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Enfermé, dit Lews Therin. De nouveau la boîte. Comme quand ces femmes nous ont mis dans une boîte. Il faut sortir ! hurla-t-il. Il faut sortir !

Ignorant la voix qui grondait dans sa tête, Rand recula jusqu’à ce qu’il estimait être le milieu de la cellule, puis il s’assit par terre en tailleur. Il était aussi loin des murs que possible, et dans le noir, il les imagina plus distants, mais il lui semblait que, s’il voulait les toucher, il n’aurait pas besoin de déployer complètement les bras. Il se sentait trembler, comme si son corps était celui d’un autre agité de spasmes incontrôlables. Les murs semblaient tout contre lui, le plafond juste au-dessus de sa tête. Il devait lutter contre cette impression, ou il deviendrait aussi fou que Lews Therin en attendant que quelqu’un vienne le faire sortir. Parce qu’il faudrait bien qu’ils le fassent sortir, ne fût-ce que pour le remettre à une envoyée d’Elaida. Combien de mois fallait-il pour qu’un message parvienne à Tar Valon et aux émissaires d’Elaida ? S’il y avait des sœurs fidèles à Elaida moins loin que Tar Valon, cela irait peut-être plus vite. L’horreur s’ajouta à ses tremblements quand il réalisa qu’il espérait que ces sœurs étaient proches, déjà dans la cité, pour le sortir plus vite de cette boîte.

— Je ne me rendrai pas ! vociféra-t-il. Je serai aussi dur qu’il le faudra !

Dans cet espace confiné, la voix résonna comme le tonnerre.

Moiraine était morte parce qu’elle n’était pas assez dure pour faire ce qu’elle avait à faire. Son nom était toujours le premier de la liste gravée dans son cerveau, sur laquelle étaient répertoriées les femmes qui étaient mortes à cause de lui. Moiraine Damodred. Chaque nom de cette liste provoquait une angoisse qui lui faisait oublier sa souffrance, oublier les murs de pierre juste à portée de ses doigts. Colavaere Saighan, qui était morte parce qu’il l’avait dépouillée de tout ce qui avait de la valeur pour elle. Liah, Vierge de l’Épée, des Cosaida Chareens, qui était morte de ses propres mains parce qu’elle l’avait suivi à Shadar Logoth. Jendhilin, Vierge du Pic Froid Miagoma, parce qu’elle avait revendiqué l’honneur de garder sa porte. Il devait être dur ! Un par un, il se rappela tous les noms de cette longue liste, forgeant patiemment son âme dans les feux de la douleur.

Les préparatifs prirent plus longtemps que Cadsuane ne l’aurait voulu, parce qu’elle avait dû faire comprendre à différentes personnes qu’un glorieux sauvetage dans la tradition des contes de ménestrels était hors de question. Il faisait donc nuit quand elle se retrouva dans les couloirs de la Salle des Conseillères, marchant tranquillement. Se presser, c’est montrer aux gens qu’on est anxieux, qu’ils ont l’avantage. Si, une fois dans sa vie, elle avait eu besoin de garder l’avantage dès le départ, c’était bien ce soir.

Les couloirs auraient dû être déserts à cette heure, mais les événements du jour avaient changé le cours des choses. Des clercs en tuniques bleues s’affairaient partout, s’arrêtant parfois pour regarder ses compagnes, bouche bée. Sans doute qu’ils n’avaient jamais vu quatre Aes Sedai en même temps – elle n’était pas prête à accorder ce titre à Nynaeve tant qu’elle n’avait pas prêté les Trois Serments – et l’agitation du jour avait dû ajouter au trouble qu’ils ressentaient à leur vue. Pourtant, les trois hommes fermant la marche attiraient autant les regards. Les clercs ne savaient peut-être pas ce que signifiaient leurs tuniques noires ou les épingles de leurs hauts cols, mais il était peu vraisemblable qu’aucun de ces clercs ait jamais vu trois hommes portant l’épée dans ces couloirs. En tout cas, avec un peu de chance, personne n’irait se précipiter pour dire à Aleis d’interrompre le Conseil siégeant à huis clos. Dommage qu’elle n’ait pas pu faire venir uniquement les hommes, mais même Daigian s’était rebellée à cette suggestion.

