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— Vous avez pigé, maintenant ? fais-je au second poulet. Alertez la brigade des gaz et en vitesse.

Il ne demande pas mieux que de se rabattre à l'air libre.

La détonation n'a pas fait beaucoup de bruit grâce au silencieux (c'est une marotte chez ces Alabaniens). Pourtant, les gens de l'immeuble commencent à débouler de leurs logements, alertés par le brouhaha. J'entends une porte s'ouvrir, au-dessus de moi. Un nouveau coup de feu claque. Un cri lui répond, suivi de la chute d'un corps. Je perçois un piétinement. Le tueur vient de quitter son poste de guet pour se terrer chez un locataire qu'il vient d'effacer. Je me hasarde : en effet, le palier n'est plus occupé que par un cadavre de vieux monsieur.

Le malheureux agonise avec des petites ruades tragicomiques. La vie est un mal dont on a parfois de la peine à guérir.

Au quatrième, il n'y a qu'une porte, je n'ai donc pas le choix. Je me plaque au mur, et j'appuie le canon de mon camarade Tu-Tues contre le trou de la serrure. Je tire. La détonation fait un bruit d'enfer et la porte s'ouvre. Je risque un œil. L'appartement est minable : deux petites pièces sales, noires, chichement meublées. Une fenêtre ouverte, j'y cours… Mon tueur fuit par les toits. Il a sauté sur la couverture de zinc d'un hangar situé cinq mètres plus bas, et il court en direction d'une cheminée. Je sauterais bien, mais sans souliers je risque de me claquer la cheville. Alors j'avance le bras, je ferme un œil. C'est toujours un instant terrible que de tirer sur un fuyard. Répondre à une attaque c'est spontané, ça ne demande que des réflexes. Mais viser un type qui se débine nécessite une force de caractère peu commune. Je vise ses jambes et je lâche mes bastos. Une, deux, trois, quatre. Posément. Le gars fait une pirouette, ses flûtes lui disent bonsoir et il s'abat sur le toit. Il cherche à se cramponner, mais la pente le happe, l'entraîne, l'absorbe. Il roule de plus en plus vite. Il perd son chapeau de toile qui reste à plat, bête et anachronique sur cette immensité de métal gris. Il roule vers le gouffre de la rue. Un instant il parvient à agripper le chéneau, d'une main. De celle, hélas, qui tient le revolver. Il n'a pas lâché son arme. Cette gouttière qui pourrait le sauver, il ne la tient qu'avec deux doigts, c'est trop peu pour son poids et il disparaît. Je demeure immobile, crispé, fou d'appréhension. Ça a beau n'être qu'un tueur sans scrupule…

Des cris lointains, un choc plus lointain encore.

Je regarde le chapeau sur le toit. Pendant un instant, l'univers me parait aussi triste et vide que ce chapeau.

CHAPITRE XI

La pèlerine d'agent, c'est comme les couteaux suisses : ça possède des usages multiples. Celle de l'agent cané me sert à combattre ma presque nudité et celle de son collègue à masquer le corps disloqué du tueur.

Je ressemble à un roi mage, faut reconnaitre. Enquêter en slip et en pèlerine noire dans une rue populeuse de Paris, c'est un exploit que je croyais vivre qu'en rêve, si je puis dire. Les badauds sont plutôt ahuris. Il y a un touriste amerlock qui me photographie sur toutes les coutures. J'explore les poches du buteur buté : elles sont vides. Pas un papier, pas la moindre carte de pêche, pas le plus petit ticket de métro : un peu de fric et c'est tout. Je contemple le visage du défunt — ce qu'il en reste — et je constate qu'il s'agit d'un ouistiti d'une trentaine d'années, grêlé comme un mois de Mars. Inutile de perdre mon temps, l'Identité s'occupera de sa pomme. Je regagne le gîte de Yapaksa. La pauvrette est morte de frousse. D'un doigt mélancolique elle caresse les trous de balle agrémentant-le mur. L'un des projectiles a pulvérisé un petit Sèvres qu'elle avait acheté à Babylone et un autre a perforé son soutien-gorge posé sur le dossier d'une chaise.

— Dites, poulette, il y a de la distraction dans votre quartier, lancé-je en plaisantant.

