Выбрать главу

Honteux de son cruel échec avec la blanquette, le Gros emploie d’autres moyens plus vigoureux. Il s’empare d’un lampadaire en bois tourné et décrit des moulinets ravageurs. Deux potiches, la photo de ses parents, un plâtre d’art représentant un cerf dans un hallier, la couronne de fleurs d’oranger de madame (sous cloche de verre), le buste en sucre du général Weygand, un poste à transistors, le cadran du téléviseur, la glace de la desserte, le marbre de la cheminée, un chandelier en faux bois véritable, une langouste naturalisée, un baromètre au beau fixe, un broc à injection, une paire d’appliques Empire et la pièce montée destinée au dessert sont anéantis en un laps de temps extrêmement réduit. Le lampadaire s’abat enfin sur les antagonistes à poils. C’est le tigre qui morfle. Il éternue douze dents impeccables et s’abat. Déconcerté, le Saint-Bernard se met à lui humer le fouinozoff. Un second coup de lampadaire le met à l’horizontale. Béru balance son arme par-dessus son épaule. L’abat-jour coiffe le chef de Berthe en costume d’Ève. Vous ne pouvez pas savoir ce qu’elle est choute, notre brave baleine, avec pour tous vêtements : des bas, un abat-jour en parchemin et une brûlure. Elle n’a plus la force de rouscailler. Finie, terminée, soumise, qu’elle est ! Il avait raison, Béru, c’est lui le seul maître à bord après Dieu. Il fait l’inventaire des décombres : son tigre est mort, le Sahara Bernard a l’échine brisée et il va falloir cavaler chez Lévitan pour rebecqueter le logement.

— Voilà ce dont il retourne quand on me fait sortir du Mékong ! lance-t-il en guise d’ultime avertissement.

Mais déjà, l’oreille de l’homme averti devine une légère angoisse dans sa voix. Il sait, le bon Gros, que le choc en retour ne tardera pas. Berthe, c’est pas le genre de paroissienne qui tolère longtemps un rebecca de cette ampleur dans sa carrée. Les représailles vont valoir le coup de cidre, les gars !

Là-haut, à l’étage au-dessus, le sour-dingue s’est installé au bord du trou sur un pliant et continue de visionner comme un pingouin materait l’intérieur du détroit de Bering à travers un trou pratiqué dans la glace.

Il connaît ses bons voisins. Il sait que la deuxième manche va débuter et qu’on peut même espérer voir jouer les prolongations. Jusqu’ici, Béru mène au goal-average, mais sa baleine récupère. La voilà qui se relève, assistée de la bonne. Elle réintègre son slip et son corsage. Le plus gros étant emballé, elle est parée pour les manœuvres de printemps, la chérie. Son calme fait présager le pire.

Il se produit.

Elle regarde autour d’elle, ne trouve rien de satisfaisant et va dans leur chambre chercher de quoi s’assouvir. Elle en revient avec l’attirail de pêche de Sa Majesté, au complet. Avec des gestes méthodiques, Madame déguise la canne à lancer en bambou cambodgien rectifié en allumettes suédoises.

— Berthy ! lamente le Plaintif.

Elle n’en a cure. Maintenant c’est le moulinet à tambour qu’elle balance par la croisée. La bonne pleure de plus belle. Elle est bonne, la bonne, c’est son métier qui le veut. Elle récite un pater de foi en latin, un autre en breton, un troisième en gesticulant, mais le ciel ne semble comprendre aucune de ces trois langues ce matin. Mme Béru renverse la table de salle à manger pour avoir les coudées franches. Béru n’a plus d’espoir qu’en moi-même.

— San-A ! supplie-t-il, causes-y ! T’as vu que tout n’était pas ma faute.

La Berthe lève son regard rouge toréador sur le voisin sonotonisé.

— Vous êtes témoin ! lui crie-t-elle, bravache.

— Il est midi vingt ! annonce le digne homme.

— Chère Berthe, interviens-je, vous devriez vous calmer. Une jolie femme doit avoir un parfait contrôle de ses nerfs.

