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— Quand une maison change de main, les notaires n’ont pas coutume d’en informer les voisins et vous ne pouviez pas le deviner puisque vous vous désintéressiez de votre propriété. Et c’est pourquoi je vous répète que vous devriez vendre maintenant que le mal est fait !

— Ça, jamais ! Ah, il a osé s’installer là, ce ruffian ? Eh bien, il n’a pas fini de manger de la poussière parce que je vais tout remettre à neuf. Et je vais faire en sorte de lui rendre la vie impossible ! Il va savoir ce que c’est qu’un voisin teigneux!

— Prenez garde que ce ne soit lui qui vous empoisonne l’existence ! Il fait ce qu’il veut de la bonne Marie !

— Et moi le Roi m’honore de son amitié ! Le Roi, vous entendez ?

— Allons, calmez-vous ! Je sais tout cela!... Mais aussi que les devins n’hésitent pas à prédire ouvertement que ce cher Henri ne verra pas l’année finir !

— On me l’a appris. Et je ne fais que m’en gausser, tout comme lui !

— Eh bien, pas moi ! Et ne m’accusez pas de n’être qu’une femme superstitieuse car je ne le suis pas. Et pourtant, je ne vous cache pas que j’ai peur !

— Peut-être avez-vous raison mais je pense, moi, que la meilleure façon de surveiller un ennemi est de s’installer à sa porte ! Et c’est ce que je vais faire... ventre-saint-gris !

Sans attendre, il se rua dans son cabinet d’écriture afin de donner rendez-vous cinq jours plus tard et sur place à Louis Métezeau, architecte du Roi qui avait précédemment travaillé à Courcy, et qu’il allait charger de remettre en état son hôtel parisien sans regarder à la dépense avec pour seul mot d’ordre: une élégance du meilleur aloi réduisant son voisin immédiat à ce qu’il était... un repaire pour ruffian enrichi ! Comme il œuvrait pour ledit voisin, Métezeau, la mort dans l’âme parce qu’il savait quel client était Courcy, le lui avoua.

— Et alors ? Ricana celui-ci. Cela ne me gêne pas. L’important est que la demeure de mes futurs petits-enfants soit la plus belle ! Cela ne doit pas être difficile, que diable ! Accumulez chez lui toutes les pâtisseries italiennes qu’il voudra et tenez-vous-en pour moi à la noble pureté du goût français ! Crédit illimité !

Que répondre à cela ? Résigné à la perspective d’une longue suite de nuits sans sommeil, l’architecte accepta...

Le soir de ce même jour, Lorenza, escortée d’Hubert et de Clarisse, prêtait, entre les mains de Mme de Guercheville, dame d’honneur de la Reine, le serment d’obéissance et de fidélité exigé de toutes celles qui entraient au service d’accompagnement de Sa Majesté, avant d’être amenée en sa présence pour exécuter le rite des trois révérences que Lorenza connaissait pour s’y être pliée, dix-huit mois plus tôt, lors d'une arrivée à Fontainebleau qui ne lui avait pas laissé un bon souvenir. Il en allait tout autrement ce soir où, se sachant solidement soutenue par sa tante et son beau-père, elle savourait une sorte de triomphe, assez inattendu d’ailleurs mais réel et qui la payait de tous les dédains, de toutes les avanies qu’elle avait endurés.

Jamais elle ne s’était sentie aussi sûre d’elle. La simplicité voulue de sa robe - velours vert sombre, satin blanc et dentelles de Malines pour la grande collerette ! - servait seulement d’écrin à l’un des plus beaux joyaux de la collection Courcy : trois émeraudes de tailles dégradées mais superbes, soutenues au ras du cou par un étroit collier de perles et auxquelles répondait une quatrième portée en ferronnière au milieu du front, point d’orgue d’un fil de perles tressé dans l’or vivant de la chevelure. Rien sur la robe, rien aux oreilles, un bracelet de perles à chaque poignet et, aux doigts, son anneau de mariage et une cinquième émeraude qui était celle de ses fiançailles.

Etant donné la méfiance que lui inspirait Marie de Médicis, il avait fallu toute l’autorité du baron Hubert pour qu’elle accepte de porter ces magnifiques bijoux.

