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— Un enfant que Madame la duchesse a accepté de recueillir, répondit Lorenza. Je vous expliquerai plus tard... mais d’abord, dites-nous qui était le comparse de ce malotru !

Saisie d’un pressentiment, elle redoutait d’entendre un certain nom. Clarisse s’en rendit compte et voulut l’éviter :

— C’est sans grande importance, ma chérie ! Mon frère a toujours eu la langue trop longue...

— Sans importance ? Sans importance ? La langue trop longue ? Non mais ! S’insurgea l’incriminé. Dieu sait que ce n’est pas la faute de ma « fille » si elle a porté...

— C’est Antoine de Sarrance, n’est-ce pas ? Coupa celle-ci. Ce n’est pas la première fois que j’entends associer son nom à celui de l’ancien croupier de Florence. Depuis qu’il a eu l’impudence d’insulter le Roi, il semble s’être donné à tâche de commettre les pires folies en se targuant d’une impunité due au trop bon vouloir de Sa Majesté ! On dirait qu’il souhaite imiter en tout son père ! lança-t-elle avec dégoût.

— Le vieil Hector était certes une brute mais pas un lâche... ni un traître. Et je jurerais que cette clique florentine que la Reine traîne dans son sillage ne souhaite que le trépas de notre Henri !

— Vous avez sans doute raison, mais à ce propos, père, il serait urgent que vous ayez un entretien avec le Roi. Un entretien seul à seul.

Elle voulut prendre son bras pour l’apaiser mais il se dégagea presque brutalement :

— Vous voulez que je m’abaisse à lui rapporter ce qu’on m’a fait comme un marmot malmené ? Et en pleurnichant de préférence ? Vous, Lorenza ? Sachez alors...

— Si vous la laissiez parler ! cria sa sœur. Elle a une foule d'autres raisons de se tourmenter. Savez-vous qui est ce petit garçon que Madame Diane vient de ramener de l’Hôtel-Dieu ?

— Ne hurlez pas de la sorte ! Je ne suis pas sourd ! riposta-t-il encore plus haut. Comment voulez-vous que je le sache ?

Lorenza fonça dans la bataille.

— Vous souvenez-vous, père, de cette femme dont je vous ai parlé dès mon arrivée à Courcy et dont j’avais surpris le curieux dialogue dans les bois de Verneuil avec cet homme bizarre qui venait d’Angoulême ? Un homme vêtu de vert ?

Il se contenta de hocher la tête et elle reprit :

— Ce matin, à mon arrivée au Louvre, elle s’est ruée sur moi en me suppliant de l’introduire auprès de la Reine afin de l’avertir d’un grave danger menaçant la vie de son époux. Etant donné la chaleur de mes relations avec Sa corpulente Majesté, je lui ai répondu que c’était impossible. Sur ce, elle m’a appris qu’à Verneuil comme à Malesherbes, on ne cessait d’envoyer et de recevoir des messages du roi d’Espagne et de l’archiduc Albert. Qu’en fait, toute la famille d’Entragues conspirait avec le duc d’Epernon, que le couronnement aurait lieu et que l’homme d’Angoulême était de retour. Malheureusement, je n’ai même pas eu le temps de lui répondre : des archers du guet sont arrivés qui l’ont arrêtée et conduite illico à la Conciergerie.

— Sous quel chef d’accusation ? S’étonna le baron qui, cette fois, écoutait attentivement.

— Abandon d’enfant. Rejetée de partout, Jacqueline d’Escoman - c’est son nom ! - a été obligée de reprendre son fils que la nourrice refusait de garder plus longtemps parce qu’elle n’avait plus les moyens de la payer. Alors, n’ayant plus aucune ressource, elle s’est résignée, hier au soir, à l’abandonner sur le Pont-Neuf.

— Elle encourt la mort ! C’est chose grave !

— Croyez-vous qu’elle n’en soit pas consciente ? Qu’aurait-elle dû faire : se suicider en se jetant à l’eau avec l’enfant ? C’est sans doute ce qu’il serait arrivé si elle ne s’était donné à tâche de sauver le Roi ! Elle s’est rendue chez les Jésuites pour que ceux-ci avertissent le père Coton qui est le confesseur de la Reine, mais on l’a éconduite sans vouloir l’entendre...

— Ce qui m’étonne, c’est que les « bons » pères l’aient laissée repartir !