Elle me demande la suite des événements et je la lui résume.

— Pourquoi m'a-t-on tiré dessus ? balbutie-t-elle. Qu'est-ce que j'ai fait ?

Elle emploie le même langage que le bon Pinaud, cette nuit. Tous les innocents ont de ces protestations lorsque le sort est trop injuste.

— Il faut voir, évasivé-je sans me mouiller.

Notez que j'ai ma petite idée là-dessus. Assez vague, j'en conviens, mais intéressante tout de même.

— C'est quelqu'un qui vous aura suivi, n'est-ce pas ? insiste-t-elle afin de se rassurer.

Je branle le chef.

— Non, mon cœur, pardonnez ma franchise, mais c'est bien vous qui êtes en question. Si on m'avait suivi, le tueur n'aurait pas eu le culot de se prétendre de la police, sachant qu'un authentique commissaire se trouvait chez vous.

Je lui vaseline mon regard irrésistible numéro 14 bis, celui qui a fait frissonner l'Impératrice du Sénégal et donné des vapeurs à la Présidente de la République esquimaude.

— Et on peut dire que je m'y trouvais chez vous, pas vrai, ma toute belle ?

Ça lui redonne quelques couleurs.

Puisque je n'ai rien de caché pour vous, les gars (vous êtes truffes mais sympa) je vais vous révéler le pourquoi du comment de ma pensée. Lorsque Pinuche a fait au consulat d'Alabanie son numéro de vitrier, ces messieurs l'ont reconnu. Le vieux Chpountz figurait sur la photo de Yapaksa, souvenez-vous. Alors ils ont logiquement conclu que Miss Tresses avait aussi trempé dans cette histoire et une opération punitive a été décidée.

Je peux me gourer, mais ça m'étonnerait.

— J'ai peur, m'avoue Yapaksa en frissonnant.

Je la serre contre moi. Ses cheveux dénoués ruissellent autour d'elle et lui tombent jusqu'au pervertisseur à crinière.

— Je suis là ! fais-je observer.

Et pour le lui prouver, je fais tout pour être un peu là !

Huit plombes. Paris brille de tous ses néons.

Yapaksa et le gars moi-même débarquent au restaurant alabanien de la place Péreire. C'est une boîte typique. Les loufiats portent le costume national alabanien : boxer short en peau de zombie, bottes d'égoutiers à éperons d'argent, maillot rayé, collier de nougat et ils ont tous une plume de condor piquée dans les cheveux (sauf un qui est chauve et qui la fait tenir avec du sparadrap). Les murs sont peints à fresques. Celui du fond représente le mont Houlalha sous la neige (le point culminant de l'Alabanie 88 centimètres), celui de droite un troupeau de kornachaüssurhs, ces animaux ongulés qui ont assuré le renom de l'Alabanie ; celui de gauche montre la bataille de Chetouille au cours de laquelle les Alabaniens défirent les troupes de Clystère II dit le Grand Chiatique ; le mur du milieu, lui, est entièrement consacré au sacre de Bougnazal l'Unique, l'ancien roi (et le seul) d'Alabanie. On sait que son règne qui commença le 31 janvier 1904 s'acheva le premier février de la même année après que le Monarque eut promulgué un train de décrets rendant le papier hygiénique obligatoire dans les ouatères publics, rétablissant l'usage du coupe-cigare, interdisant la vente au détail du bandage herniaire, et autorisant le poil à gratter dans les cinémas. La fresque représente Bougnazal l'Unique debout dans sa Dedion Boutons découverte, et brandissant en guise d'épée un appareil à fly-toxer. Une banderole peinte à l'huile de foie de morue porte cette fière devise « Cithunanveupâ alarmé Dhanmakhuloth », ce qui veut dire, vous vous en doutez : « Il faut vaincre ou mourir ».

Un maître d'hôtel nous drive jusqu'à une petite table discrète. C'est Yapaksa qui passe la commande ; je lui dis de faire les choses en grand, aussi compose-t-elle un menu de qualité : Timbale de crapauds au sirop de sapin ; Figure de fifre à la Veuve Clito ; Rôti de Maucassin ; Pimbêche Melbapa, le tout arrosé de Cocasoda ; un petit vin du pays en bouteille chez Nhikolha.