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J’en reste comme le radeau de la Méduse, les gars.

— Vous me connaissez ? détecté-je adroitement.

Elle s’efface pour me laisser pénétrer dans un logement d’une pièce, modeste mais propret.

— Qui ne vous connaît pas ! Et comment vous ignorerait-on après avoir travaillé pour M. Pinaud ! Son bureau était tapissé de votre image, monsieur le commissaire. Vous étiez le Dieu de son officine !

Pas besoin de la passer à la radio pour se rendre compte qu’elle est intelligente et pleine d’esprit. Ne vous faites pas de berlue ; moi, un petit lot commak c’est ma pointure. Je l’emporte sans l’essayer.

J’aperçois sur une minuscule table une assiette contenant une tranche de jambon. Devant l’assiette un verre de lait (en anglais : a glass of milk) et près du verre une banane qu’elle destine peut-être à son dessert bien qu’elle m’ait l’air de vivre seule.

— Vous étiez en train de déjeuner, re-marqué-je, je m’excuse de vous déranger.

— Je suis trop contente de vous connaître, riposte la belle enfant, voulez-vous que nous partagions ? J’ai une autre tranche de jambon dans mon petit frigo, vous savez !

— J’accepte à une condition, fais-je, c’est que je vous invite à dîner ce soir.

Ses paupières battent doucement, juste ce qu’il faut pour avoir l’air pudique sans avoir l’air pimbêche.

— Pourquoi pas ?

Aussi simple que ça, mes poulettes. Vous ne direz pas que le charme de San-Antonio c’est de la légende pour journal de mode ? À peine le temps de se dire bonjour et nous voilà comme deux amoureux. Elle ouvre une boîte de petits pois et met du beurre dans une casserole pour faire chauffer ces végétaux. Les merveilleuses nattes de la gosse sont des guides que j’aimerais saisir à pleine main. Je lui en fouetterais doucement les épaules et je crierais hue ! Mais tel que je me connais, c’est moi qui avancerais. Si vous me trouvez trop osé dans mes propos, dites-le moi : j’oserai moins.

On grignote en se regardant l’iris.

— Vous devez me trouver bien liante, n’est-ce pas ? murmure-t-elle soudain, mais M. Pinaud m’a tellement parlé de vous que j’ai l’impression de vous connaître.

Je me gaffe de ce que la Pinoche a pu baver sur mon compte. S’agit d’être à la hauteur de ses radotages car il en a sûrement remis, Pinuchet. Il m’a décrit comme étant l’épée number one du siècle ! L’homme à la matraque d’airain ! Le Casanova grand sport à triple carburateur !

— Au fait, pourquoi cette visite, monsieur le commissaire ?

— Parce que vous êtes Alabanaise, dis-je.

Elle se rembrunit, ce qui, vu la couleur de sa chevelure, est un tour de force.

— Je ne comprends pas.

— Il y a quelque temps, vous avez fait une demande de visa pour retourner dans votre pays ?

— Non pour y retourner, mais pour y aller, rectifie-t-elle, car je n’y ai jamais mis les pieds. Je suis née en France, mais j’ai de la famille là-bas que j’aimerais connaître, aussi, avant les dernières vacances, avais-je eu l’intention de…

— Et le visa vous a été refusé ?

— Oui.

— On ne vous a pas convoquée au consulat depuis ce refus ?

— Non. Pourquoi ?

J’hésite à lui bonnir le pourquoi du comment du chose.

— Avez-vous lu les journaux ? biaisé-je.

— Bien sûr.

— Vous avez lu les petits incidents qui se sont produits rue de la Pompe ?

Elle opine.

— En effet. Ce vitrier tombé de la fenêtre hier, et ces deux meurtres des gardiens, la nuit. Vous enquêtez à ce propos, commissaire ?

— Sur la pointe des pieds, souris-je.

— Je comprends, M. Pinaud vous a parlé de moi et vous avez cru que je vous aiderais à comprendre la mentalité alabanienne ?

— Y a de ça en effet.