— N’exagérons rien ! Ce ne sont pas des assassins ! s’exclama la comtesse Clarisse.

— Demandez donc ça aux mânes de Jean Chastel qui a manqué le Roi d’un cheveu il y a quelques années ! Si je m’en réfère aux bruits qui courent, il y aurait dans leur couvent deux ou trois cellules meublées dans le style de celles du Châtelet ! (Il se tourna vers sa belle-fille :) Cette malheureuse ne vous a rien dit d’autre ?

— Pas grand-chose sinon : « Prévenez le Roi !... L’homme en vert ! »

— Elle a eu de la chance qu'on ne l’ait pas bâillonnée !

— J’ai donné deux écus au sergent afin qu’en prison, elle soit convenablement traitée.

— C’est judicieusement pensé : l’un d’eux ira sans doute à destination. Ce qui n’eût pas été le cas si vous n’en aviez donné qu’un seul !

— C’est ce que m’a dit Filippo Giovanetti qui...

— Il était là, lui aussi ? Il devait y avoir un monde fou devant le Louvre ce matin !

— Il est revenu à Paris à titre privé et a même racheté son ancienne ambassade de la rue Mauconseil ! Et surtout, il m’a ramené ma chère nourrice, Bibiena, qui vient d’emporter le petit à la cuisine. A ce propos, je ne sais même pas comment il s’appelle !

— Nicolas ! répondit la duchesse qui revenait... Pauvre enfant ! Si sa mère meurt sur l’échafaud...

— Il n’en saura rien, assura le baron. Nous le ramènerons à Courcy avec nous et nous en ferons... tiens ! Un jardinier ! Cultiver des salades ou des roses n’a jamais nui à personne et ne tombe pas sous le coup de la loi !... En attendant, je file au Louvre. Vous avez raison, Lorie : il est urgent que je parle au Roi ! Et j’en profiterai pour dire à Mme de Guercheville que vous vous sentiez souffrante ce matin !

Et il sortit en coup de vent.

— Pourvu, mon Dieu, qu’il ne commette pas quelque impair ! Gémit Clarisse. Quand il est à ce point en colère il ne se maîtrise pas toujours !

— Oh, sa colère semble apaisée, la rassura Lorenza.

— Vous ne le connaissez pas comme moi. Je peux vous assurer qu'il l’a seulement mise en veilleuse. Elle peut resurgir en quelque lieu que ce soit. Si, par malheur, il rencontre l’un de ces deux imbéciles il est capable du pire !

— Que pouvons-nous faire ?

— Prier !

Le Ciel, ce jour-là, était du côté de Mme de Royancourt. Quand le baron revint, il n’avait vu aucune des personnes qu’il souhaitait rencontrer : le Roi était parti pour la Bastille où Sully l’attendait pour évaluer, avec lui, le montant de son trésor et ce qu’allait coûter la guerre prochaine. Quant aux deux insulteurs, il ne risquait guère de tomber dessus. Le jeune Sarrance n’avait plus le droit de franchir le seuil du Louvre. Et Concini adoptait en présence d’Henri IV une attitude réservée, se tenant plutôt dans l’ombre de la Reine que dans la lumière éclatante des salons, à se pavaner. Peut-être attendait-il son heure, ce qui n’était pas fait pour rassurer Courcy.

En revanche, il croisa Mme de Guercheville à laquelle il transmit les excuses de sa belle-fille « prise d’un léger malaise».

— Un malaise de bon augure, j’espère ? Émit la dame d’honneur en souriant.

— Ma foi, je n’en sais rien, je me contente d’espérer...

— Quoi qu’il en soit, je vais prévenir Sa redoutable Majesté. Elle n’adresse jamais la parole à donna Lorenza sinon pour lui donner un ordre comme à une domestique dans le seul but de l’humilier et je serais étonnée qu'elle la reçoive avec grâce demain matin. Enfin, je ferai ce que je pourrai.

— Ne vous tourmentez pas pour elle. Lorenza s’y attend !

Certes, mais elle n’était pas préparée à l’avalanche d’imprécations en deux langues qui s'abattit sur sa tête dès qu’elle pénétra dans la chambre royale. Où d’ailleurs le Roi n’était plus. C’était jour de Conseil et il avait dû, comme d’habitude, en sortir à 7 heures. C’était dommage parce qu’il aurait peut-être clos le bec de son insupportable moitié.