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Même tremblante, elle avait toujours un maintien royal, mais ses paroles trahissaient ce qu’elle avait été, une paysanne. Elle foudroya les autres, l’air écœuré.

— La loi interdit d’utiliser le Siège sur des Initiées. Nous serons toutes destituées ! Et si l’exclusion de l’Assemblée ne suffit pas, nous serons probablement exilées. Et fouettées avant de partir, juste pour mettre du sel dans notre thé ! Que je sois réduite en cendres, si nous nous trompons, nous pourrions toutes être neutralisées !

Seaine frémit. Elles éviteraient ce dernier châtiment si leurs soupçons se révélaient exacts. Non, ce n’étaient pas des soupçons, mais des certitudes ! Mais même s’il en était ainsi, Yukiri avait raison sur tout le reste. La loi de la Tour prenait rarement en compte la nécessité, ou un prétendu intérêt supérieur. Mais si elles avaient raison, le jeu en valait la chandelle. Que la Lumière fasse qu’elles aient raison !

— Êtes-vous aveugles et sourdes ? dit sèchement Pevara, brandissant la Baguette des Serments en direction de Yukiri. Elle a, contrairement à nous toutes, refusé de prêter à nouveau le Serment obligeant à ne pas dire un mot contraire à la vérité, et ce ne devait pas être à cause du stupide orgueil de l’Ajah Verte. Quand je l’ai entourée d’un écran, elle a tenté de me poignarder ! Est-ce que cela proclame l’innocence ? Alors ? Pour ce qu’elle en sait, nous voulions juste lui parler jusqu’à ce que notre langue se dessèche ! Quelle raison aurait-elle d’en attendre davantage ?

— Merci à toutes les deux d’énoncer l’évidence, dit Saerin, ironique. Il est trop tard pour revenir en arrière, Yukiri, alors, autant continuer. Et si j’étais vous, Pevara, je ne crierais pas sur l’une des quatre uniques Sœurs de la Tour en qui je sais pouvoir avoir confiance.

Yukiri rougit et rajusta son châle, et Pevara sembla un peu décontenancée. Juste un peu. Elles étaient peut-être toutes Députées, mais Saerin avait pris la situation en main. Seaine ne savait pas trop si ça lui plaisait. Quelques heures plus tôt, elle et Pevara avaient juste été deux vieilles amies engagées seules dans une enquête dangereuse, des égales, prenant les décisions de conserve ; maintenant, elles avaient des alliées. Elle aurait dû s’en réjouir. Mais elles n’étaient pas l’Assemblée, et elles ne pouvaient pas se prévaloir des droits des Députées dans cette affaire. La hiérarchie de la Tour avait pris le dessus, avec toutes les distinctions subtiles, et pas si subtiles, concernant la place de chacune par rapport à une autre. En vérité, Saerin avait été novice et Acceptée depuis deux fois plus longtemps que la plupart des autres, mais ses quarante ans de Députation, plus qu’aucune autre à l’Assemblée, comptaient pour beaucoup. Seaine aurait de la chance si Saerin lui demandait son opinion, et encore plus son avis, avant de prendre une décision. Ridicule, mais cette idée la piquait comme une épine dans le pied.

— Les Trollocs la traînent vers la marmite, dit soudain Doesine, d’un ton grinçant.

Une sourde lamentation s’échappa des lèvres serrées de Talene. Elle tremblait si fort qu’elle semblait vibrer.

— Je… je ne sais pas si je peux… peux enflammer moi-même…

— Réveillez-la, ordonna Saerin, sans même regarder autour d’elle pour voir ce qu’en pensaient les autres. Arrêtez de bouder, Yukiri, et préparez-vous.

La Grise lui lança un regard furieux, mais quand Doesine relâcha son tissage et que les yeux bleus de Talene s’ouvrirent brusquement, l’aura de la saidar entoura Yukiri et, sans articuler un seul mot, elle couvrit d’un écran la femme gisant sur le Siège. Saerin dirigeait les opérations, toutes le savaient, point final. Épine très acérée.

