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A sa frénésie je pige combien la solitude lui pesait. Les solos de mandoline ça finissait par la fatiguer, la pauvrette. Elle avait besoin qu'on lui entonne l'air de la Légion, version belge : « Tiens, voilà, du Baudouin, voilà du Baudouin ! »

Je lui refile les cours de la Bourse en morse. Elle grimpe, grimpe ! La voilà posée sur son orbite. Elle geint, elle crie, elle cause. Elle m'appelle Fernand, mais je m'en fous, je ne suis pas sectaire. Il y a tellement de nanas à travers le vaste monde qui appellent leur mari San-Antonio lorsqu'ils jouent les supermen ! D'ailleurs, malgré sa pâmoison elle se rend compte de son lapsus et s'en excuse, je lui accorde son pardon bien volontiers. Les ébats se poursuivent avec une grande courtoisie. Les pourparlers semblent rester un moment dans l'impasse ; mais une reprise du dialogue s'engage à nouveau et nous parvenons à un aboutissement heureux qui donne pleine et entière satisfaction aux deux parties. Comme je m'apprête à lui dire merci et elle à me dire encore, voilà qu'on frappe à sa porte. Nous avons une même grimace… Yapaksa me considère d'un œil morose, maudissant le fâcheux qui se permet de perturber une aussi noble partie de plaisir. On re-toque.

— Ouvrez ! lance une voix forte. Police !

J'en ai la glotte qui trépide comme une jeep dans une terre labourée. Si les poulets font une descente chez Miss Tresses, je vais avoir bonne bouille, mes frères, dans la tenue où je suis !

— Un instant ! répond la gosse.

Elle se lève tandis que je me blottis sous les draps. En tenue d'Eve, elle va jusqu'à la porte, et actionne le verrou en s'effaçant le plus possible de côté pour masquer sa nudité. Elle entrouvre imperceptiblement la lourde et coule un œil dans le couloir.

— Que me voulez-vous ? demande-t-elle.

— Vous êtes Mademoiselle Danlhavvi ?

— Oui, mais pourquoi…

Un étrange bruit se fait entendre. Ça ressemble à un petit marteau piqueur. La porte vibre et des trous s'y découpent d'une façon hallucinante. Dans un éclair je pige tout : on assaisonne Yapaksa avec un gros calibre muni d'un silencieux. Par miracle elle échappe à la terrible rafale. Et vous savez grâce à qui elle s'en sort, ma folie Alabanienne ? Grâce à ce bon commissaire San-Antonio. Merci, monsieur le commissaire, ça c'est du bol ! Vous avez été bien inspirées convoitant cette douce enfant, en l'ensorcelant, en l'accaparant, en l'annexant, en l'indexant, en la faisant mettre à loilpé. Comme elle est nue, sa pudeur l'a obligée à se tenir tout à fait en biais afin de dérober son corps d'albâtre aux regards salaces des visiteurs. Vous pigez ? Si bien que le tireur qui la mitraille au jugé ne se rend pas compte que ses valdas se perdent dans le mur d'en face. La seringuée s'achève. Je cramponne à la volée deux objets de première nécessité, à savoir : mon slip et mon revolver. D'une poussée j'écarte la gosse, plus morte que vive et je fonce dans le couloir. A la porte d'entrée, il y a un type assez menu, sanglé dans un imperméable verdâtre et coiffé d'un chapeau imperméable. Il bombe comme un perdu. La concierge crie en m'apercevant dans l'appareil où je suis. Pour calmer ses angoisses j'enfile mon slip et je sors dans la rue Saint-Martin, le pétard à la main. Vous verriez les badauds, les frimes qu'ils exposent en vitrine, mes lapins ! C'est pas racontable ! Un homme presque nu qui fonce en brandissant un revolver, ils ont jamais vu ça, jamais ! L'homme à l'imperméable vert s'est aperçu que je le coursais et il les met en passant le grand développement. Si la rue Saint-Martin était dégagée je me paierais un carton, mais j'ai trop peur d'assaisonner des innocents. D'ici pas longtemps c'est moi qu'on va choisir comme cible. Les bourdilles vont me prendre pour un dingue en crise et faire le nécessaire…

J'ai un gros avantage sur le poursuivi, je suis nu-pieds et ce ne sont pas les fringues qui me gênent pour courir.

