Elayne en resta bouche bée. C’est ça qu’Aviendha pensait d’elle ? Ça lui donnait l’air d’une aguicheuse ! Aviendha fronça les sourcils et ouvrit la bouche, mais Tamela pesa sur ses épaules et prit la parole.
— Vous pensez que les hommes ne regardent pas votre visage avec approbation ? dit-elle d’un ton tendu.
Énergique, c’était ce qui qualifiait le mieux son visage à elle.
— Regardent-ils vos seins dans la tente-étuve ? Admirent-ils vos hanches ? Vous êtes belle, et vous le savez. Niez-le, et vous vous niez vous-même ! Vous avez pris plaisir à regarder des hommes, et vous leur avez souri. N’avez-vous jamais souri à un homme pour donner du poids à vos arguments, ou touché son bras pour le distraire de la faiblesse de vos raisonnements ? Cela vous arrivera, et vous n’en vaudrez pas moins pour ça.
Aviendha s’empourpra, mais Elayne devait écouter Viendre. Et combattre sa propre rougeur.
— Il y a de la violence en vous. Niez-le, et vous vous niez vous-même. N’avez-vous jamais ragé et frappé ! N’avez-vous jamais blessé quelqu’un jusqu’au sang ? Ne l’avez-vous jamais souhaité ? Sans considérer une autre solution ? Machinalement ? Tant que vous aurez un souffle de vie, cela fera partie de vous.
Elayne pensa à Taim et à d’autres, et son visage lui parut brûlant comme une chaudière.
Cette fois, il y avait plus d’une réponse.
— Vos bras s’affaibliront, disait Tamela à Aviendha. Vos jambes perdront leur agilité. Un enfant pourra vous prendre votre dague des mains. À quoi vous serviront alors l’adresse ou la férocité ? Le cœur et l’esprit sont les armes véritables. Mais avez-vous appris à vous servir de la lance en un jour, quand vous faisiez partie des Vierges de la Lance ? Si vous n’affûtez pas votre esprit et votre cœur maintenant, les enfants vous brouilleront les idées quand vous vieillirez. Les chefs de clans vous mettront dans un coin pour jouer aux ficelles magiques, et quand vous parlerez, ils n’entendront que du vent. Réfléchissez-y tant qu’il est encore temps.
— La beauté se fane, poursuivait Viendre, s’adressant à Elayne. Vos seins deviendront flasques avec les ans, votre peau sera parcheminée. Les hommes qui souriaient à votre visage vous parleront comme si vous étiez un homme. Peut-être que votre mari vous verra toujours comme il vous a vue la première fois, mais aucun autre homme ne rêvera de vous. Ne serez-vous plus vous-même ? Votre corps n’est qu’un vêtement. Votre chair se flétrira, mais vous êtes votre esprit et votre cœur, et ils ne changent pas, sauf pour devenir plus forts.
Elayne secoua la tête. Pas de dénégation. Mais elle n’avait jamais pensé au vieillissement. Surtout depuis qu’elle était allée à la Tour. Les ans pesaient peu sur les Aes Sedai, même sur les plus âgées. Et si elle vivait aussi longtemps que les Femmes de la Famille ? Cela signifierait renoncer à être Aes Sedai, bien sûr, mais quand même ? Ces femmes mettaient très longtemps à avoir des rides, mais elles finissaient par en avoir. Qu’en pensait Aviendha ? Agenouillée sur les dalles, elle avait l’air… boudeur.
— Quelle est la chose la plus infantile que vous savez sur la femme que vous voulez pour première-sœur ? dit Monaelle.
Ça, c’était plus facile, moins dangereux. Elayne alla même jusqu’à sourire en répondant. Aviendha sourit aussi. De nouveau, les tissages absorbèrent leurs paroles et les restituèrent en même temps ; le ton était rieur.
— Aviendha ne veut pas me laisser lui apprendre à nager. J’ai essayé. Elle n’a peur de rien, sauf de se retrouver dans davantage d’eau que n’en peut contenir une baignoire.
— Elayne se goinfre de bonbons à deux mains, comme une gamine en cachette de sa mère. Si elle continue, elle sera grosse comme un cochon avant d’être vieille.
