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— Le consulat, peut-être, mais pas la demeure particulière du consul.

— Qu'entendez-vous par là ?

— Je viens de me renseigner en potassant l'annuaire des téléphones ; c'est une lecture édifiante, monsieur le Directeur : Le consul habite Rueil-Malmaison, tout comme le Premier.

— Quel Premier ?

— Le Premier Consul, autrement dit Bonaparte ! Il a toujours eu horreur des à-peu-près, le Vioque, surtout dans les périodes graves.

Ma boutade doit être de Dijon car elle lui monte au naze.

— Oh ! je vous en prie, mon cher, les calembours…

Je m'obstine à sourire, ça m'évite de lui faire un shampooing avec le contenu de son encrier.

— Je disais donc, monsieur le directeur, que le consul d'Alabanie habitait Rueil-Malmaison. Or il cherche du personnel, cet homme. Il a besoin d'une nurse et d'un chauffeur. J'ai toujours rêvé de connaître la vie des gens de maison, et surtout des gens de Malmaison, ajouté-je histoire de lui fêler sa coquille. Si vous voulez bien me faire préparer pour demain de faux papiers et de faux certificats, je tenterai ma chance….

Il se détend.

— Voilà qui n'est pas bête, dit-il. En effet, vous pourriez peut-être…

Son bigophone à modulateur de fréquence stride et il décroche.

— Pour vous, grogne-t-il en me tendant le combiné : le médecin légiste.

Le toubib m'annonce qu'il n'a rien découvert de suspect à l'autopsie de la malheureuse Yapaksa. Elle semble bien être morte de sa bonne mort, ce qui constitue une faible consolation.

Mais il faut attendre les résultats de toute une série d'analyses avant d'être formel. Je remercie le praticien pour sa diligence (il boit les vins du Postillon) et je demande au boss l'autorisation de me retirer dans mes terres.

Il me l'accorde.

Avant de regagner ma gentilhommière, je vais écluser un demi au bistrot d'en face. Béru y pérore au milieu d'un groupe. Il a du sparadrap plein le front, le nez éclaté, un œil au beurre noir, une arcade suturée, et un bras en écharpe. Il raconte son « accident ».

— La vioque se lance sous les roues de l'autobus. Elle allait y passer et se faire ratatiner. Moi j'hésite pas : je fonce, je la prends par la taille, je la propulse sur le trottoir, mais j'ai pas le temps de me garer des taches et le taubus m'uppercute en plein. J'ai cru que ma citerne éclatait. Les gens s'annoncent ; j'ai toutes les peines du monde à les empêcher de me porter en Triumph. Si je vous disais qu'un vieux crabe avec la rosette sur canapé m'a, demandé mon blaze pour me faire avoir la médaille de sauvetage ?

Un murmure flatteur salue cet exploit. Je juge l'instant ad-hoc pour me produire en grand gala mondial. Je chique à l'innocent, qui n'a rien entendu et qui gaffe sans le vouloir.

— Et alors, Béru, m'apitoyé-je, ta femme s'est calmée, oui ? Elle t'a mis dans un drôle d'état, mon pauvre lapin. Tu sais que c'est un cas de divorce. Si tu te décides, compte sur moi pour témoigner.

— Qu'est-ce tu racontes ! bredouille l'Immonde en me virgulant des œillades éplorées.

Les spectateurs commencent à se fendre la tirelire.

— Son ogresse le tuera un de ces quatre mornings, présagé-je lugubrement. Il est d'une faiblesse avec elle, le pauvre Gros !

La marrade est générale. Les buveurs abreuvent son enflure de sarcasmes. Tant est si bien que l'outragé finit par fendre le marbre du guéridon de son poing.

— Je permets pas qu'on traite Mme Bérurier d'ogresse ! tonne Sa Majesté. Si j'eusse des mots avec elle, ça ne regarde que moi. Dans tous les ménages y a de la zizanie, ça entretient les sentiments !

Il vide son glass et se lève.

— Si vous comptez que je paie ma tournée, vous pouvez toujours vous l'arrondir !

Je le rattrape alors qu'il est déjà à cinquante mètres de là, boitant bas comme un vieux bourrin.