— Perdez donc cette crainte qu’on vous en déleste au Louvre ! La Médicis est folle de bijoux mais pas à ce point-là ! Mettez-vous une fois pour toutes dans la tête que vous êtes la baronne de Courcy et que cela oblige, sacrebleu !... Et puis je ne serai pas fâché de contempler la mine que l’on tirera devant les pierres de la reine Marguerite.

— La reine Marguerite ?

— De Provence, l’épouse de Saint Louis. Elle les avait achetées à un marchand de Saint-Jean-D’acre fraîchement débarqué des Indes. Cher, évidemment, et cela lui avait valu une sévère remontrance de son saint époux - grand roi mais sûrement pas facile à vivre ! - qui lui avait rappelé vertement que l'on n'était pas venu en Terre sainte pour s’y livrer à des emplettes frivoles. La mort dans l’âme, elle les avait donc revendues à notre aïeul Enguerrand de Courcy qui n’avait vu aucun inconvénient à mélanger croisade et enrichissement... En rentrant, il s’était marié et avait offert tout naturellement les émeraudes à sa jeune et belle épouse qui l’en avait remercié en lui donnant six marmots ! Je me hâte de vous dire que vous n’êtes pas obligée d’en fabriquer autant. Deux ou trois feront largement notre affaire... mais je ne vous empêche pas d’en rajouter.

Le résultat dépassa ses espérances. Quand, après les deux premières révérences, Lorenza mit genou en terre pour baiser le bas de sa robe - constellée de petits diamants et de perles et sous laquelle elle brillait comme une énorme étoile -, la Reine avait - littéralement ! - louché sur les joyaux en prenant une teinte ponceau révélatrice. A la présentation de Mme de Guercheville et au petit discours d’Hubert, elle avait marmonné en réponse quelques paroles parfaitement incompréhensibles auxquelles le Roi s’était hâté d’ajouter une chaleureuse bienvenue ! Il avait embrassé le baron, ce qui lui avait permis d'embrasser aussi Lorenza sans oublier Clarisse.

Mais cela avait bien été le seul moment détendu de la soirée. Il régnait à la Cour, en effet, une atmosphère pesante, devenue quasi étouffante même quand, avisant Mme d'Angoulême qui bavardait avec Mme de Royancourt, Henri s’était glissé entre elles pour demander à la duchesse, avec des larmes dans les yeux, si elle « avait des nouvelles de son bel ange ».

— Aucune, Sire, pour le moment ! Tout ce que nous savons est qu’elle reçoit l’hospitalité de l’infante Isabelle qui la traite bien parce qu’elle a su lui plaire, Dieu soit loué ! Mais elle n’a guère de liberté tandis que Condé s’agite aux frontières... On parle beaucoup de guerre, hasarda-t-elle.

Un éclair de colère s’alluma dans l’œil bleu d’Henri IV.

— Et l’on a raison ! Il faut en finir avec la succession de Juliers et nous réglerons cette affaire du même coup ! Ensuite nous verrons à obtenir du pape...

Il s’arrêta, l’œil soudain fixé sur les moires pourpres du nonce apostolique Ubaldini qui venait de ce côté avec l’ambassadeur vénitien Foscari, puis tourna les talons pour rejoindre son ministre Sully avec lequel il s’éloigna, entraînant avec lui le baron Hubert dont il avait pris le bras. Les trois femmes entreprirent alors une lente promenade le long de la galerie. Rien ne semblait, pour une fois, prévu pour la soirée, ni concert, ni bal. Pas même le jeu !

— En vérité, marmotta Mme d’Angoulême, c’est à se demander si l’on n’est pas en deuil de quelqu’un !

— Vous n’imaginiez tout de même pas qu’on allait donner une fête, en mon honneur ? murmura Lorenza qui cherchait des yeux Mme de Guercheville pour apprendre d’elle quand elle devrait prendre son service.

C’est à ce moment qu’elle entendit :

— Eh bien, vous voilà de retour parmi nous ? fit la voix railleuse de Mlle du Tillet. Je tenais à vous faire mon compliment ! Ainsi que pour votre mariage ! Vous êtes heureuse, j’espère ? Un beau nom, un époux superbe et une grande fortune ! Que demander de mieux !