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L’allusion à « voyager n’importe où » et aux « accidents » était-elle une menace voilée ? Non, à coup sûr…

Elayne bouillit de colère quand elle comprit pourquoi elle était certaine que Taim ne la menaçait pas. C’était à cause de Rand, bien entendu ! Mais elle ne se cacherait pas derrière lui.

Des visites sous contrôle ? Et sur demande ? Encore un peu, et elle allait réduire ce sale type en cendres !

Soudain, elle prit conscience de ce que Birgitte lui transmettait via leur lien. De la colère. Le reflet de la sienne, plus celle de la Championne, qui venait ainsi alimenter sa fureur. Tendue à craquer, l’archère brûlait d’envie de lancer son couteau.

Encore un peu de rage, et Elayne risquait de perdre contact avec le saidar. Ou de frapper sans retenue.

Mobilisant sa volonté, elle parvint à se calmer un peu. En surface, au moins. Et assez pour parler d’un ton égal :

— Mes gardes viendront chez toi tous les jours, maître Taim.

Et comment feront-ils, avec ce temps ? On s’en fiche !

— Je les accompagnerai peut-être parfois avec quelques autres sœurs.

Si l’idée que des Aes Sedai fouinent dans sa Tour Noire le dérangeait, Taim ne le montra pas. Mais Elayne s’efforçait d’établir l’autorité du royaume d’Andor, pas de provoquer ce pauvre type.

Elle effectua très vite un exercice appris pendant son noviciat. Le fleuve retenu par ses berges… Idéal pour se calmer, ça… Le résultat ne se fit pas attendre. À présent, elle avait seulement envie d’envoyer tous les gobelets et la carafe à la figure de Taim.

— Je veux bien accéder à ta requête, au sujet de l’escorte, mais il ne faudra rien nous cacher. Pas question pour moi de couvrir des activités criminelles. Nous comprenons-nous bien ?

Taim esquissa une révérence moqueuse – moqueuse ! – mais il parla d’un ton peu amène :

— Je vous comprends à la perfection. Mais comprenez-moi aussi. Mes hommes ne sont pas des paysans qui portent la main à leur front sur votre passage. Poussez un Asha’man trop loin, et vous découvrirez les limites de vos lois.

Elayne ouvrit la bouche pour dire à ce butor que les lois, en Andor, n’avaient pas de limites.

— L’heure est venue, Elayne Trakand, annonça une voix de femme dans l’encadrement de la porte.

— Par le sang et les cendres, marmonna Dyelin. Le monde entier va-t-il entrer ici ?

Elayne reconnut la voix. Cette convocation, elle l’attendait sans savoir quand elle viendrait. Mais avec la certitude qu’elle devrait y répondre sur-le-champ.

Regrettant de ne pas avoir un peu plus de temps pour préciser les choses à Taim, elle se leva.

Perplexe, le faux Dragon regarda la femme qui venait d’entrer, puis il se tourna vers Elayne. Qu’il se pose donc des questions ! Ça l’occuperait jusqu’à ce que la future reine ait le temps de lui mettre les points sur les i concernant les « prérogatives » des Asha’man dans son royaume.

Aussi grande que les deux compagnons de Taim, et plus rondelette que toutes les Aielles qu’Elayne avait vues, Nadere riva ses grands yeux verts sur les Asha’man, les évalua puis s’en détourna. Ces hommes n’impressionnaient pas les Matriarches. D’ailleurs, quasiment rien n’y parvenait…

Nadere tira sur son châle, faisant tintinnabuler ses bracelets, puis elle vint se camper devant Elayne sans se soucier de Taim. Malgré le froid mordant, elle ne portait sous son châle qu’un fin chemisier blanc. En revanche, un lourd manteau de laine, soigneusement plié, reposait sur son bras gauche.

— Tu dois venir, dit-elle à Elayne. Tout de suite.

Taim plissa tant le front que ses sourcils manquèrent se rejoindre. À l’évidence, il n’avait pas l’habitude qu’on le dédaigne ainsi.

— Par la Lumière des cieux…, marmonna Dyelin. (Elle se massa le front.) Je ne sais pas à quoi ça rime, Nadere, mais tu devras attendre que…

Elayne posa une main sur le bras de la noble dame.

