On commença par la traiter de menteuse. Il n’était pas vrai qu’elle eût été malade la veille : on l’avait vue sur le pont du Louvre en conversation animée avec une femme de rien dont, d’ailleurs, les gens du guet étaient venus s’emparer et pour qui elle avait donné de l’argent...
D’autant plus calmement que l’autre ne disait que la vérité, Lorenza tenta de couper court :
— Cette femme, que j’ai connue chez Mme de Verneuil, me suppliait de la mener à Votre Majesté afin de lui révéler un complot touchant la vie du Roi...
— Encore une intrigue que l’on a dû découvrir en haut lieu puisque la femme a été arrêtée. Si c’était vrai, vous seriez venue m’en informer tout de suite et vous n’auriez pas filé avec un homme qui vous a prise dans sa voiture... Il n’est pas difficile de deviner ce que vous alliez y faire !...
Dès lors, plus rien ne pouvait endiguer le torrent. Pâle de colère, Lorenza s’entendit traiter de bâtarde entrée par intrigue dans une honnête maison, de criminelle perverse, de gibier de potence, de bougresse au service du premier venu dont le ventre portait sans doute le fruit de quelque soudard auquel elle avait dû s'offrir en profitant du départ de son pauvre imbécile d’époux, qui n’avait au fond que ce qu’il méritait en ramassant une putain dans le ruisseau...
Cette fois, la coupe déborda. En dépit du regard implorant de Mme de Montalivet - avec qui elle ébauchait une amitié ! - et de l’aide que Mme de Guercheville tentait de lui apporter en s’efforçant de calmer la mégère royale écumante de fureur, Lorenza lança :
— Quelle pitié qu’une princesse de si noble ascendance ait été si mal élevée ! Je m’en voudrais donc de lui imposer plus longtemps ma présence. Je sais que, baronne de Courcy, j’ai le droit de servir la reine de France, mais j’y renonce avec soulagement jusqu’à ce que...
— Gaaaaaardes ! Brama l’intéressée.
Deux suisses armés de pertuisanes apparurent aussitôt.
— Que veut la Reine ?
Marie désigna Lorenza d’un doigt dodu tremblant de rage:
— Que l’on couse cette femme dans un sac et qu’on la jette dans la Seine !
— Encore ? fit la voix goguenarde du Roi qui franchissait justement la double porte laissée ouverte. Il n’y a pas si longtemps qu’on l’en a sortie pourtant !
Les révérences étalèrent les robes autour de lui comme autant de corolles de fleurs sur les tapis.
Henri salua puis releva les femmes d’un geste avant de venir baiser la main de la sienne. Il semblait d’excellente humeur.
— Alors ? M’apprendra-t-on ce qui se passe ici ? Dites-moi un peu, ma mie, ce que vous a fait Mme de Courcy pour mériter un traitement aussi barbare ?
— C’est une menteuse éhontée qui a répondu par des insultes à la mercuriale méritée que je lui adressais !
Les épais sourcils gris d’Henri remontèrent au milieu de son front quand il se tourna vers Lorenza.
— Avez-vous vraiment menti, baronne ?
— Oui, Sire. Je l’avoue. Hier, en venant prendre mon service, j’ai été surprise à la porte du Louvre par une pauvre femme qui m’a suppliée de la mener à la Reine.
— Que lui voulait-elle ?
— L’informer d’un complot contre la vie du Roi.
La belle humeur de celui-ci s’évanouit instantanément.
— Vous aussi ?... Ne me parlera-t-on que de ces balivernes jusqu’à mon départ pour la guerre ? Pourquoi cette femme s’est-elle adressée à vous ? Vous la connaissiez ?
— Un peu, Sire ! Je l’ai rencontrée au château de Verneuil où elle servait de dariolette, mais la marquise a dû s’en défaire et elle m’est apparue si misérable qu’elle a éveillé ma pitié...
— Mal placée ! grogna Marie. La baronne oublie de mentionner que le guet est venu l’appréhender pendant leur entretien !
Le Roi revint à Lorenza.
— Est-ce la vérité ?
— Oui, Sire !
— Vous a-t-on dit pourquoi ?
