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Cyndane ralentit à la vue de la femme qui se tenait au milieu des arbres à cent pas devant elle, une blonde de haute taille qui la regarda simplement approcher. L’impression qu’on livrait des batailles avec le Pouvoir en d’autres lieux lui inspira de la méfiance en même temps qu’elle lui donna de l’espoir. La femme était très simplement vêtue de drap, mais incongrûment couverte de bijoux, comme si elle était une grande dame. Avec la saidar en elle, Cyndane voyait les fines pattes-d’oie au coin de ses yeux. Donc, elle n’était pas de celles qui se donnent le nom d’Aes Sedai. Mais qui était-ce ? Et pourquoi était-elle plantée là, comme pour barrer le chemin à Cyndane ? Cela n’avait pas vraiment d’importance. Canaliser maintenant la trahirait, mais elle avait le temps. La clé continuait à briller comme un fanal du Pouvoir. Lews Therin vivait toujours. Malgré les yeux féroces de la femme, un couteau suffirait à l’éliminer si elle pensait vraiment lui faire obstacle. Et juste au cas où elle serait ce qu’ils appelaient une Irrégulière, Cyndane lui prépara un petit cadeau, une toile inversée qu’elle ne verrait même pas avant qu’il ne soit trop tard.

Brusquement, l’aura de la saidar brilla autour de la femme, mais la balle de feu toute prête fila de la main de Cyndane, assez petite pour échapper à la détection, espérait-elle, mais assez grosse pour brûler un trou à travers la femme qui…

Juste comme elle atteignait la femme, presque assez proche pour roussir ses vêtements, la toile de Feu se dénoua. La femme resta immobile ; le filet se dénoua tout bonnement ! Cyndane n’avait jamais entendu parler d’un ter’angreal qui pouvait anéantir un filet, mais ce devait être ça.

Puis la femme passa à l’attaque, et Cyndane subit son second choc. Elle était plus puissante que Cyndane ne l’avait été avant que l’Aelfinn et l’Eelfinn ne la tiennent ! C’était impossible, aucune femme ne pouvait être plus puissante. Elle devait avoir aussi un angreal. Le choc ne dura que le temps qu’elle tranche les flux de son adversaire. Elle ne savait pas comment les inverser. Cet avantage suffirait peut-être. Elle verrait mourir Lews Therin ! La femme de haute taille sursauta quand ses flux tranchés revinrent sur elle. Alors même que sous le coup elle déplaçait ses pieds, elle se remit à canaliser. Grondant, Cyndane se défendit, et la terre se souleva. Elle le verrait mourir ! Elle le verrait !

Le haut sommet de la colline n’était pas tout proche de la clé d’accès. Malgré tout, la clé brillait d’un éclat si vif dans la tête de Moghedien qu’elle aspirait ardemment à boire ne fût-ce qu’une gorgée de cet immense flot de saidar. Bien qu’elle en eût très envie, elle n’avait aucune intention de quitter le point de vue boisé où elle se trouvait pour approcher plus près. Seule la menace de la main de Moridin caressant sa cour’souvra l’avait poussée à Voyager jusqu’ici, et elle avait retardé son départ, priant que tout soit terminé avant qu’elle ne soit forcée de venir. Elle avait toujours travaillé dans le secret, mais elle avait dû fuir une attaque dès son arrivée. À des endroits très éloignés les uns des autres de cette forêt, des éclairs et des incendies tissés de saidar avaient fulguré, et d’autres orages faits de saidin flambaient et fulguraient sous le ciel de ce milieu d’après-midi. Une fumée noire s’élevait en lourdes volutes de bouquets d’arbres en feu, et le tonnerre des explosions roulait dans l’air. Qui combattait, qui vivait, et qui mourait, cela lui était totalement indifférent. Sauf que ce serait plaisant si Cyndane ou Graendal périssait. Voire les deux. Moghedien ne mourrait pas, se démenant au milieu d’une bataille. Et comme si une bataille ne suffisait pas, il y avait ce qui se dressait dans la forêt au-delà de la clé étincelante, un immense dôme noir, comme si la nuit s’était transformée en pierre. Elle flancha alors qu’une ondulation passait sur cette surface noire, et le dôme se souleva visiblement plus haut. Impossible d’approcher plus près. Moridin ne saurait pas ce qu’elle faisait ou ne faisait pas ici.

