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– Oui, monsieur, d’un accident nécessaire!

– Oh! gémit Jacques en serrant la crosse de son revolver.

– Voulez-vous que nous continuions à énumérer les accidents heureux de votre brillante carrière? interrogea encore Chéri-Bibi qui tournait autour de Jacques comme pour l’exciter par une exaspération croissante à ce qu’il s’avouât vaincu ou à ce qu’il en finît tout de suite avec Chéri-Bibi lui-même.

«Je les connais tous, moi ces “accidents”, parce que j’ai été à la fois votre ange gardien et votre chef de la Sûreté, votre ministre de la Justice et votre exécuteur des hautes et basses œuvres! Plaignez-vous! Je ne vous demande rien en échange que d’en profiter ou de me tuer! Programme net, simple, facile à exécuter! J’ai fait mon ouvrage, je disparaîtrai! Vous ne me verrez plus jamais! Mais si vous devez, à la suite du petit incident de ce soir, donner cette démission comme un niais et abandonner la partie gagnée, tuez-moi! cher monsieur, tuez-moi! Je vous en prie!

Le Subdamoun posa son revolver sur la table, s’assit, prit une feuille de papier, et écrivit.

Chéri-Bibi s’approcha.

Le Subdamoun pensa que le bandit allait lui prendre son revolver. Il ne fit pas un geste pour l’en empêcher. Il était au bord de l’abîme. Il ne demandait, après ce qu’il venait d’entendre, qu’à y être précipité.

Il avait cru à la vertu; un homme était venu lui dire: «Votre vertu, c’est mon crime!»: Lui aussi ne demandait qu’à mourir. Au fond, le Subdamoun n’était qu’un très gentil garçon, bon, brave à la guerre, mais ce n’était pas un géant conducteur de peuples.

Chéri-Bibi, par-dessus son épaule, le regardait écrire. Un instant, de sa patte énorme, il arrêta la main de l’autre au moment de la signature:

– Vous allez signer votre démission de président de l’Assemblée, vous allez annoncer à la nation stupéfaite et qui n’y comprendrait rien que vous renoncez à la vie politique, pourquoi?…

Le Subdamoun se leva:

– Parce que je ne veux pas être le fils de vos œuvres!

– Rien ne saurait plus vous en empêcher!

– Je renie l’héritage! et la preuve, monsieur, c’est que vous allez mourir!

– Vous allez venger vos victimes? ricana Chéri-Bibi en croisant les bras et en dressant vers lui son front formidablement calme…

Le Subdamoun avait repris le revolver.

– Je vais vous tuer, monsieur, tout simplement, parce que vous avez assassiné mes deux grands-pères…

Mais une main s’interposa: c’était la marquise qui arrivait avec une allure de folle et qui était si pâle qu’on l’eut dite déjà prête à descendre au tombeau:

– Ne le tue pas! dit-elle… c’est ton père!

Chéri-Bibi eut une sourde exclamation. La marquise fit entendre un rire insensé.

Alors le Subdamoun se logea une balle dans la tête.

ÉPILOGUE

Heureusement, il n’en mourut pas. Et toute l’aventure se termina mieux qu’on eût pu le croire après les tragiques événements de ces derniers chapitres.

L’adresse avec laquelle Chéri-Bibi arrangea toutes choses contribua pour beaucoup à rendre l’existence supportable aux membres les plus cruellement éprouvés de cette intéressante famille.

La fameuse lettre de démission du Subdamoun fut expédiée à l’assemblée par les soins héroïques du marchand de cacahuètes lui-même, qui, la mort dans l’âme, avait renoncé définitivement à la gloire politique pour son fils. L’hôtel de la Morlière fut fermé, ce dont nul ne s’étonna, puisque le Subdamoun annonçait sa résolution de se retirer de la vie publique et de goûter un repos bien gagné.

Il fut, du reste, loué plus qu’on ne saurait dire: et à ce propos, il fit, autant que jamais, figure de héros: sa conduite ne manqua point d’être comparée à celle de Cincinnatus, célèbre pour s’en être allé labourer son champ après avoir sauvé la patrie.

Mais si, à la vérité, on se réjouit de cette disparition, c’est que la popularité de Jacques était jugée redoutable, d’abord par ceux qui craignaient qu’il voulût tout accaparer, ensuite par ceux qui, l’ayant plus longuement approché, l’avaient estimé à sa réelle valeur, qui n’était point, comme on avait voulu le croire, tout à fait transcendante. Un instant, celle-ci avait pu faire illusion à cause du grand courage civique et militaire de Jacques et de ses allures de «petit caporal» retour d’Égypte.

Au fond, ce n’était pas «un politique». Il affectait un grand mépris des contingences, mais se laissait gouverner par elles. Il voulait paraître insensible et c’était un tendre. Il était fait pour emporter une redoute et pour donner son cœur. Celui-ci, il ne sut point le défendre contre sa belle maîtresse et c’est ce qui le précipita, mais il eut le bon sens de le donner finalement à une honnête épouse et c’est ce qui, bourgeoisement, le sauva.

Quand il fut guéri de la blessure qu’il s’était faite au cuir chevelu, il ne vit plus que les bras blancs de Mlle de la Morlière. Cette pauvre Cécily, qui avait failli déjà devenir folle au cours de son existence mouvementée, échappa une fois de plus à cette pénible catastrophe en voyant revenir à la vie son fils qu’elle avait cru mort.

Un tel drame devait effacer le passé.

Ils se réveillèrent tous avec un ardent besoin de repos et de bonheur calme au sein de l’oubli des champs, dans un coin de France ignoré du monde et de la politique, comme il en existe encore au fond de quelques-unes de nos provinces les plus reculées.

*

* *

Deux mois s’étaient écoulés depuis les derniers «incidents».

Sur la plage arrière d’un magnifique transatlantique qui venait de quitter le Havre pour les Antilles, dans le calme du soir, deux voyageurs étendus sur des rocking-chairs échangeaient quelques propos avant de réintégrer les cabines de luxe que Chéri-Bibi n’avait pas hésité à retenir afin de rendre le voyage plus attrayant pour son ami la Ficelle.

Chéri-Bibi disait:

– Nous ne sommes plus jeunes, mon Hilaire… Certes, je me sens, quant à moi, tout bouillonnant encore d’une vie terrible et surhumaine… et je sais que, de ton côté, tu n’es pas encore manchot; mais maintenant que nous voilà en route pour les Amériques et que je ne crains plus d’éveiller en toi des regrets qui eussent pu te retenir en France, je ne serais point fâché de connaître les bonnes raisons qui t’ont déterminé à quitter le paradis de la Grande Épicerie pour suivre, dans quelque nouvel enfer, ton vieux Chéri-Bibi de marquis!

– Euh! fit M. Hilaire, après avoir fait entendre une légère toux destinée à cacher son embarras, il ne saurait y avoir de meilleure raison à ma conduite que l’amitié que j’ai toujours eue pour vous!

– N’empêche, releva immédiatement Chéri-Bibi, que vous m’avez salement «plaqué», monsieur Hilaire, en ce jour, où, pour la dernière fois, je fis le plus pressant appel à votre incommensurable dévouement!