— Ecoute, Gros !

— Mes choses ! Les dégourdis qui veulent faire prendre ma tête pour le derrière d'un singe, je n'ai plus rien de communiste avec eux ! Qu'ils soyent mes supérieurs rachitiques ou non, c'est du même !

Il me faut dix minutes et un triple Cinzano dans le bistrot suivant pour arriver à le calmer.

Lorsque son courroux s'apaise enfin, je me mets à lui parler travail.

— Ecoute-moi, vieille besace, lui dis-je, demain nous déclenchons une offensive générale contre l'Alabanie.

— C'est la guerre ?

— Pas encore. Mais si tu es à la hauteur de ta tache, elle pourra être évitée. Voilà ce que nous allons faire.

Et je lui expose mon plan.

Je l'expose à Béru mais pas à vous parce que vous êtes trop tartes, à la fin. Et il y a des soirs où je ne supporte pas !

CHAPITRE XIII

Le lendemain morninge, d'assez bonne heure, je radine au bureau dans une mise particulière. J'ai revêtu un vieux costume gris foncé, fatigué mais honnête, de vieux souliers craquelés mais bien cirés, une chemise blanche et une cravate noire. Ma glace est formelle : j’ai tout du chauffeur de grande maison en civil. J'ai poussé le souci de la vérité jusqu'à me coiffer d'un bitos taupe, au ruban un peu moisi.

Le Vieux apprécie, je le sens à son œil qui frise.

— Voici des papiers et des certificats, me dit-il. Ces braves gens pourront téléphoner à vos anciens employeurs : ils obtiendront des renseignements fort élogieux à votre sujet.

J'empoche et je me casse.

Avant de foncer sur Rueil-Malmaison, je passe chez Morpion. Il n'est toujours pas rentré at home (comme disent les Savoyards).

Ses pauvres chats affamés courent sur le rivage que c'en est une pitié. Je demande à la cerbère de les prendre en charge en attendant le retour (problématique) du vieux prof.

Je pilote ma Jag jusqu'à la gare de Rueil. Je la range sur le terre-plein et je frète un taxi pour me faire driver jusqu'à une demeure située aux z'abords du château de Fifine. C'est là qu'habite son Excellence. La maison, style Ile de France-Tarte à la crème, s'appelle « Les six troènes » et s'élève dans un parc de deux hectares passablement en friche. Comme je carillonne à la grille, deux dogs allemands se précipitent en grondant. J'ai beau les appeler Médor, Gentils Toutous et même Minets, ils continuent de me manifester une vive antipathie.

Un bonhomme au crâne rasé et qui réussirait je pense une superbe carrière de tronche de galle dans un jeu de massacre, s'avance vers moi en roulant des mécaniques de haute précision.

M'est avis qu'il est apparenté au gorille abattu l'autre nuit au consulat, ne serait-ce que par un ami de son père.

— Vous désirez ? me demande-t-il sèchement.

Je m'humecte la bouche avant de lui répondre d'un ton détaché :

— Je viens pour la place de chauffeur.

Il m'examine silencieusement, de bas en haut, de gauche à droite et dans le sens inverse. Puis il a un léger froncement du nez et m'ouvre tout en calmant les molosses de la voix. Il leur débite des trucs en alabanien. Ça va être gai si ces toutous ne parlent pas le français.

Nous remontons une allée envahie par les mauvaises herbes, entre une double rangée d'arbres. La maison se dresse au mitan d'une immense pelouse. Bien qu'il fasse grand jour, on a l'impression de la contempler à la clarté de la lune, ça vient, je pense, de sa couleur blafarde et de son toit d'ardoises verdies.

Le portier me fait entrer dans un hall vieillot où prend un escalier de bois aux balustres imposants. Je mijote un instant, reniflant l'odeur fade qui flotte dans l'air à l'aronde (comme on dit chez Simca). Quelque part, un électrophone joue du Mozart. C'est beau, Mozart.

Un bruit de pas me fait tourner la tête. J'avise un être jeune et pâle, au nez fort et à la mise endeuillée. Il s'agit, je ne crois pas me gourer, du secrétaire que j'ai aperçu depuis chez Morpion grâce aux jumelles.