— Tu ne sais pas, en effet, et ça ne peut pas attendre. Nadere, je renvoie tout ce petit monde et je te suis.

La Matriarche secoua la tête.

— Un enfant sur le point de naître ne peut pas s’offrir le luxe de renvoyer des gens… (Elle secoua le manteau.) J’ai apporté ce vêtement pour protéger ta peau du froid. Dois-je le laisser ici et dire à Aviendha que ta pudeur est plus forte que ton désir d’avoir une sœur ?

Comprenant soudain, Dyelin poussa un petit cri. Dans le lien, Elayne sentit l’indignation de Birgitte.

Il n’y avait pas d’alternative. Laissant le cercle se dissiper, Elayne se coupa de la Source, l’aura continuant à envelopper Renaile et Merilille.

— Tu m’aides à déboutonner ma robe, Dyelin ?

Elayne se rengorgea de parler d’un ton si calme.

Je m’attendais à ça, mais pas devant tant de témoins…

Pour ne pas le voir la reluquer, elle tourna le dos à Taim puis s’attaqua aux petits boutons, sur ses manches.

— Dyelin, s’il te plaît !

Comme une somnambule, Dyelin approcha et s’occupa du dos d’Elayne en marmonnant entre ses dents serrées.

Près de la porte, un des Asha’man ricana.

— Demi-tour, droite ! ordonna Taim.

Des bruits de bottes indiquèrent que ses hommes lui obéissaient.

Elayne se demanda s’il s’était lui aussi détourné. Quoi qu’il en soit, elle sentait son regard peser sur elle.

Soudain, Birgitte approcha, puis fut rejointe par Merilille, Zaida, Reene et même Renaile. Serrées les unes contre les autres, les cinq femmes formèrent un cercle pour isoler Elayne des regards masculins. Une protection partielle, puisque aucune n’était aussi grande que la jeune femme, Zaida et Merilille lui arrivant à peine à l’épaule.

Concentre-toi… Tu es calme, sereine et… Et tu te déshabilles dans une pièce pleine de monde, voilà ce que tu fais !

Accélérant le rythme, Elayne laissa glisser sur le sol sa robe et son chemisier, puis elle jeta dessus ses pantoufles et ses bas. Exposée à l’air frisquet, elle eut aussitôt la chair de poule. Ne pas sentir le froid n’empêchait pas de trembler. En revanche, difficile d’ignorer le rouge qui lui montait aux joues, tant celles-ci devenaient brûlantes.

— De la folie, grogna Dyelin. C’est de la folie !

— C’est quoi, cette histoire ? demanda Birgitte. Tu veux que je vienne avec toi ?

— Non, je dois y aller seule. Pas de discussion !

Extérieurement, l’archère ne semblait pas disposée à polémiquer. Mais le lien racontait une tout autre histoire.

Elayne retira ses boucles d’oreilles en or, les tendit à sa Championne, puis hésita un peu avant de répéter l’opération avec sa bague au serpent. Les Matriarches lui avaient précisé de venir nue comme une enfant qui va naître. Parmi une cataracte de consignes figurait celle de ne rien dire à personne sur ce qui allait arriver. Pas trop difficile, puisque Elayne l’ignorait aussi. Après tout, à la naissance, on n’avait aucune idée de ce que serait la suite…

Marmonnant à son tour, Birgitte fit écho à Dyelin.

Nadere approcha avec le manteau. Elle se contenta de le tendre à Elayne, qui dut le poser sur ses épaules et s’envelopper dedans. Malgré tout, elle continua à sentir peser sur elle le regard de Taim. Une fois couverte, elle eut envie de fuir à toutes jambes, mais elle se força à se redresser puis à se diriger lentement vers la sortie. Hors de question de se défiler, furtive et honteuse.

Faisant face aux portes, les compagnons de Taim se tenaient quasiment au garde-à-vous. Le faux Dragon, lui, les bras croisés, contemplait les flammes. À part Nadere, les autres femmes regardaient Elayne avec un mélange de curiosité, d’accablement et de trouble.

L’Aielle commençait à s’impatienter.

Elayne prit son ton le plus régalien :

— Maîtresse Harfor, avant qu’ils s’en aillent, offrez du vin à maître Taim et à ses hommes.