Battant en retraite vers l’arrière du sommet, loin de la clé étincelante et de l’étrange dôme, elle s’assit pour faire ce qu’elle avait fait si souvent par le passé : regarder dans l’ombre et survivre.

Dans sa tête, Rand hurlait. Il était certain qu’il hurlait, à l’instar de Lews Therin, mais il n’entendait pas leurs voix dans ce rugissement. L’immonde océan de la souillure coulait à travers lui, à une vitesse hallucinante. Des raz de marée d’immondices déferlaient sur lui. Des tempêtes répugnantes le déchiraient. La seule chose par laquelle il savait qu’il tenait toujours le Pouvoir, c’était la souillure. Le saidin pouvait changer, flamber, être sur le point de le tuer, il ne le saurait jamais. Ce déluge putride engouffrait tout, et il se retenait du bout des doigts, pour éviter d’être balayé. La souillure bougeait. C’était la seule chose qui comptait maintenant. Il fallait tenir !

— Que pouvez-vous me dire, Min ?

Cadsuane restait debout malgré la lassitude. Tenir ce bouclier la plus grande partie de la journée aurait suffi à fatiguer n’importe qui.

Il n’y avait pas eu d’attaque du sommet depuis quelque temps, et en fait, il semblait que les seuls canalisages actifs qu’elle percevait étaient ceux de Nynaeve et de Rand. Elza tournait en rond sans discontinuer au sommet de la colline, toujours liée à Merise et Jahar, mais elle n’avait rien à faire pour le moment, à part scruter les collines environnantes. Jahar était assis sur une pierre, Callandor luisant faiblement au creux de son bras. Merise était assise par terre près de lui, la tête sur ses genoux, et il lui caressait les cheveux.

— Eh bien, Min ? demanda Cadsuane.

Dans la légère dépression du sol rocheux où Tomas et Moad les avaient jetées de force, elle et Harine, Min releva la tête avec colère. Au moins, les hommes avaient eu le bon sens d’accepter qu’ils ne pouvaient pas participer à cette bataille. Harine fronçait des sourcils maussades, et plus d’une fois les hommes s’étaient vus obligés d’empêcher Min d’aller rejoindre le jeune al’Thor. Ils avaient même dû lui enlever ses couteaux après qu’elle eut tenté de s’en servir.

— Je sais qu’il est vivant, marmonna-t-elle. Et je crois qu’il souffre. Sauf que si j’en perçois assez pour savoir qu’il souffre, c’est qu’il est à l’agonie. Laissez-moi le rejoindre.

— Vous ne feriez que le gêner maintenant.

Ignorant le grognement de frustration de Min, Cadsuane traversa le sol rocheux jusqu’à l’endroit où Rand et Nynaeve étaient assis, mais elle ne les regarda pas tout de suite. Même à des lieues de distance, le dôme noir paraissait immense, s’élevant à mille pieds de haut en son milieu. Et il enflait encore. La surface ressemblait à de l’acier noir, mais elle ne brillait pas au soleil de l’après-midi ; au contraire, la lumière semblait s’éteindre à son contact.

Rand était assis, telle une statue immobile et aveugle, le visage inondé de sueur. S’il souffrait le martyre, ainsi que le disait Min, il n’en manifestait aucun signe. Cadsuane ne savait pas ce qu’elle pourrait faire, ce qu’elle oserait faire. Le déranger maintenant pouvait avoir des conséquences terribles. Regardant le dôme noir qui grandissait toujours, Cadsuane gémit. Le seul fait de l’avoir laissé commencer pouvait aussi avoir des conséquences terribles.

Avec un gémissement, Nynaeve glissa de sa pierre, sa robe trempée de sueur, des mèches folles collées à son visage luisant. Ses paupières frémissaient doucement, et sa poitrine se soulevait comme si elle s’efforçait désespérément d’aspirer de l’air.