— Ça ne marchera jamais, grommela Nynaeve, peut-être pour la dixième fois depuis qu’elles avaient quitté les Hauteurs. Nous devrions frapper fort tout de suite !

— Nous aurions dû agir plus vite, marmonna sombrement Min. Je le sens changer. Avant, il était en pierre, maintenant il est en fer ! Par la Lumière, qu’est-ce qu’ils lui font ?

Étant le seul lien avec Rand, elle les avait sans cesse tenues au courant de son état, chaque fois plus sombre que la précédente. Cadsuane ne lui avait pas décrit les cellules, parce que Min avait déjà craqué en apprenant ce que lui avaient fait subir les sœurs qui l’avaient kidnappé.

Cadsuane soupira. C’était une armée de fortune qu’elle amenait là, mais même une telle armée a besoin de discipline, surtout si la bataille est imminente. Cela aurait été pire si elle n’avait pas obligé les Atha’ans Miere à rester en arrière.

— Je peux faire cela sans l’une et l’autre, si besoin est, dit-elle avec fermeté. Non, ne dites rien, Nynaeve. Merise ou Corele sont capables de porter la ceinture aussi bien que vous. Ainsi donc, mes enfants, si vous n’arrêtez pas de geindre, je demanderai à Alivia de vous ramener au Palais et de vous donner une raison de pleurnicher.

C’était la seule raison qui lui avait fait emmener la sauvage Irrégulière. Alivia avait tendance à devenir très douce avec les gens qu’elle ne dominait pas, mais elle foudroyait férocement ces deux pies jacassantes.

Leurs deux têtes pivotèrent en même temps vers la femme aux cheveux d’or, et les pies se renfermèrent dans un silence béni. Silencieuses, mais pas soumises. Min pouvait grincer des dents tout son saoul, mais la bouderie hargneuse de Nynaeve agaçait Cadsuane. Elle avait un gros potentiel, mais sa formation avait été interrompue trop tôt. Sa capacité de Guérison frisait le miraculeux, ses capacités pour tout le reste étaient lamentables. Et elle n’avait pas appris à supporter ce qui devait être supportable. À la vérité, Cadsuane sympathisait avec elle. En partie. C’était une leçon que tout le monde ne pouvait pas apprendre à la Tour. Elle-même, fière de sa puissance et de son nouveau châle, l’avait apprise d’une Irrégulière quasiment édentée, dans une ferme au cœur des Collines Noires. Vraiment, c’était une petite armée très disparate qu’elle avait rassemblée pour faire marcher Far Madding sur la tête.

Clercs et messagers emplissaient l’antichambre de la Salle des Conseillères, mais ils n’étaient, après tout, que des clercs et des messagers. Les clercs hésitaient, en proie à un empressement perplexe, chacun attendant qu’un autre parle le premier. Les messagers en tunique rouge, qui savaient ne pas devoir parler en ce lieu, reculèrent sur les dalles bleues jusqu’aux murs, et les clercs s’écartèrent devant Cadsuane, aucun n’osant ouvrir la bouche avant les autres. Elle entendit quand même un hoquet collectif de stupéfaction quand elle ouvrit l’une des grandes portes, sculptée de la Main et de l’Épée.

La Salle des Conseillères n’était pas grande. Quatre torchères à miroir suffisaient à l’éclairer, et un grand tapis tairen rouge, bleu et or couvrait presque entièrement les dalles. D’un côté de la pièce, une large cheminée de marbre réchauffait assez bien l’atmosphère, mais les portes vitrées menant à la colonnade extérieure tremblaient sous le vent nocturne, assez bruyantes pour étouffer le tic-tac de la grande pendule dorée d’Illian posée sur le manteau. Treize fauteuils sculptés et dorés, très semblables à des trônes, étaient disposés en arc de cercle face à la porte, tous occupés par des femmes à l’air soucieux.