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– La baronne! Misère! Comment n’est-elle pas déjà morte?

– Parce que je ne sais pas où elle est! C’est aussi simple que cela! Et elle sait tout! Car son mari a dû tout lui dire! Avant de mourir, Askof qui n’était plus qu’une chair pantelante entre mes mains qui l’avaient martyrisé, Askof a trouvé encore la force de me jeter mon nom: Chéri-Bibi! et ma paternité: Le Subdamoun est le fils d’un assassin! Tu vois, Hilaire, comme c’est simple! Sa femme le venge… Voilà où j’en suis…

«Rien n’est encore perdu, cependant! Elle n’a pas tout écrit, heureusement! Elle veut être reçue, elle veut dire elle-même le principal! et pour prouver que le marchand de cacahuètes est bien mêlé à l’affaire du coup d’État et a tout conduit depuis le début, elle amènera avec elle un témoin dont il sera impossible de réfuter les allégations, tu devines qui? Petit-Bon-Dieu! à qui, du même coup, elle a promis de révéler le véritable nom de l’assassin de son père! Moi aussi, je lui avais promis cette révélation-là à Petit-Bon-Dieu, mais tu comprendras, n’est-ce pas, pourquoi je n’étais pas pressé de la lui faire!

– Quelle sale histoire! Quelle sale histoire! Alors, il faut tuer aussi Petit-Bon-Dieu?

– Naturellement. Mais où sont-ils? Tu comprends, s’ils se cachent, s’ils prennent leurs précautions! Ils doivent être terrés comme des lapins! Ils ne sortiront que pour venir dire à mon fils: Ton père, c’est Chéri-Bibi!

Chéri-Bibi s’était levé dans l’ombre et montrait une exaltation sans pareille.

– Oui, leur compte est bon! exprima M. Hilaire, de sa voix la plus douce, en essayant de calmer Chéri-Bibi. Mais comment tout cela va-t-il s’arranger?

– Oh! de la façon la plus simple! Ils ont obtenu un rendez-vous pour demain soir.

– Comment savez-vous cela?

– Je ne sors plus de l’hôtel de la Morlière, Hilaire. Je vis chez Cécily et chez mon fils, à côté d’eux, au milieu d’eux! On me cherche partout! Je suis là! Il me fait chercher au fond des provinces, je l’écoute aller, venir, gémir, vivre, respirer! Un coin de rideau, un meuble, un peu de nuit, la cave et le grenier, tout ce qui peut cacher quelque chose et quelqu’un est le domaine de Chéri-Bibi… Je regarde ce qu’il écrit, je fouille dans les débris de la lettre qu’il vient de recevoir, j’écoute l’ordre qu’il vient de donner! Je suis le plus heureux et le plus malheureux des hommes! et le plus renseigné! Leur hôtel est mon refuge et mon repaire! Et j’y ai préparé la besogne de demain! C’est la baronne qui a fixé l’heure fatale! qui a exigé ce rendez-vous! Chez lui, car là, elle se croit en toute sécurité et persuadée qu’elle sera mieux gardée que partout ailleurs. Elle entrera publiquement et elle imagine qu’il faudra bien qu’elle en sorte… vengée! ayant frappé à mort, d’un mot, à la fin, le père, la mère et le fils! Et elle sera accompagnée de Petit-Bon-Dieu! Elle a dit au Subdamoun de lui répondre à des initiales, dans la correspondance d’un journal et il a répondu! Elle aura compté sur tout le monde, excepté sur moi! Tu vois bien, Hilaire, comme c’est simple! Je ne sais où ils sont, aujourd’hui, mais demain soir, à neuf heures, ils seront dans le petit salon de l’hôtel du Marais où le Subdamoun viendra les rejoindre!

– Oui, oui, acquiesça M. Hilaire, d’une voix sourde, c’est très simple!

– Écoute encore un mot et je n’ai plus rien à te dire. Sois chez toi, demain soir, à huit heures… Mazeppa, qui ne sait naturellement pas de quoi il retourne, viendra te chercher de ma part et tu le suivras!

Ils ne dirent plus un mot, sortirent du cabaret de Petit-Bon-Dieu avec autant de mystère et de soin qu’ils y étaient entrés et se quittèrent dans la nuit noire, après une solide poignée de main.

M. Hilaire, tout en rentrant chez lui, ne cessait de se répéter: «Puisque c’est si simple que cela, pourquoi a-t-il besoin de moi? Une baronne et un Petit-Bon-Dieu, il n’en fera qu’une bouchée!»

Sur cette pente, son esprit glissa si bien qu’il finit par se persuader que sa présence dans cette affaire ne pouvait être que gênante.

Le reste de la nuit et le commencement de la journée suivante, la simplicité de l’affaire le tenailla encore plus qu’on ne saurait dire. Un premier avis qu’il lut dans un journal sur la clémence du gouvernement concernant les méfaits passés et sur l’amnistie pleine et entière qu’il accordait aux ennemis de la veille, à la condition qu’ils eussent rompu définitivement avec le passé, enfin l’aspect pacifique et plein de sécurité de sa boutique, l’alignement de ses bocaux et de ses caisses, la quiétude de son petit monde d’employés empressés à servir une clientèle avide de nouilles et de fromage de gruyère, tout concourait à le convaincre de l’inutilité de remettre en jeu un bonheur personnel si heureusement et si récemment reconquis dans une aventure de cette simplicité.

Il choisit une belle feuille de papier à en-tête de la Grande Épicerie moderne et il écrivit à Chéri-Bibi, de sa plus belle écriture:

«Monsieur le marquis, je suis au désespoir. Un ordre de la préfecture de police m’ordonne de me rendre ce soir, à huit heures et demie, au cabinet du préfet, sans faute! Je crains d’avoir de ce côté quelque désagrément et je préfère savoir à quoi m’en tenir tout de suite, ne serait-ce que pour vous! Des agents, dans la rue, ne cessent de surveiller tous mes gestes. Je vous souhaite bonne chance!»

À huit heures du soir, il sortit, après avoir glissé la lettre cachetée à son principal employé et lui avoir donné les instructions suivantes:

– À huit heures et demie, quelqu’un viendra me demander. Vous lui direz que je ne suis pas là. Il demandera alors cinq sous de ficelle. Vous lui donnerez sa ficelle et cette lettre en lui disant qu’il la porte immédiatement à son patron.

À huit heures et demie, le jeune Mazeppa recevait la lettre et allait rejoindre Chéri-Bibi chez un petit mastroquet voisin.

Chéri-Bibi lut la lettre: «Décidément, tous m’abandonnent, fit-il, avec un soupir, c’est bien! je ferai la besogne tout seul.»

Et il donna congé à Mazeppa.

XXXVI EN FAMILLE

On dînait à sept heures et demie à l’hôtel de la Morlière. Ce soir-là, à huit, le repas qui avait été maussade était achevé.

Frédéric Héloni avait profité de ce que sa fiancée Marie-Thérèse dînait en ville chez une amie de pension pour mettre la conversation sur les difficultés de son mariage avec une jeune fille dont il était impossible de retrouver la mère.

Le Subdamoun n’aimait point à entendre parler des Askof depuis qu’il savait que celui-ci l’avait trahi. Il n’ouvrit pas la bouche.

Sur quoi, Frédéric se leva, prit congé de la marquise et de Lydie, et annonça qu’il sortait faire son tour.

Il ne serra même pas la main du Subdamoun.