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Le vent soufflait vers l’est sur des lieues, forcissait et faiblissait vers l’est, mais sans jamais disparaître, et virait au sud, survolant forêts et plaines garrottées par l’hiver, les branches dénudées et les herbes rabougries, traversant enfin ce qui avait été la frontière entre le Tarabon et l’Amadicia. Vers l’est et le sud, il contournait les contreforts méridionaux des Monts de la Brume, tourbillonnant sur les hautes murailles d’Amador conquis. La bannière couronnant la massive forteresse de la Lumière claquait au vent, son faucon d’or semblant vraiment voler, des éclairs serrés dans ses serres. Peu d’indigènes quittaient leur demeure, sauf par nécessité, et se hâtaient dans les rues verglacées, serrant étroitement leurs capes autour d’eux, les yeux baissés, pas seulement pour voir où ils mettaient les pieds, mais pour éviter de croiser le regard d’un Seanchan chevauchant un animal ressemblant à un chat couvert d’écailles, de la taille d’un cheval, ou des Tarabonais voilés d’acier gardant un groupe d’anciens Enfants de la Lumière, maintenant enchaînés et attelés comme des bêtes pour traîner les chariots d’ordures hors de la cité. À peine un mois et demi sous l’autorité des Seanchans, et la population de la capitale d’Amadicia ressentait le vent mordant comme un fléau, et ceux qui ne maudissaient pas leur sort se demandaient quels péchés ils expiaient.

Vers l’est hurlait le vent, sur un pays désolé comptant autant de villages incendiés et de fermes en ruines que d’habitants. La neige recouvrait les poutres calcinées et les granges abandonnées, adoucissant le paysage alors même qu’elle aggravait la situation. Il soufflait sa lamentation funèbre jusqu’à la ville ouverte d’Abila. Aucune bannière ne flottait sur les tours de garde, car le Prophète du Seigneur Dragon y résidait, et le Prophète n’avait pas besoin d’autre bannière que son nom. À Abila comme ailleurs, les gens tremblaient davantage à cause du Prophète que du vent.

Sortant de la grande maison du marchand où résidait Masema, Perrin laissa le vent ouvrir sa tunique doublée de fourrure pour enfiler ses gants. Il dut faire un effort pour ne pas saisir la hache pendue à sa ceinture. Masema – il ne voulait pas lui donner le nom de Prophète, même en y pensant – était vraisemblablement un imbécile, et très certainement un fou. Un imbécile puissant, plus que la plupart des rois, et fou de surcroît. Les gardes de Masema bordaient la rue des deux côtés et leurs files se prolongeaient dans les rues avoisinantes, composées d’individus décharnés en soies volées, d’apprentis imberbes en tuniques déchirées, de marchands autrefois prospères en drap de laine élimé. Leur souffle se condensait en une buée blanche, et certains, sans cape, frissonnaient. Tous avaient à la main une lance ou un arc avec une flèche encochée. Pourtant, aucun n’arborait un air ouvertement hostile. Ils savaient que Perrin se prévalait de connaître le Prophète, et ils le regardaient, étonnés, comme s’ils s’attendaient à le voir s’envoler. Il écarta de ses narines l’odeur de la fumée des cheminées de la ville. La plupart empestaient la sueur rancie et le corps mal lavé, l’enthousiasme et la peur. Plus une étrange fièvre dont il n’avait jamais perçu l’odeur, le reflet de la folie de Masema. Hostiles ou non, ils le tueraient, lui ou n’importe qui, sur un mot de Masema. Ils massacreraient des nations entières. Leurs odeurs le refroidirent plus que le vent d’hiver. Il se félicita plus que jamais de n’avoir pas amené Faile avec lui.

Les hommes qu’il avait laissés avec les montures jouaient aux dés près des bêtes, ou faisaient semblant, dans un espace qu’ils avaient déneigé. Il n’avait pas confiance en Masema, et eux non plus. Ils surveillaient plus la maison et les gardes que leur jeu. Les trois Liges se levèrent d’un bond à sa vue, leurs yeux rivés sur les compagnons qui le suivaient. Ils savaient ce qu’avait ressenti leur Aes Sedai à l’intérieur. Neald fut le plus lent, ramassant ses dés et ses piécettes avant de se lever. L’Asha’man, habituellement dans la posture du séducteur, se tenait vigilant maintenant, à l’affût comme un chat.

— J’ai cru un moment qu’il faudrait se battre pour sortir de là, murmura Elyas près de Perrin.

Pourtant, ses yeux d’or étaient calmes. C’était un vieil homme efflanqué au chapeau à larges bords, ses cheveux grisonnants lui tombant dans le dos jusqu’à la taille et sa longue barbe déployée en éventail sur sa poitrine. Il portait un imposant couteau à la ceinture. Mais il avait été Lige et l’était encore, en un sens.

— C’est la seule chose qui s’est bien passée, lui dit Perrin, prenant les rênes de Stayeur des mains de Neald.

L’Asha’man haussa un sourcil interrogateur, mais Perrin secoua la tête, sans y faire attention, et Neald grimaça et tendit à Elyas les rênes de son hongre gris souris, avant de monter son cheval moucheté.

Perrin n’avait pas de temps à perdre avec les bouderies du Murandien. Rand l’avait envoyé pour ramener Masema. Comme toujours ces derniers temps, quand il pensait à Rand, des couleurs tourbillonnaient dans sa tête. Il les ignora. Masema représentait pour Perrin un problème trop important pour qu’il perde son temps à s’inquiéter de ces couleurs. Ce maudit Prophète jugeait blasphématoire pour tout autre que Rand de toucher le Pouvoir Unique. Rand, semblait-il, n’était pas mortel à ses yeux, mais plutôt la Lumière elle-même faite chair ! Donc, il ne Voyagerait pas, rejoignant Cairhien d’un saut à travers un portail créé par l’un des Asha’man, malgré tout ce que Perrin avait pu dire pour le faire changer d’avis. Ils devraient parcourir à cheval les quatre cents lieues qui les séparaient de la ville, affrontant la Lumière seule savait quoi. Tout en dissimulant qui ils étaient, et qui était Masema. Tels étaient les ordres de Rand.

— Je ne vois qu’une seule chance d’y parvenir, fiston, dit Elyas, comme s’il avait parlé tout haut. Une toute petite chance. On aurait mieux fait de l’assommer et de le kidnapper.

— Je sais, grogna Perrin.

Il y avait pensé plus d’une fois pendant ces longues heures de discussions. Avec les Asha’man, les Aes Sedai et les Sagettes, tous capables de canaliser, cela aurait été possible. Mais il avait assisté à une bataille livrée avec le Pouvoir Unique, les corps réduits en bouillie sanglante en un clin d’œil, la terre en feu. Abila aurait été une vraie boucherie avant qu’ils n’aient terminé. Il n’assisterait plus jamais à cela, si ça ne dépendait que de lui.

— D’après vous, qu’est-ce que ce Prophète va penser ? demanda Elyas.

Perrin dut écarter de son esprit le souvenir des Sources de Dumai, et l’image d’Abila ressemblant au champ de bataille des Sources de Dumai, avant d’être capable de réaliser de quoi parlait Elyas. Bien sûr, il allait vraiment faire l’impossible.

— Je me moque de ce qu’il pense.