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— Assez, gémit-elle. Je n’en peux plus.

Cadsuane hésita, chose dont elle n’était pas coutumière. Nynaeve ne pouvait pas quitter le cercle jusqu’à ce que le jeune al’Thor la libère, mais à moins que ces Choedan Kals ne fussent défectueux de la même façon que l’était Callandor, elle serait protégée contre la tentation de prendre en elle assez de pouvoir pour lui nuire. Sauf qu’elle servait de transmetteur pour beaucoup plus de saidar que toutes les sœurs réunies de la Tour auraient pu en manier en utilisant tous les angreals et tous les sa’angreals à leur disposition. Après avoir eu ce flot en elle pendant des heures, un simple épuisement physique pouvait la tuer. S’agenouillant par terre près d’elle, Cadsuane posa l’hirondelle en or à côté d’elle, prit sa tête dans ses mains et diminua la quantité de saidar qu’elle injectait dans le bouclier. Sa capacité de Guérison ne dépassait pas la moyenne, mais elle pouvait quand même dissiper un peu l’épuisement de Nynaeve. Elle avait une conscience aiguë de l’affaiblissement du bouclier au-dessus d’elles, et elle ne perdit pas de temps pour reformer les tissages.

Escaladant péniblement la colline jusqu’au sommet, Osan’gar se jeta à plat ventre et sourit, se dirigeant en crabe sur le côté pour s’abriter derrière un tronc d’arbre. De là, avec le saidin en lui, il voyait nettement la crête suivante et les gens qui étaient dessus. Une femme tournait lentement en rond autour du sommet, scrutant les arbres, mais les autres étaient immobiles, Jahar assis avec Callandor luisant dans les mains et une tête de femme à ses pieds. Osan’gar voyait deux autres femmes, l’une agenouillée et penchée sur l’autre, mais elles étaient partiellement cachées par un dos d’homme. Il n’avait pas besoin de voir le visage de l’homme pour savoir que c’était al’Thor. La clé posée par terre près de lui l’identifiait. Aux yeux d’Osan’gar, la clé brillait d’un vif éclat. Dans sa tête, son éclat surpassait celui du soleil, d’un millier de soleils. Ce qu’il pourrait faire avec ça ! Dommage qu’il faille la détruire en même temps qu’al’Thor. Mais il pourrait quand même emporter Callandor après la mort d’al’Thor. Parmi les Élus, personne d’autre ne possédait ne fût-ce qu’un angreal. Même Moridin fléchirait devant lui quand il posséderait cette épée de cristal. Nae’blis ? Osan’gar serait nommé Nae’blis après avoir tué al’Thor et détruit tout ce qu’il avait fait ici. Riant doucement, il tissa le malefeu. Qui aurait jamais cru qu’il finirait par être le héros du jour ?

Marchant lentement, scrutant les collines boisées avoisinantes, Elza s’immobilisa soudain quand elle saisit un mouvement imperceptible du coin de l’œil. Elle tourna lentement la tête. La journée avait été très difficile pour elle. Au cours de sa captivité au Cairhien, parmi les tentes des Aielles, l’idée lui était venue qu’il était d’une importance capitale que le Dragon Réincarné vive jusqu’à la Dernière Bataille. L’évidence lui en était soudain devenue si aveuglante qu’elle s’était étonnée de ne pas l’avoir vue plus tôt. Maintenant, c’était clair pour elle, aussi clair que le visage de cet homme tentant de se cacher derrière un arbre sur cette colline. Aujourd’hui, elle avait été forcée de combattre des Élus. Le Grand Seigneur comprendrait sûrement si elle en avait tué certains, mais Corlan Dashiva n’était qu’un Asha’man parmi d’autres. Dashiva leva la main vers la colline où elle se trouvait, et elle puisa autant qu’elle put dans Callandor, que tenait toujours Jahar. Le saidin semblait fait pour la destruction, pour elle. Une énorme boule de feu étincelait entourant le sommet de l’autre colline, rouge, or et bleu. Quand le feu s’éteignit, l’autre colline se terminait par une plate-forme lisse, cinquante pieds plus basse que l’ancien sommet.