Un écran ne semblait guère nécessaire. Le visage figé en un masque de terreur, Talene tremblait et haletait comme si elle avait couru dix miles à toute vitesse. Elle s’enfonçait toujours sur la surface molle, mais sans le canalisage de Doesine, le siège n’épousait plus ses formes. Les yeux exorbités, Talene fixa le plafond, puis referma très fort les paupières qui se rouvrirent brusquement d’elles-mêmes. Elle n’avait pas envie d’affronter les souvenirs, quels qu’ils fussent.

S’approchant du Siège en deux enjambées, Pevara présenta la Baguette des Serments à une Talene bouleversée.

— Renoncez à tous les serments qui vous lient, et prêtez de nouveau les Trois Serments, Talene, dit-elle durement.

Talene eut un mouvement de recul devant la Baguette, comme devant un serpent venimeux, puis elle s’écarta d’une secousse quand Saerin se pencha sur elle.

— La prochaine fois, Talene, c’est la marmite pour vous. Ou les tendres attentions des Myrddraals.

Malgré son visage implacable, il paraissait doux comparé au ton de sa voix.

— Plus de réveil avant. Et si ça ne suffit pas, il y aura une autre séance, et une autre, et autant qu’il faudra, dussions-nous rester ici jusqu’à l’été.

Doesine ouvrit la bouche pour protester, puis se ravisa avec une grimace. Dans ce groupe, elle était la seule à savoir faire marcher le Siège, mais elle était aussi bas que Seaine dans la hiérarchie.

Talene continuait à fixer Saerin, ses grands yeux pleins de larmes, et elle se mit à pleurer, à gros sanglots désespérés. À l’aveuglette, elle tendit le bras, tâtonnant jusqu’au moment où Pevara lui fourra la Baguette dans la main. Embrassant la Source, Pevara canalisa un fil d’Esprit dans la Baguette. Talene serra la baguette épaisse comme le poignet, si fort que ses phalanges blanchirent, mais elle continua à sangloter sans rien dire.

Saerin se redressa.

— Il est temps de la rendormir, j’en ai peur, Doesine.

Les pleurs de Talene redoublèrent, mais elle marmonna tout en continuant à pleurer :

— Je… renonce… à tous les serments… qui me lient.

Sur ce dernier mot, elle se mit à hurler. Seaine sursauta, puis déglutit avec effort. Elle connaissait par expérience la souffrance provoquée par la renonciation à un serment et s’était demandé quelle agonie ce serait que de renoncer à plusieurs, mais maintenant, la réalité était devant elle. Talene hurla à en perdre le souffle, puis n’inspira plus que pour se remettre à hurler, au point que Seaine s’attendit presque à voir accourir des gens de toute la Tour. La grande Verte se convulsa, gesticulant des bras et des jambes, puis soudain, son corps s’arqua jusqu’à ce que seuls les talons et la tête touchent la surface grise, tous les muscles bandés, agités de spasmes violents.

Les convulsions cessèrent aussi soudainement qu’elles avaient commencé. Talene s’affaissa, toute flasque, et se mit à sangloter comme une enfant perdue. La Baguette des Serments lui échappa sans forcer et roula sur la surface grise. Yukiri murmura quelque chose, avec le ton d’une fervente prière. Doesine murmurait sans discontinuer « Par la Lumière ! » d’une voix bouleversée.

Pevara ramassa la Baguette et referma dessus les doigts de Talene. Aucune pitié chez l’amie de Seaine.

— Maintenant, prêtez les Trois Serments, cracha-t-elle.

Un instant, il sembla que Talene allait refuser, mais lentement, elle répéta les serments qui faisaient d’elles toutes des Aes Sedai et les unissaient. Ne pas prononcer un mot qui soit faux. Ne jamais fabriquer une arme pour qu’un humain en tue un autre. Ne jamais utiliser le Pouvoir Unique comme une arme, sauf pour défendre sa propre vie, celle de son Lige ou celle d’une autre sœur. À la fin, elle se mit à pleurer, tremblant sans émettre un son. Peut-être étaient-ce les serments qui se resserraient sur elle. Ils pouvaient mettre mal à l’aise au début. Peut-être.

Puis Pevara lui énonça l’autre serment qu’elles exigeaient d’elle.