— Elle est accusée d’avoir abandonné son enfant sur le Pont-Neuf parce que, n’ayant plus d’emploi, elle ne pouvait plus subvenir à ses besoins. Elle était si pitoyable que j’ai donné un peu d’argent pour qu’elle soit traitée convenablement.
— Et là-dessus, fulmina la Reine, votre Courcy, au lieu de répondre à son devoir, a filé avec un homme et s’est fait excuser en alléguant je ne sais quel malaise !
— Un homme ?
— Un vieil ami, Sire, et je m’étonne que la personne qui nous observait ne l’ait pas reconnu puisqu’il s’agissait de Filippo Giovanetti, qui fut notre ambassadeur auprès de Leurs Majestés.
Marie se jeta goulûment sur ce nouveau prétexte à récriminations :
— Il a osé revenir, cet espion, ce ruffian, après avoir été chassé par moi ? Il va apprendre ce que cela coûte de me narguer et je vais donner des ordres pour que...
Mais, cette fois, la patience de l’époux était usée jusqu’à la corde :
— En voilà assez, Madame ! Jusqu’à preuve du contraire, le gouvernement de ce royaume m’appartient et vous êtes mal venue de rappeler que vous avez chassé de façon infâme un diplomate que j’apprécie et qui, si ma mémoire ne me trahit pas, venait de vous servir fidèlement en allant chercher donna Lorenza ! (Puis s’adressant à la jeune femme :) Ser Filippo vous a-t-il confié la raison de son retour et ce qu’il faisait sur le pont du Louvre ?
— Il venait saluer le Roi... et la Reine ! Se hâta-t-elle d’ajouter. Se mettre à leur disposition...
— On n’a pas besoin de lui ! grommela celle-ci. , Le nouveau grand-duc nous a envoyé en Matteo Botti un homme de grand mérite, totalement dévoué aux bonnes relations entre nous et notre terre natale...
— Sans compter l’Empereur auquel il semble encore plus attaché, marmotta Henri. (Puis plus haut :) Quoi qu’il en soit, Madame de Courcy, dites à Giovanetti que je le reverrai avec plaisir. J’espère qu’il prolongera son séjour parmi nous !
— Pour un temps sans doute illimité, Sire, répondit-elle. Je me demande même s’il ne souhaite pas devenir l’un des sujets de Leurs Majestés puisqu'il s’est porté acquéreur de l’hôtel de la rue Mauconseil où il avait implanté... provisoirement son ambassade.
— Je croyais, lança la Reine avec aigreur, que vous trouviez qu’il y avait trop de Florentins ici ?
Henri IV se gratta la barbe et offrit à son épouse un sourire faunesque :
— C’est que je ne les mets pas tous dans le même panier. Celui-là, je l’aime bien. Non seulement il est très cultivé mais il joue aux échecs comme un dieu... et pousse même l’amabilité jusqu’à se laisser battre galamment de temps à autre ! Retirez-vous à présent, baronne... sans omettre de saluer votre Reine ! Vous reviendrez sans faute demain et tout sera oublié !
Lorenza plia le genou pour baiser la main qu’il lui tendait, salua la Reine comme si la « bonne dame » était transparente et allait sortir quand elle se ravisa :
— Avec la permission de Leurs Majestés, encore un mot, Sire !
— Lequel ?
— Le baron Hubert de Courcy, mon beau-père, désire vivement que le Roi lui accorde un moment d’entretien. Il n’a pas réussi jusqu’à présent...
— Ne le faisons pas attendre plus longtemps ! Je chasserai ce tantôt à Vincennes. Dites-lui de me rejoindre à 2 heures à la porte Saint-Antoine !
— Je remercie Votre Majesté !
Ramenée rue Pavée par une des voitures du Louvre, Lorenza vit que la cour de l’hôtel, cependant vaste, était occupée en partie par un somptueux carrosse avec cocher, laquais, pages et escorte. Tous portaient les armes de France ainsi que la couronne et tous - à la seule exception du cocher grisonnant - étaient pourvus de cheveux blonds plus ou moins longs. Intriguée mais devinant une visite auguste, elle voulut gagner discrètement l’appartement qu’elle partageait avec Clarisse mais Sauvegrain, le maître d’hôtel, la rattrapa au pied de l’escalier :