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Soudain, elle entendit du tapage dans la rue, dans la direction du poste de garde, le bruit des crécelles des Gardes se faisaient de plus en plus fort. Le Garde descendit à la hâte de son perchoir. Les passants proches de là inspectèrent le carrefour et une partie de la rue de la Carpe Bleue, puis se plaquèrent précipitamment contre les murs tandis que des Gardes arrivaient en courant, brandissant leurs crécelles en bois au-dessus de leurs têtes. Il ne s’agissait pas d’une simple patrouille, mais d’un flot d’hommes armurés battant lourdement les pavés, et d’autres rejoignant cette marée par l’autre rue. Les gens qui ne s’écartaient pas assez vite étaient poussés sur le côté, et Nynaeve se plaqua vivement contre la façade près de la colporteuse ahurie. Occupant toute la me, perches-grappins et gourdins pointés comme des piques, la masse des Gardes la bouscula des épaules, la collant contre le mur. La vendeuse de galons hurla quand son plateau lui fut arraché et disparut, laissant indifférents tous les Gardes qui ne regardaient que devant eux.

Quand le dernier fut passé en courant, Nynaeve était dix bons pas plus loin qu’avant. La colporteuse criait en colère, brandissant les poings dans le dos des Gardes. Rajustant avec indignation sa cape entortillée autour d’elle, Nynaeve ne voulait pas se contenter de crier. Elle avait envie de…

Brusquement, son souffle se bloqua dans sa gorge. Les Gardes de Rue s’étaient arrêtés et formaient un groupe compact, peut-être d’une centaine d’hommes qui se criaient dessus. Ils étaient arrêtés devant l’atelier du bottier. Ô par la Lumière, Lan ! Et Rand, toujours Rand ! Mais d’abord et avant tout, toujours le cœur de son cœur, Lan.

Elle s’obligea à respirer. Une centaine d’hommes. Elle toucha sa ceinture de gemmes, le Puits, à sa taille. Il y restait moins de la moitié de la saidar qu’elle y avait stockée, mais cela suffirait peut-être. Relevant le capuchon de sa cape, elle s’avança vers les hommes arrêtés devant l’atelier du bottier. Aucun ne regardait de son côté. Elle pouvait…

Des mains la saisirent, la tirèrent en arrière et la firent pivoter dans l’autre direction.

Elle réalisa que Cadsuane et Alivia la tenaient chacune par un bras, l’entraînant dans la rue. Loin de l’atelier du bottier. Marchant près d’Alivia, Min jetait des regards inquiets par-dessus son épaule. Brusquement, elle craqua.

— Il… Je crois qu’il est tombé, murmura-t-elle. Je crois qu’il est inconscient, mais il est blessé. Je ne sais pas si c’est grave…

— Nous ne lui ferons aucun bien en restant là, ni à nous-mêmes, dit Cadsuane calmement.

Les ornements en or de sa coiffure se balancèrent à l’intérieur de son capuchon quand sa tête pivota, ses yeux scrutant les passants devant elles. Pour se protéger du vent, elle tenait sa capuche relevée de sa main libre, laissant sa cape claquer derrière elle.

— Je veux être loin d’ici avant qu’un de ces garçons ne demande aux femmes de montrer leur visage. Toute Aes Sedai repérée au voisinage de la rue de la Carpe Bleue cet après-midi devra répondre à des questions à cause de cet enfant.

— Laissez-moi y aller ! dit sèchement Nynaeve, cherchant à se dégager.

Si Rand était inconscient, qu’en était-il de Lan ?

— Il faut que j’y retourne pour les aider !

Les deux femmes l’entraînèrent d’une poigne de fer. Tous ceux qu’elles croisaient regardaient vers l’atelier du bottier.

— Vous en avez déjà bien assez fait, écervelée, dit Cadsuane, d’une voix froide comme l’acier. Je vous avais parlé des chiens de garde de Far Madding. Ah ! là, là ! Vous avez paniqué tout le Conseil en canalisant là où personne ne peut canaliser. Si les Gardes les ont arrêtés, ce sera à cause de vous.

