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– Que si! que si! j’en ai des nouvelles! et c’est bien ce qui m’afflige, expliqua M. Hilaire en soupirant. Ah! c’est un grand malheur, il n’y a plus de doute, maintenant: elle est bien morte!

– Mon Dieu! est-ce possible?

– Ah! c’est sûr! brûlée vivante, la pauvre enfant!

– Ne pleure pas, la Ficelle!

– Je n’ai plus retrouvé d’elle qu’une moitié de bottine à demi calcinée et son chignon à peu près roussi. Le reste ne faisait plus qu’un petit tas de cendre que j’ai recueilli pieusement dans un bocal et que j’ai déposé sur le marbre de ma table de nuit! Une si honnête femme, monsieur le marquis, et si commerçante! C’est affreux! Vous me croirez si vous voulez, mais je passe mon temps à soupirer devant mon bocal!

– Tu finiras par «te miner», exprima Chéri-Bibi en lui reversant un petit verre… Vois-tu, quand on a laissé le regret passer la porte, il a bientôt envahi la maison! Je serais à ta place, moi, je changerais d’air!

«Aïe! pensa M. Hilaire, nous y voilà! Que va-t-il me proposer?»

– Je suis de ton avis, la Ficelle, ta femme était une maîtresse femme, et tu ne pourras jamais la remplacer. Sans elle, tu ne manqueras point de faire faillite!

– Eh là! Eh là! n’exagérons rien! osa prétendre la Ficelle, qui regrettait maintenant d’avoir étalé un aussi vaste désespoir conjugal… je suis un homme, que diable!

– Crois-tu? Sans compter que dans le quartier, avec tes idées politiques du temps de la révolution, tu as dû te faire pas mal d’ennemis…

– Eh! protesta la Ficelle, j’ai rendu service à tout le monde!

– Le monde est ingrat!

– Aussi je ne lui demande que ce qu’il peut donner. Je n’avais que deux amis: MM. Barkimel et Florent. Ils ont disparu dans la tourmente. Je saurai m’en consoler, bien que j’aimais à voir apparaître leur bonne figure à l’heure du petit vin blanc du matin! Quant aux autres, ils viendront comme par le passé, car le monde, monsieur le marquis, le monde ne résiste point à la bonne marchandise! C’est là tout le secret du commerce… ça n’est pas sorcier!

– Enfin, je vois qu’en dépit de la disparition tragique de votre épouse, monsieur Hilaire, vous tenez toujours à vendre vos pruneaux!

Hilaire pâlit, mais il rassembla son courage:

– Oui, monsieur le marquis, avec votre permission!

– C’est bien! fit Chéri-Bibi en se levant… Je n’ai plus rien à te dire… La Ficelle était bouleversé. Il eut un mouvement de rage enfantine.

– Je ne sais pas de quel bois vous êtes fait, monsieur le marquis, mais moi, à mon âge, j’éprouve le besoin de me reposer dans un état honnête et considéré! Je l’ai bien mérité, et si vous me permettez de vous donner mon avis, vous aussi, monsieur le marquis, vous devriez vous en tenir là! Prenez garde qu’un dernier coup ne vienne tout démolir d’un si bel édifice!

– C’est la sagesse même qui parle par ta bouche, grogna Chéri-Bibi, et tu jaspines avec une éloquence si étonnante que je ne m’étonne plus de tes succès au club, mais je vais te dire une chose: une seule: Si je ne fais pas ce dernier coup-là, tout est perdu, et le reste n’aura servi de rien!

– Monsieur le marquis se fait peut-être des idées… ça lui est arrivé quelquefois!

– Ne dis jamais une chose pareille! glapit Chéri-Bibi en lui étreignant le poignet à le faire crier… Non! Non! Chéri-Bibi ne s’est jamais fait d’idées! Chéri-Bibi n’a jamais tué que lorsque c’était nécessaire!

M. Hilaire recula tout pâle…

– Alors, demanda-t-il en tremblant, il y en a encore un qui vous gêne?

– Deux!

Il y eut un gros silence entre les deux hommes: ce fut M. Hilaire qui reprit le premier la parole:

– Ah! là! là que c’est embêtant! dit-il en se claquant la cuisse.

– Tout de même, je ne vous forcerai pas, monsieur Hilaire!

– Eh, monsieur le marquis, vous voyez bien que je vous écoute… c’est embêtant, mais je vous écoute! De quoi s’agit-il, voyons?

– Voilà! fit Chéri-Bibi après s’être recueilli quelques secondes! Le Subdamoun est triste!

– Et pourquoi donc, grands dieux!

– Il est triste parce qu’il a été sauvé par un homme qu’il ne connaît pas, et que cet homme, pour le sauver, a tué M. Dimier, qui était un honnête homme, et beaucoup d’autres!

– Peuh! un soldat! est-ce qu’il devrait même s’inquiéter de cela? C’est de l’enfantillage! Et puis, je ne vois pas en quoi nous le rendrions moins triste en en tuant encore deux! Ça ne ferait, au contraire, si je vous ai bien compris, qu’augmenter sa tristesse.

– Le Subdamoun est triste, jusqu’à la mort, reprit durement Chéri-Bibi, parce que depuis dix jours des lettres le poursuivent, lettres anonymes qui vont le chercher partout et dont j’ai surpris quelques-unes, et dans lesquelles on lui dit qu’il n’a été dans toute cette affaire que l’instrument du plus grand bandit du monde… qu’on lui en apportera la preuve quand il voudra et qu’on lui livrera son nom!

– Ouais! Rien que ça! s’exclama, cette fois, M. Hilaire. Mais l’autre lui avait déjà mis la main sur la bouche.

- Tais-toi! Les lettres précisent les interventions et concluent que le Subdamoun, s’il ne se débarrasse pas lui-même de ce bandit, ou s’il ne le dénonce pas comme il le mérite, n’est que le complice, peut-être conscient, d’un assassin!

– Et le Subdamoun a cru cela tout de suite?

– Non! tout d’abord il n’a pas voulu le croire! Cela lui paraissait évidemment incompréhensible! Alors, pour comprendre, il a demandé à la Sûreté qu’on voulût bien lui envoyer le père Cacahuètes… Mais on n’a pas trouvé le père Cacahuètes. Depuis que la révolution est terminée, on n’a revu le père Cacahuètes nulle part. «Il doit être mort», a dit Cravely. Et je crois que Cravely a raison, ajouta Chéri-Bibi.

– Dame! fit Hilaire, vous me l’aviez bien promis!

– Écoute! écoute! rien ne pourra faire revivre le père Cacahuètes, mais tu penses bien que Chéri-Bibi préférerait mourir lui-même plutôt que de voir le Subdamoun au courant de certaines choses!

– La personne qui écrit ces lettres sait donc tant de choses que cela? demanda Hilaire, qui n’en respirait plus…

– Elle sait tout!

– C’est Askof! s’écria Hilaire…

– Non, ce n’est pas Askof! Askof est mort! de ma main, pour le punir d’avoir trahi… C’est sa femme… j’ai reconnu son écriture.