s’occupa plus.

Il avait, en effet, autre chose à faire. Les condamnés étaient devenus comme enragés et, bien qu’ils eussent les pieds et les poings liés, ils se laissaient tomber de tout leur poids sur leurs gardes pour les empêcher de faire usage de leurs armes.

Le resserrement dans lequel tout le monde se trouvait aidait cette manœuvre et l’on entendait des sectionnaires hurler de douleur parce qu’on les mordait!

Il serait difficile de rendre compte exactement du degré de confusion qui régnait alors.

Les cris des blessés et des mourants, ceux de la foule piétinée, les cavaliers désarçonnés et ces brigands de mitrons, dans lesquels un œil militaire exercé eût reconnu beaucoup d’hommes de la coloniale dévoués au Subdamoun, tout cela faisait un tapage d’enfer, cependant que le massacre des sectionnaires allait bon train.

Tout de même la troupe arriva à se reformer autour des trois derniers camions qui furent rapidement dirigés vers la place de la Révolution par un détour.

Quant à la première voiture, on put croire qu’elle était définitivement aux mains des assaillants. Elle fut à eux quelques secondes. Une roue s’étant détachée, la cargaison humaine roula à terre, à l’exception cependant de Sonia et de Lavobourg qui, instinctivement, s’étaient raccrochés aux barreaux du fond près desquels ils se trouvaient.

C’est ce qui les perdit.

MM. Florent et Barkimel, eux, avaient roulé avec les autres. C’est ce qui les sauva.

Ils restèrent un temps étendus sur le pavé et on ne s’occupa pas plus d’eux que s’ils étaient morts.

La première charrette était venue ainsi s’échouer au coin du trottoir. Le Subdamoun, qui était descendu dans la mêlée, s’apprêtait à s’élancer et déjà Sonia pouvait se croire sauvée, quand il trébucha sous la rude poussée du vieillard aux cacahuètes. Chéri-Bibi le maintint quelques secondes ainsi à terre dans l’instant même qu’une terrible décharge éclatait.

C’était un poste qui accourait, commandé par le général Flottard lui-même (il s’était fait décerner le grade, la veille).

Sans Chéri-Bibi, qui avait entravé son élan, le Subdamoun eût été littéralement passé par les armes.

Dès ce moment, il n’y eut plus moyen de lutter. Des gardes civiques s’étaient rués sur les deux prisonniers qui restaient et avaient fait monter Sonia et Lavobourg dans une auto-limousine qui était abandonnée là et sur le siège de laquelle monta Flottard qui se mit au volant.