Elle me demande si j’ai le contrôle de ses fesses. Ne possédant pas ce privilège, force m’est d’en convenir avec toute la loyauté que vous me connaissez. Oh ! cette soupière-party, mes potes ! Le Limoges est à la peine. On prépare le planning de Saint-Gobain chez les Bérurier. Les locataires s’annoncent par toutes les portes de la maison. Des dames amènent leurs tricots, des messieurs en oublient Midi-Magazine. La concierge téléphone à la voirie pour demander aux boueux de prêter un camion d’urgence afin de déblayer les décombres. Peut-être qu’il va falloir prévenir les pompiers ?

Je m’interpose entre les deux époux.

— Sortez-vous, crétin, ou je vous assomme aussi ! vocifère la Gravosse.

— Un instant, chère madame, je n’ai qu’une question à poser à votre mari. Dis voir, Gros, qu’est-ce qu’il voulait, Morpion, ce matin ?

— Te parler, bredouille l’Enflure. Il a dit que c’était extrêmement t’urgent. Question de vie ou de mort. Qu’il fallait te prévenir coûte que…

Il n’a pas le temps d’achever. La Berthe m’a contourné en brandissant un fauteuil et elle abat le lourd siège sur le portrait de son Obèse.

J’enjambe le Gros pour gagner la sortie de secours.

— Vous partez déjà ! s’étonne une vieille dame aux blancs cheveux.

— Oui, m’excusé-je, j’ai un rendez-vous urgent. Mais je tâcherai de revenir à la séance de 15 heures pour voir la fin.

CHAPITRE X

Le 44 de la rue Saint-Martin ressemble au 45, sauf qu’il se trouve de l’autre côté de la rue. C’est une maison tout en murs avec un toit et des fenêtres. Il y a une porte pour y entrer ; des escaliers pour monter dans les étages et une concierge pour recommander aux visiteurs de s’essuyer les pieds avant de les emprunter. Je demande à la dame en question où crèche Mlle Yapaksa Danlhavvi. Elle me dit qu’elle habite le rez-de-chaussée, ce dont je lui sais gré, l’immeuble ne comportant pas plus d’ascenseur qu’un bungalow de plain-pied.

Une petite porte malade sur laquelle une carte de visite met une tache claire : c’est là ! Pas de sonnette. Je replie mon index et je me sers de ma seconde phalange comme d’un heurtoir. Miracle du progrès : on m’ouvre. Miss Tresses est là, avec ses tresses justement. Je vous prie de considérer que je suis le modeste interprète de la vérité la plus authentique lorsque je vous affirmai que cette gosse est une beauté, en plus joli !

Ses cheveux de jais mettent en valeur son teint mat et, une politesse en valant une autre, son teint mat exalte le brillant de ses cheveux de jais. Elle possède des yeux extraordinaires : mauves avec des bulles d’or dedans. Ses pommes légèrement saillantes, sa bouche charnue, ses narines palpitantes, sa taille être anglais (pardon : étranglée), ses jambes terminées par des pieds constituent à eux tous une sorte d’espèce d’œuvre d’art qui ridiculise la Vénus de mon camarade Milo. Mais ce que cette magnifique créature a de plus beau, outre son calendrier des P. et T. dont la gravure représente un coucher de soleil pendant une éclipse de lune, c’est sa poitrine. Comme on connaît les seins on les adore, prétend un proverbe. Ceux de Yapaksa ont ce qu’il faut pour déclencher la ferveur publique. D’abord ils sont volumineux. C’est pas que je sois particulièrement porté sur la quantité, mais quand la qualité fait également partie du voyage il faut bien s’incliner, non ? Ceux de la demoiselle m’ont l’air drôlement costauds, les gars ! À côté d’eux, le marbre le plus dur ressemble à du caoutchouc mousse. On doit se faire bobo quand on se cogne sur ce carénage. Ils m’hypnotisent.

— Mademoiselle Danlhavvi ? croassé-je en la fixant dans le bleu des seins (elle porte un corsage pervenche).

Elle me refile un sourire que je voudrais pouvoir vous offrir à tous pour vos étrennes.

— Oh ! oh ! le commissaire San-Antonio, gazouille cette fleur d’Alabanie. Qu’est-ce qui me vaut le grand honneur de votre visite ?