— Hélas, je ne vous serai pas d’un grand secours, avoue Yapaksa en souriant modestement. J’ai été élevée à la française, par une mère française. Papa ne m’a guère donné que son nom. Je suis allée deux fois au consulat : une première fois pour déposer ma demande, une deuxième fois pour aller chercher le refus. Je ne connais aucun Alabanien.

— Vous parlez la langue ?

— Ce que j’en connais me servirait tout juste à commander un steak pommes frites dans un restaurant de Strukla, la capitale…

Elle me sert ses petits pois. Je suis chaviré par sa présence, par son parfum.

— Où travaillez-vous en ce moment ?

— J’ai un emploi dans une manufacture de trous farcis ; mais je suis en vacances pour six jours. La maison est allée se réapprovisionner en trous.

J’aimerais essayer de pousser mon avantage en bousculant les siens tout de suite après les petits pois ; seulement je suis préoccupé par mon brave père Morpion. Qu’avait-il donc de si urgent à me dire ? Pourquoi a-t-il prétendu que c’était une question de vie ou de mort ? Où est-il allé ? Pour quelle raison a-t-il décroché le balancier de sa sacrée pendulette ? Autant de questions captivantes auxquelles je ne puis répondre !

— Vous semblez songeur, commissaire ?

— Je le suis.

Et comment qu’il est, votre beau San-Antonio, mes naïades ! Ce qui me trouble le plus dans tout ce bouzin, c’est peut-être mon propre comportement ! Tenez, ce matin, je me réveille après une nuit Ô combien agitée et au lieu de me ruer au turbin, je décide de flemmarder dans les jupes de Félicie ; curieux, hein ? Je finis par me coller tout de même entre les brancards mais je ne vais pas très loin et me voici en train de faire la dînette en compagnie d’une jolie petite péteuse que je ne connais (encore) ni des lèvres ni des dents. Mais qu’est-ce qui t’arrive, mon San-A ? Tu couves les oreillons ou quoi ? C’est pas normal, ça ! T’aurais pas par hasard le bulbe qui bourgeonnerait ou les hormones qui perdraient de la valve ? Ça se soigne, ce que tu as, fils ! Faut consulter, et pas lésiner sur la plaque du toubib. Le chef de clinique à vingt raides le palpage, tout de suite !

Je gamberge un moment, les yeux perdus dans le décolleté — trop timide à mon gré — de Yapaksa. J’ai l’impression d’être sur les pentes immaculées de Courchevel, les gars.

— Dites, mon petit cœur, murmuré-je après avoir refait surface, vous savez que j’aimerais bien avoir des tuyaux sur l’Alabanie nouvelle et les Alabaniens. Il doit bien y avoir une colonie à Paname ?

— Je connais un restaurant alabanien près de la place Péreire. On y mange du Krassouillard-Panné et de la Khoulianbâton aussi bons, parait-il, qu’à Strukla.

— Et à part ce haut lieu gastronomique ?

— Je ne connais rien d’autre.

— On pourrait aller y dîner ce soir ?

— Si vous y tenez, avec plaisir ; je suis en vacances, vous dis-je.

Nous partageons la banane et ma ravissante hôtesse me propose du café. Riche idée, peut-être que ça me remettra en selle ? Je m’assieds sur son divan tandis qu’elle prépare son caoua.

— Vous vivez tout à fait seule ? lui dis-je.

Question épineuse. Elle hoche la tête.

— J’avais un ami, mais nous avons rompu.

— Si bien que vous êtes tout à fait en vacances ?

Elle vient s’asseoir auprès de moi tandis que le caoua est en train de passer. J’ai idée que mon physique avantageux (les deux pour le prix d’une !) lui porte à la peau. Je vérifie : c’est oui. Mon bras en lasso (comme dirait Gloria) l’enlace. Elle se laisse harponner, gentille. Elle est pour le baiser ardent, Yapaksa. Les mimis dégustés avec une paille, elle n’aime pas. Ce qui lui faut c’est la grosse livraison en vrac. Après on fera le tri.