Je gagne du terrain nettement. Dix mètres encore et il est à moi. Il le comprend et tire par-dessus son épaule gauche. La balle me siffle à l'oreille et va se perdre dans le radiateur d'un camion. Plus que six mètres.

— Arrête où tu es mort ! lancé-je.

Au lieu de répondre, il défouraille encore, mais il ne lui reste plus de pralines dans son bocal. Alors il s'engouffre sous un porche. J'y pénètre à sa suite. Il s'élance dans un escalier de bois ; moi itou (comme dirait Troulala).

Je plonge et je saisis un pan de son imper. Je tire. Cette carne défait son vêtement qui me reste dans les pognes. Il poursuit son ascension. Je continue la mienne. Il m'a repris un peu d'avance. Je l'entends qui réarme son arquebuse tout en escaladant les marches. On franchit le premier étage ; le second, puis le troisième. Au quatrième c'est le terminus : tout le monde descend. Je pige sa tactique. Il se couche sur le palier, au ras de l'escalier. Il occupe une position stratégique de première classe. Le gars Bibi ne commet pas l'imprudence de poursuivre la grimpée. Au contraire, je me hâte de redévaler, quelques marches de manière à me trouver sur le palier du troisième. Nous voici quittes, en sommes. Je ne peux plus monter, mais lui ne peut plus descendre. Je préfère ma position à la sienne. D'en bas me parvient une rumeur de foule. Puis de grosses godasses signées Poulmane's house font chanter les vieilles marches de bois. Des pèlerins en pèlerines montrent le bout de leurs képis à l'étage au-dessous. Vu en coupe, il serait bidonnant, cet immeuble !

— Jetez votre revolver et levez les bras ! m'ordonne un agent.

On a raison de dire que l'agent ne fait pas le bonheur.

— Ne vous tracassez pas pour moi, les gars, leur dis-je, je fait partie de la police. Appelez plutôt des renforts car il y a un type dangereux à alpaguer à l'étage au-dessus.

— Si vous ne jetez pas tout de suite votre arme, nous tirons ! répond le poulet.

Vous parlez d'un petit incrédule !

— Je suis le commissaire San-Antonio ; lui révélé-je, certain de l'épater.

— Et moi le duc de Guise, rétorque ce fin lettré qui ne doit pas rater les émissions de M. Castelot.

Pour lui un flic ne saurait se balader en slip dans les rues de Pantruche, comprenez-vous ? On est conformiste dans la rousse.

Si mon ange gardien ne me débloque pas dare-dare (comme dirait mon ami Frédéric) un crédit d'imagination, je vais me faire repasser par les archers de ma compagnie, ce qui serait un comble.

— Ne tirez pas, bon Dieu, puisque je vous répète que je suis San-Antonio. Allez au 44 de la rue, chez Mlle Danlhavvi, vous y trouverez mes fringues et mes papiers.

— Et pendant ce temps, vous…

J'ai une idée de génie.

— Le commissaire de votre quartier s'appelle Nézel. Gaston Nézel, dit Tonton ; vrai ou faux ?

Les poulardins sont troublés.

— Et avant lui c'était le commissaire Plucheux, Édouard Plucheux. Il avait une tache de vin sur la joue droite.

J'ai gagné, les gars.

— Peut-être qu'il dit vrai ? suggère le deuxième poultock.

— Je vous demande d'aller chercher des renforts. Il y a à l'étage supérieur un tueur que je veux attraper vivant…

— Pas besoin de renfort ! fanfaronne le poulet incrédule.

Il me rejoint, son pétard à la main. Au passage il me dévisage.

— En effet, soupire-t-il, je crois bien que vous êtes le commissaire San-Antonio.

— Et moi j'en suis persuadé, réponds-je. Il manque de déférence. Le tordu qui a prétendu un jour que l'habit ne faisait pas le moine devait avoir une chenille velue à la place de la cervelle. Je vous garantis qu'un superman déloqué n'impressionne plus ses subordonnés. Pour bien me prouver sa suffisance, le gardien of the peace continue de gravir les marches. Et, naturellement, ce qui devait se produire, se produit : il écope d'une prune en plein cigare. Il reste un instant immobile, sidéré, puis il bascule en arrière et reste étendu sur les marches, la tête en bas. Un gros filet de sang pourpre dégouline de sa blessure et ruisselle sur l'escalier avec un petit bruit immonde.