Moghedien ne savait pas très bien pourquoi elle était demeurée là si longtemps. Il ne devait pas rester plus de deux heures avant la tombée de la nuit, et la forêt était silencieuse. À part la clé, elle ne sentait pas que la saidar fût canalisée nulle part. Ce qui ne voulait pas dire que quelqu’un n’en utilisait pas de petites quantités, mais rien de comparable à la furie qui avait fait rage précédemment. La bataille était terminée, les autres Élus morts ou en fuite, vaincus à l’évidence, car la clé étincelait toujours dans sa tête. Il lui semblait stupéfiant que les Choedan Kals aient survécu à un usage continu aussi long, à un tel niveau de puissance.

Couchée à plat ventre en haut de la colline, le menton dans les mains, elle observait le grand dôme. Sa couleur noire s’était encore assombrie. C’était une demi-sphère maintenant, s’élevant vers le ciel comme une montagne de plus de deux lieues de haut. Il était entouré d’une épaisse couche d’ombre, qui semblait aspirer tout reste de clarté demeurant dans l’air. Elle ne comprenait pas pourquoi elle n’avait pas peur. Cette chose pouvait grandir jusqu’à absorber le monde entier, ou peut-être le faire voler en éclats, ainsi qu’Aran’gar en avait envisagé la possibilité. Mais dans ce cas-là, il n’y aurait pas de refuge, pas d’ombres où l’Araignée pourrait se cacher.

Soudain, une volute monta de cette surface noire et lisse, comme une flamme, si les flammes étaient plus noires que le noir, puis une autre et encore une autre, jusqu’au moment où le dôme s’embrasa d’un feu infernal. Au rugissement de dix mille tonnerres elle se boucha les oreilles et poussa un hurlement qui se perdit dans ce fracas. Le dôme s’effondra sur lui-même le temps d’un battement de cœur, devint pointe d’épingle, puis plus rien. Alors, ce fut le vent qui hurla, se ruant vers le dôme évanoui, l’entraînant sur le sol rocheux, bien qu’elle s’efforçât d’agripper la terre pour se retenir, la soulevant dans l’air, la projetant contre les arbres. Elle pensa que si elle survivait à cela, elle n’aurait plus jamais peur.

* * *

Cadsuane lâcha ce qui avait été un ter’angreal. Ça ne ressemblait plus à une statuette de femme. La face était aussi sage et sereine que jamais, mais le corps était cassé en deux, et bosselé, comme une bulle de cire dont un seul côté a fondu, y compris le bras tenant la sphère de cristal et dont les fragments dispersés gisaient autour de l’objet brisé. La statuette mâle restait entière, et était déjà rangée dans ses fontes. Elle avait mis Callandor en sûreté également. Il valait mieux ne pas laisser de tentations en haut de ce lieu accessible à tous. À l’endroit où se trouvait autrefois Shadar Logoth, il y avait maintenant une grande trouée dans la forêt, parfaitement ronde, si large que, même au soleil déclinant, elle en voyait le bord diamétralement opposé s’enfoncer dans la terre.

Lan, guidant son étalon noir boitillant sur la pente, lâcha les rênes dès qu’il vit Nynaeve allongée par terre de tout son long et la couvrit de sa cape. Le jeune al’Thor était allongé près d’elle, lui aussi couvert de sa cape, Min blottie contre lui, la tête sur sa poitrine. Elle fermait les yeux, mais, à en juger son petit sourire, elle ne dormait pas. Lan leur accorda à peine un coup d’œil, fit une dernière enjambée et souleva doucement la tête de Nynaeve qu’il posa au creux de son bras. Elle ne bougea pas plus que Rand.

— Ils sont juste inconscients, lui dit Cadsuane. Corele dit qu’il vaut mieux les laisser récupérer tout seuls.

Et combien de temps cela prendrait-il, c’est ce que Corele n’avait pas pu dire. Ni Damer. Les blessures inguérissables de Rand étaient les mêmes, bien que Damer eût pensé qu’elles auraient disparu. Tout cela était très dérangeant.