Elayne sursauta. Elle se goinfrait ? Juste un bonbon de temps en temps, pas plus. Grosse comme un cochon ? Refuser d’avoir de l’eau plus haut que le genou, ça, c’était infantile.
Monaelle toussota derrière sa main, mais Elayne pensa qu’elle dissimulait un sourire. Quelques Sagettes rirent ouvertement. De la sottise d’Aviendha ? Ou de sa… goinfrerie ?
Monaelle reprit sa dignité, ajustant ses jupes déployées sur le sol, mais sa voix avait toujours une nuance rieuse.
— De quoi êtes-vous le plus jalouse chez la femme que vous désirez pour première-sœur ?
Elayne aurait peut-être éludé la question malgré l’obligation de vérité. La réponse lui était venue immédiatement à l’esprit, mais elle en avait trouvé une autre, moins embarrassante pour elles deux, qui était acceptable. Peut-être. Mais il y avait cette histoire de sourires aux hommes et de poitrine à demi nue. Elle souriait peut-être, mais Aviendha passait devant des hommes congestionnés nue comme un ver sans paraître seulement les voir ! Et elle se goinfrait de bonbons ? Elle allait devenir grosse comme un cochon ? Elle énonça l’amère vérité, absorbée par le tissage, et la bouche d’Aviendha remua dans un silence lugubre jusqu’au moment où les mots furent restitués.
— Aviendha a fait l’amour avec l’homme que j’aime ; moi pas. Cela ne m’arrivera peut-être jamais, et j’ai envie de pleurer quand j’y pense.
— Elayne est aimée de Rand al’Th… de Rand. Mon cœur se consume du désir qu’il m’aime, mais je ne sais pas si cela arrivera jamais.
Elayne scruta le visage indéchiffrable d’Aviendha. Elle la jalousait à cause de Rand ? Alors qu’il évitait Elayne Trakand comme si elle avait la gale ? Elle n’eut pas le temps de ruminer davantage.
— Giflez-la à toute volée, dit Tamela à Aviendha, soulevant sa main de l’épaule de la candidate.
Viendra pinça légèrement Elayne et dit :
— N’esquivez pas.
On ne leur avait jamais parlé de ça ! Sûrement qu’Aviendha n’allait pas…
Clignant des yeux, Elayne se redressa, s’écartant des dalles glacées. Elle se palpa délicatement la joue, et grimaça. Elle n’était pas obligée de frapper si fort !
Toutes attendirent qu’elle se remette à genoux, puis Viendre se pencha vers elle.
— Giflez-la aussi fort que vous pourrez.
Eh bien, elle, elle n’allait pas assommer Aviendha ! Elle, elle allait… Sa gifle magistrale projeta Aviendha par terre, où elle glissa sur le ventre presque jusqu’à Monaelle. Sa main la piquait presque autant que sa joue.
Aviendha se redressa à quatre pattes, secoua la tête, puis reprit sa position à genoux. Et Tamela dit :
— Frappez-la de l’autre main.
Cette fois, Elayne glissa sur les dalles glacées jusqu’aux genoux d’Amys, étourdie, les deux joues en feu. Et quand elle se redressa devant Aviendha et que Viendre lui ordonna de frapper, elle mit tout le poids de son corps derrière le coup, au point qu’elle faillit tomber sur Aviendha quand celle-ci s’écroula.
— Vous pouvez arrêter maintenant, dit Monaelle.
La tête d’Elayne pivota vers la Sagette ; Aviendha, à demi redressée sur les genoux, se pétrifia.
— Vous pouvez arrêter l’épreuve si vous le désirez, poursuivit Monaelle. À ce stade, voire plus tôt, les hommes arrêtent généralement. Beaucoup de femmes aussi. Mais si vous vous aimez encore assez pour continuer, alors, embrassez-vous.
Elayne se jeta sur Aviendha qui fit de même, de sorte qu’elles faillirent se renverser. Elles s’étreignirent. Elayne sentait les larmes jaillir de ses yeux, et elle réalisa qu’Aviendha pleurait aussi.
— Je suis désolée, murmura-t-elle avec ferveur. Je suis désolée, Aviendha.