— Je croyais que la saidar ne se remarquerait pas, dit Nynaeve d’une voix défaillante. Je n’en ai utilisé qu’un peu, et brièvement. Je… je pensais que peut-être on ne s’en apercevrait pas.

Cadsuane lui lança un regard écœuré.

— Par ici, Alivia, dit-elle, lui faisant tourner de force le coin proche du poste de garde déserté. De petits groupes excités parsemaient la rue, jacassant à qui mieux mieux. Un homme gesticulait, comme s’il brandissait une perche-grappin. Une femme montrait du doigt le poste de garde abandonné en hochant la tête.

— Dites quelque chose, Min, supplia Nynaeve. Nous ne pouvons pas les abandonner comme ça.

Elle ne pensa même pas à s’adresser à Alivia, dont le visage faisait paraître doux celui de Cadsuane.

— N’attendez aucune sympathie de ma part, dit Min à voix basse, d’un ton aussi froid que Cadsuane.

Quand elle regarda Nynaeve, ce fut pour la foudroyer du coin de l’œil, avant de reporter son regard sur la rue devant elle.

— Je vous ai suppliée de m’aider à les retenir, mais vous étiez aussi stupide qu’eux. Maintenant, nous devons nous en remettre à Cadsuane.

Nynaeve renifla avec dédain.

— Qu’est-ce qu’elle peut faire ? Dois-je vous rappeler que Rand et Lan sont derrière nous, et de plus en plus loin à chaque instant ?

— Le garçon n’est pas le seul à ignorer les bonnes manières, marmonna Cadsuane. Il ne m’a toujours pas présenté d’excuses, mais il a dit à Verin qu’il le ferait, et je suppose que je peux m’en contenter pour le moment. Ah ! là, là ! Ce garçon me donne plus de mal que n’importe quelle dizaine d’autres avant lui. Je vais faire ce que je pourrai, jeune fille, ce qui est un peu plus que vous ne pourriez faire en essayant de vous frayer un chemin au milieu des Gardes de Rue. À partir de maintenant, vous ferez exactement ce que je dirai, ou je demanderai à Alivia de s’asseoir sur vous !

Alivia hocha la tête. Min aussi !

Nynaeve grimaça. Cette femme était censée s’incliner devant elle ! Quand même, une invitée de la Première Conseillère pouvait en faire davantage que la simple Nynaeve al’Meara, même si elle arborait son anneau du Grand Serpent. Pour Lan, elle pouvait supporter Cadsuane.

Mais quand elle demanda à Cadsuane ce qu’elle comptait faire pour libérer les hommes, elle se contenta de lui répondre :

— Beaucoup plus que je ne voudrais, en admettant que je puisse faire quelque chose. Mais j’ai fait des promesses au garçon, et je les tiens toujours. J’espère qu’il s’en souviendra.

Prononcée d’une voix froide comme la glace, cette réponse n’était pas de nature à rassurer.

Rand se réveilla dans le noir et la souffrance, couché sur le dos. Ses gants avaient disparu, et il sentait sous lui une grossière paillasse. On lui avait aussi pris ses bottes. Ses gants avaient disparu ; ils savaient donc qui il était. Il s’assit avec précautions. Il avait le visage tuméfié, et tous les muscles de son corps endoloris comme si on l’avait battu, mais rien ne semblait cassé.

Se levant lentement, il tâtonna le long du mur, arrivant presque aussitôt à un coin, puis à une porte grossièrement bardée de fer. Dans le noir, ses doigts rencontrèrent un petit volet, mais il ne parvint pas à l’ouvrir. Aucune lumière ne filtrait autour. Dans sa tête, Lews Therin se mit à haleter. Rand reprit sa marche tâtonnante, les dalles du sol froides sous ses pieds nus. Il rencontra presque immédiatement le coin suivant, puis le troisième, où ses orteils heurtèrent quelque chose qui cliqueta sur les pierres. Gardant une main sur le mur, il se baissa et trouva un seau en bois. Il le laissa où il était et termina son circuit, revenant jusqu’à la porte. Il était donc dans une boîte noire de trois toises de long et d’un peu plus de deux toises de large. Levant une main, il rencontra un plafond de pierre à moins d’un pied au-dessus de sa tête.