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Je suis dans une forme éblouissante. D’ailleurs la gosse est éblouie, faut se rendre à l’évidence, par ses propres moyens.

L’impromptu, c’est une science, les gars. J’appartiens à la race des improvisateurs, moi. Allez demander à cette gosse, et vous verrez ce qu’elle vous répondra. Elle m’a fait un certificat mais je l’ai oublié dans le tiroir de mes bretelles du dimanche.

Béru est en train de manger des bonbons lorsque je reviens. Pinaud m’annonce avec aigreur que le Gros a pillé la table de nuit de son voisin de lit. Il ajoute que ça ne se fait pas et qu’il se dissocie formellement de son collègue. Avec un haussement d’épaules Béru me désigne alors sa victime : un petit vieux dont le nez rejoint le menton et qui dort en faisant un bruit de mixer.

— Vise-moi ce pauvre pépé, fait le cynique personnage. Il a l’air tellement vaillant que les croque-morts doivent z’être en train de le jouer à la belote ! Et puis c’est pas avec des gencives qu’on peut bouffer des caramels. Sa boîte à dominos est complètement vide, il roule sur la chambre à air, vise un peu. Excepté la purée et le yaourt, y peut plus s’envoyer grand-chose. Ah, elle est bien passée, l’époque où ce qu’il dégoupillait des grenades avec les dents. T’as trouvé du neuf ?

— J’ai appris que c’était Pinaud qu’on voulait liquider ; seulement il y a eu maldonne et c’est son voisin de plumard qui a dégusté le potage.

Le Débris devient verdâtre.

— Comment ça, on voulait me liquider ? bavoche-t-il. Qu’est-ce que j’ai fait ?

— C’est sûrement un coup de nos petits camarades du consulat. Écoute, Puche, tu vas essayer de rassembler tous tes souvenirs pour une conférence de presse. On veut te supprimer parce qu’au cours de ta visite chez les Alabaniens tu as dû repérer ou entendre quelque chose d’important. Quelque chose qu’ils ont décidé de te faire oublier coûte que coûte, tu comprends ?

Il branle le chef misérablement.

— Je n’ai rien vu de plus que ce que je t’ai dit.

— Et entendu ? Ne m’as-tu point rapporté que le secrétaire téléphonait dans la pièce voisine pendant que tu attendais ?

— Il parlait une langue étrangère ! proteste Pinaud.

Je vrille un index péremptoire sur sa caisse d’horloge.

— Gratte un peu là où tu es, supplie le tendre sénile ! C’est fou ce que ça peut me démanger !

Je souscris à sa requête. Et tout en agissant de l’ongle sur son épiderme, je déclare :

— Alors il devait dire des choses capitales, Pinaud. Et ils veulent te tuer par prudence, pour le cas où tu parlerais l’alabanien.

— Mais je ne le comprends pas ! s’égosille le Détritus affolé. Faut leur dire !

Le Gros ricane doucement en finissant les caramels subtilisés au camarade de chambre de son collègue.

— On va mettre une annonce dans les baveux, plaisante l’Hippopotame : « M’sieur l’Inspecteur-Chef Pinaud informe les mecs du Consulat d’Alabanie que c’est plus la peine de le buter vu qu’il cause pas leur langue ».

— Ne plaisante pas, intervient sévèrement le Gentil, il y a eu mort d’homme !

— Du moment que l’homme en question c’était pas toi, rétorque l’invincible, qu’est-ce que j’en ai à branler ?

Il est commak, Béru. Bonne âme, mais pas très sensible à l’extérieur. Son capital émotionnel, il le réserve aux aminches. Pour lui, la mort d’un homme c’est du petit fait-divers pour concierges.

— Ça fait rien, voilà qu’indirectement tu effaces deux julots dans la même journée, ironise-t-il. T’es Attila en personne, Pinuche !

