Il jura de conduire lui-même ces illustres victimes à la guillotine, et, entouré d’une troupe de près de deux cents gardes à cheval, il partit à petite, mais sûre allure.
Aucun incident ne se produisit jusqu’à la place de la Révolution.
Ainsi le destin voulait que ces deux êtres qui eussent pu se haïr à cette heure suprême, fussent réunis dans la mort. Ils se regardèrent… Dans leurs yeux à tous deux, la lueur du pardon passa. Sonia dit à Lavobourg:
– Prions! mon ami.
Et ils prièrent. Elle dit encore à Lavobourg:
– Pardonnez-moi comme je vous ai pardonné. Il lui répondit:
– Je vous aime, et c’est vous qui devez me pardonner.
Une clameur de rage et de malédiction les accueillit tous deux quand ils eurent gravi l’escalier et qu’ils se trouvèrent sur la fatale plate-forme.
Tout ce qui restait de la révolution plus qu’à demi-vaincue s’était donné rendez-vous là, pendant que le bruit du canon des Versaillais ne cessait de se rapprocher.
– Une heure plus tard, nous étions peut-être… fit Lavobourg…
De toute évidence, il voulait dire: «Nous étions peut-être sauvés», mais il n’eut point le temps d’achever sa phrase, les aides du bourreau l’avaient entrepris et jeté sur la bascule.
Le couteau tomba.
Sonia détourna sa tête pâle et dorée. Les clameurs s’étaient, une seconde, tues. Alors, Sonia entendit un sanglot quelque part dans la foule.
– Il est là! se dit-elle.
Et elle se fit plus grande encore et plus belle en attendant que le bourreau la fît plus petite.
Ce ne fut pas long… Sa tête alla rouler parmi d’autres têtes dans l’horrible panier…
XXXV IL N’EST POINT SI BONS AMIS QUI NE SE QUITTENT
Trois semaines plus tard, la révolution n’était plus qu’un souvenir.
Elle avait été aussi rapidement vaincue qu’elle avait mis de précipitation à tout vouloir dévorer.
Les vainqueurs prirent garde de ne se point livrer aux excès qui avaient suivi la ruine de l’ancienne «Commune»… Ils furent les premiers à s’opposer aux représailles et aux exécutions, sauvèrent la vie de quelques otages et firent restaurer les vieux monuments que les énergumènes avaient commencé de pétroler.
On laissa filer les gens de Coudry à l’étranger et on permit à Coudry lui-même de franchir la frontière.
En attendant que l’Assemblée eût fait place à un nouveau Parlement chargé de réviser la Constitution, la présidence de cette Assemblée avait été donnée au Subdamoun lui-même.
L’hôtel du Marais avait repris son aspect coutumier. Jacques y avait retrouvé sa mère, qui y avait été elle-même transportée dans des conditions qui restaient encore pour elle, comme pour tout le monde, des plus mystérieuses.
Enfin, elle était sauvée, et son fils et la fiancée de son fils également, n’était-ce point le principal? Frédéric Héloni lui-même était venu habiter auprès de sa fiancée Marie-Thérèse, et tout ce monde-là eût pu être bien heureux si le Subdamoun, à qui tout désormais semblait sourire, n’eût montré une figure des plus tristes, un front qui s’assombrissait tous les jours.
Lydie n’osait point le questionner. La jeune fille, comme la marquise et comme Frédéric lui même, pensaient que la fin tragique de Mlle Liskinne ne devait pas être étrangère à de si lugubres pensées.
Cependant le Subdamoun ne parlait jamais, même à Frédéric, de Sonia, et il n’était même point allé faire un pèlerinage à l’hôtel du boulevard Pereire, qui était resté fermé et devant lequel les Parisiens passaient avec respect comme devant un tombeau.
Autour de l’hôtel, la vie avait repris ses aspects d’autrefois. Seul un débit restait obstinément fermé, c’était le fameux comptoir de M. Petit-Bon-Dieu fils. On ne savait ce que le patron était devenu. Depuis l’arrivée des Versaillais, on n’avait plus revu dans le quartier son inquiétante trogne.
Cette nuit-là, il pouvait être deux heures du matin quand deux ombres, longeant les murs, s’avancèrent l’une vers l’autre. La première, qui paraissait la plus petite et toute recroquevillée sur elle-même, venait des fortifications, la seconde descendait des hauteurs de la rue de Rome et venait de traverser le pont du chemin de fer.
Elles arrivèrent presque en même temps devant la porte close du débit et s’arrêtèrent d’un même mouvement.
Les abords étaient déserts. La plus petite ombre se prit à travailler la serrure. L’autre faisait le guet. Enfin, la porte s’ouvrit; les deux ombres se glissèrent dans la boutique, la porte fut refermée; une lanterne sourde jeta son rai de lumière et Chéri-Bibi dit:
– Assieds-toi, la Ficelle, je vais faire le tour de la cambuse.
– S’il y a quelqu’un ici, répliqua la Ficelle, ils doivent être morts, car on n’a jamais fait si peu de bruit.
Il entendit le pas traînant de Chéri-Bibi qui gravissait l’escalier de l’arrière-boutique; là-haut il y eut des portes ouvertes et refermées, puis le silence, et tout à coup, Chéri-Bibi réapparut:
– J’ai fait un tour jusque dans l’hôtel. Tout est tranquille. Nous pouvons causer.
– Qu’est-ce qu’est devenu Petit-Bon-Dieu? demanda la Ficelle.
– J’allais te le demander!
La Ficelle toussa: «Pourrais-je demander aussi à monsieur le marquis pourquoi il a choisi cet endroit délaissé et lointain et cette heure tardive à laquelle un honnête épicemard dort depuis longtemps pour donner rendez-vous à son serviteur?»
– C’est pour ne point te compromettre, mon brave la Ficelle, répliqua Chéri-Bibi en s’asseyant en face de son «poteau» et en lui caressant la main d’une tape.
– Monsieur le marquis est bien bon!
– Appelle-moi donc Chéri-Bibi comme autrefois: la voix d’un ami est douce à entendre…
La Ficelle recula légèrement; il n’aimait point beaucoup ces sortes d’attendrissement de celui qui, depuis tant d’années, n’avait jamais cessé au fond d’être son maître… Qu’est-ce qu’il allait encore lui demander? Est-ce qu’il n’était pas entendu que tout était fini, tout réglé? L’autre jour, Chéri-Bibi ne lui avait-il pas dit avec un soupir, après l’avoir délivré du bourreau: «Va, maintenant, mon bon la Ficelle, tu as bien gagné de vivre heureux et tranquille: nos aventures sont terminées!»
Chéri-Bibi s’était levé en proie à une singulière émotion; il revint avec une bouteille et deux verres et versa à la Ficelle un cognac de choix.
– Comment vont les affaires? demanda-t-il de sa voix la plus sympathique.
– Mon Dieu! fit la Ficelle, elles reprennent tout doucement. Il n’y manque, hélas! que cette pauvre Mme Hilaire!
– Tu n’en as toujours point de nouvelles? interrogea Chéri-Bibi sur un ton qui plaignait sincèrement la Ficelle.