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Avant de me rendre à « mon travail » j'ai avec le célèbre Bérurier une conversation édifiante.

— Ecoute, Gros, ce soir je joue ma carrière à pile ou face, lui dis-je. Si je gagne le coquetier, c'est O.K., sinon demain je chercherai une place de veilleur de nuit au Spitzberg où la nuit dure six mois. Je compte sur ton amitié, sur ton audace dantonesque, sur tes qualités intrinsèques (et néanmoins humides) de flic, sur ton esprit et sur ton syndicat d'initiative, sur ta force, sur…

Il balaie son odeur d'ail d'un geste énergique.

— Caresse de chien donne des puces ! coupe l'Ogre. Accouche en direct.

— Ce soir je dois emmener le consul à une réception.

— Alors ?

— En son absence tu vas t'introduire, officieusement dans la propriété de Rueil-Malmaison.

— Encore ?

— Mais cette fois tu la fouilleras de fond en comble et tu arrêteras le gorille qui s'y trouve ainsi que le secrétaire.

— T'as dit que je devais m'introduire officieusement ?

— C'est-à-dire,sans mandat d'amener et sans faire état de ta qualité de poulaga, tu piges ?

— Et tu veux qu'à moi tout seul j'alpague les habitants ?

— Tu es inspecteur-chef. Prends du monde avec toi. Sonne. Arrête le zig qui t'ouvrira ; poursuis ta route jusqu'à la maison, mets la main sur tout le monde…

— Et ensuite ?

— Au lieu d'embarquer tes prises à la maison bourremen, conduis-les chez moi, à Saint-Cloud, et tiens-les à l'œil jusqu'à mon retour. Fais gaffe car tu le sais maintenant ce sont des princes de la détente.

— Princes ou pas princes, c'est pas eux qui repasseront Bérurier.

— Alors fais ce que je te dis, gars !

— Et s'il y a du pet ? s'inquiète le Mammouth, je prendrai sur mes doigts ?

— Non, puisque je te couvre.

Il opine.

— Il en sera fait comme suivant vos désirs, Monseigneur !

Satisfait, je bombe sur la banlieue ouest.

Les deux molosses me font le gros circus lorsque je carillonne : J'ai beau regarder, je ne vois plus Mademoiselle Julie ; probable que le gorille l'a jetée à la rue comme une fille perdue qu'elle est. Ça m'étonnerait que ses- rejetons soient d'authentiques boxers ; il va y avoir des pétarades dans leur pedigree, moi je vous le dis.

Le costaud patibulaire vient délourder en calmant ses dogues. Je le gratifie d'un salut militaire.

Il hoche la tête sèchement ; aussi liant qu'un ours polaire, ce zigoto.

— Préparez la voiture de maître, m'ordonne-t-il, elle est poussiéreuse…

J'obtempère. Ce carrosse noir est folichon comme un enterrement. Quand on est au volant d'un tel véhicule on a l'impression de marner pour la R.A.T.P. Je le sors dans le parc et j'entreprends de le fourbir avec la peau d'un chamois défunt.

Les chromes se mettent à briller. C'est vraiment de la tire grand standinge. Je ne voudrais pas partir en vacances avec, mais faut reconnaître qu'elle fait son effet. Lorsque j'ai fini, je m'assieds sur le marchepied pour griller une cigarette. La nuit descend sur le parc. On entend des petits oiseaux dans les arbres. Les étoiles se précisent dans un ciel, velouté. Comme l'univers est tranquille lorsque les hommes lui foutent la paix ! Je songe à la carcasse de mon pauvre Morpion. Cet homme paisible a eu une fin trop dramatique décidément. Je le voyais claquer parmi ses chats et ses bouquins ; d'une maladie bien longue et bien confortable. Et puis le sort ironique en a décidé autrement.

— Vous êtes prêt ?

C'est le gorille. Il bigle ma cigarette d'un œil hostile.

— J'attends, fais-je en balançant le mégot dans la rosée.

Je me juche sur mon siège et je vais me ranger devant le perron. J'ai le cœur qui pilpate. Enfin je vais donc le connaître ce satané consul ! Je descends de la guinde afin d'ouvrir la portière arrière, casquette en main, figé, dans un garde-à-vous qui filerait la colique verte à un soldat de plomb. Deux silhouettes apparaissent sur le perron. L'une est mon petit camarade Wadonk Hétaurdu, impec dans un uniforme vert-olida à brandebourgs et épaulettes d'or ; l'autre c'est la femme blonde que j'ai aperçue à la fenêtre.