Je donne des instructions pour que le Révérend soit installé dans une chambre à un lit et pour qu’un agent fasse le pet devant sa lourde. Ensuite de quoi nous le laissons aux prises avec son urticaire.

CHAPITRE VII

La nuit est fraîche comme un quart Ricqlès bien frappé. Béru m’informe qu’il a faim et sommeil. Il envisage une saucisse aux lentilles ou un pote-au-feu. Ensuite de quoi il se fera une dorme à grand spectacle dans les bras de sa Berthe.

— Minute, coupé-je, il nous reste encore un petit turbin à exécuter.

— De quoi t’est-ce s’agit-il ?

— Ça me démange d’aller faire une petite visite privée au consulat.

— À ces heures ! tonitrue-t-il ; mais il est fermaga, gars !

— Justement, je l’ouvrirai.

— Tu trouveras personne !

— J’y compte bien.

Il n’est pas convaincable. Sa saucisse lui trotte par la tête avant de lui explorer la boîte à ragoût.

— Je vais encore te dire autre chose, San-A.

— C’est inutile, mais dis-le néanmoins.

— En forçant la porte d’un consulat, tu commets une violation de frontière !

— Je sais, fils !

— Et en plus, comme tu es officier de police, un suppositoire que tu te fasses prendre, ça risquerait de créer un incendie problématique[2] !

Il n’a pas tort. Je me demande même s’il n’a pas raison. Me devinant troublé, il précise son attaque.

— Tu vois pas qu’à cause de toi on ait la guerre avec l’Alabanie, gars ? Ce serait le bouquet. Surtout maintenant qu’on a pris l’habitude de paumer toutes les guerres qu’on entreprend ! Tu vas me dire que l’Alabanie c’est pas très grand ; mais je te fais remarquer qu’au plus le pays avec lequel on se chicorne est petit, en plus vite on perd la guerre. J’ai idée qu’en quarante-huit heures ce sera réglé et que les troupes alabaniennes défileraient sous l’Arc de Triomphe. T’imagines ? L’occupation, les restrictions et tout ! Si encore on aurait notre force de frappe au point, je dis pas ; mais en fait de frappes on ne dispose guère que de celles qui draguent dans Pigalle ! Les Amerlocks seraient une fois de plus bonnards pour venir nous délivrer. La Fayette, ç’a été un drôle de placement, rappelle-toi-z’en !

Le Gros est lancé. Maintenant que le voilà à la tribune, il se croit obligé de jouer « M. Smith au Sénat ».

Et de poursuivre :

— Tu sais pourquoi, quand les Ricains viennent de nous sortir de l’auberge, on écrit « US go home » sur les murs ?

— Pour qu’ils rentrent chez eux, parbleu !

— Natürlich, mais tu sais pourquoi on tient à ce qu’ils rentrent chez eux ?

— Dis voir ?

— C’est pour qu’ils se préparent à venir nous délivrer la fois prochaine. Non, crois-moi, moule tes idées de perquise à la sauvette. Fais-le pour la France, San-A. si tu veux pas le faire pour moi. Elle n’a pas besoin de ça en ce moment !

Mon silence lui donne à croire que sa plaidoirie a porté. Il se mouche avec un bruit de trompette, examine les résultats, les enveloppe, les empoche et déclare :

— Tout compte fait, je me demande si une choucroute serait pas préférable.

Je freine et range ma tire en bordure du trottoir.

— Pourquoi tu stoppes ? s’étonne le Boulimique en regardant autour de soi, il n’y a pas de restaurant à promiscuité !

Il avise alors la hampe du consulat d’Alabanie et se renfrogne.

— Tu feras comme tu veux, mais je sais que moi je ne plongerai pas mon pays dans les z’horreurs de la guerre.

— Aussi ne te demandé-je point de m’accompagner, Saucisse avariée, lancé-je, mais seulement de m’attendre.

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2

Le cher Béru doit vouloir dire un incident diplomatique.