Cette dernière retient toute mon attention. Elle porte une robe de soirée blanche, ornée d'une rose en or massif. Elle est belle et triste. Sous son maquillage on voit qu'elle a les traits tirés et les yeux violemment cernés. Sa chevelure blonde est légèrement cendrée. C'est une personne d'une trentaine d'années, un peu large de hanches et des chevilles pour mon goût personnel (et difficile) mais pleine d'un charme émouvant, Elle monte à l'arrière de la bagnole. Au passage elle me lance un regard intense et plus profond qu'un puits de mine. Hétaurdu monte à sa suite. Je marque un léger temps d'incertitude.

— Son Excellence ne vient pas ? je questionne.

— Non, répond-il sèchement.

Je claque la portière. Les lourdes de ces brouettes s'ajustent comme des portes de coffre-fort. Elles sont d'ailleurs un peu plus épaisses. Je m'installe au volant et j'attends les instructions. Hétaurdu fait coulisser la vitre séparant les passagers du chauffeur.

— L'Élysée ! ordonne-t-il.

Tout bêtement. Le sang me monte aux éventails à mouches.

Ainsi ces Messieurs-dames vont à l'Élysée ! Ça me trouble un chouïa. Pourquoi le consul ne fait-il pas partie de la caravane ? A quel titre son secrétaire le remplace-t-il ?

Je démarre, alourdi par des tonnes et des tonnes de questions inquiétantes.

En passant devant le Pavillon Joséphine, j'avise la tronche mafflue de Bérurier. Le bonhomme est à l'affût derrière des rideaux bonne femme. J'espère que tout se passera bien pour lui. Mes copains font un drôle de déchet dans cette affaire.

A cause de la vitre de séparation, je n'entends pas ce qui se passe à l'arrière, mais grâce au Vade-retroviseur Satanas (les meilleurs) je peux observer le couple à la dérobée.

Ces monsieur-dame ne s'adressent pas la parole. La jeune femme s'est blottie dans un angle du véhicule, le plus loin possible de son compagnon ; quant à ce dernier, un bras passé dans l'accoudoir suspendu, il est fier comme bar-tabac et jette des regards nonchalants sur les populations banlieusardes qui se pressent sur les trottoirs.

Je me farcis la Défense, puis l'Avenue de Neuilly, la Porte Maillot, l'Avenue de la Grande Armée. C'est l'Etoile, les Champs-Elysées dans toute leur gloire. Au Rond-Point je tourne à gauche pour aller chercher la rue du Faubourg Saint-Honoré (à la crème) et j'arrive en vue de l'Élysée. La guérite du Général est éclairée à Jean Giono. Une foule de bagnoles à grand spectacle, bourrées de beau linge, font la queue devant la porte, téléguidées par des gardes en grande tenue. Je prends la file. Me voici entre l'ambassadeur de Cramoisie et le vice consul de Porxénétie. On avance lentement. Enfin, je pénètre pour la première fois de ma vie dans la cour d'honneur. La musique militaire joue « Tiens petit, voilà vingt sous ». Des généraux habillés en militaires accueillent les arrivants. J'aperçois sur le perron tous les représentants des corps Constipés (comme dirait Béru) : le grand Vizir de Talbonjhoùr, le cardinal Selfmademan archevêque de Boston ; l'ambassadeur de l'Abrutissan ; Son Excellence Yatamoto Quérouyé conduisant la délégation japonaise ; Monseigneur Couchetapiane, nonce apostolique, Môssieur Jules Napolitain, de l'Académie Française, l'amiral Saborde, le baron de Maideux, le grand rabbin Dupont, le pasteur Valériradaut, M. Cash FIandcarry ; ministre des affaires étranges américaines, sir Priseparty, sous-ambassadeur-adjoint de Grande-Bretagne ; le président Fouinozof et la princesse Eva Donkchaitorp de Billaydou.

A mon tour, je remise ma tuture au bas des marches. Un militaire habillé en officier supérieur, délourde, salue, tend à ma passagère blonde une pogne gantée de blanc. Un garde chamarré, qui ressemble à Chamarat, me fait signe d'aller remiser mon zinzin à roulettes dans le parkinge réservé. J'obéis. Les immenses fenêtres de l'Élysée ruissellent de lumière. Il y a de la zizique partout, militaire à l'extérieur, civile à l'intérieur. Les cuivres dehors, les cordes dedans. Un de,mes collègues (chauffeur) s'approche de mon tas de ferraille.