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— En tout cas, cela signifie surtout que l’attentat suivra le sacre de près, émit la duchesse Diane qui était entrée sur les talons du valet. Aucun d’eux ne peut se permettre de garder longtemps ce genre d’explosif !

On en fut encore plus persuadé au retour de Buisson. La description de l’inconnu manquait de précision. En revanche, ce qu’il avait appris à l’auberge était proprement terrifiant : un couteau à longue lame manquait à la cuisine !

Le baron Hubert sauta sur ses pieds.

— Je cours chez Sully ! Il faut qu’il sache le résultat de nos investigations coûte que coûte ! Il trouvera peut-être une solution... Lui au moins parvient à se faire écouter !

Le galop de son cheval franchit le portail quelques instants plus tard...

Malheureusement, le ministre n’était pas chez lui et le baron allait le chercher en vain...

Le lendemain, jeudi 13 mai 1610, il faisait le plus beau temps du monde. Dans un ciel sans nuages, un soleil éclatant illuminait Paris et l’interminable rue Saint-Denis, parée de fleurs et de tentures aux couleurs de la Reine, qui allait mener celle-ci des rives de la Seine jusqu’à la vénérable basilique où elle recevrait la couronne. L'héroïne de la fête n'avait jamais été vue de si belle humeur. Bien qu’elle ait dû se lever très tôt pour entendre la messe, communier, déjeuner et enfin se livrer à ses femmes pour être revêtue de l’immense robe de velours bleu brodée de lys d’or toute scintillante de diamants, de la grande collerette, dorée elle aussi, et du long manteau à traîne doublé d’hermine, elle rayonnait positivement. Il faut avouer qu'Henri avait bien fait les choses et n’avait pas lésiné sur les dépenses, même s'il considérait ce sacre comme un cauchemar. Marie devait en parler plus tard à l'ambassadeur florentin venu lui offrir des condoléances en présence d’autres témoins de la journée.

— C’était comme le Paradis ! N’est-il pas vrai, Messieurs, que la cérémonie de mon couronnement a été semblable en beauté à l’ordre divin du Paradis ?...

Et de la décrire !

Dix-neuf gradins avaient été élevés dans l’église où allaient prendre place, en fonction de leurs rangs, les princes du sang, les princesses du sang, les cardinaux, les évêques, les officiers de la Couronne, etc. A propos des princesses du sang, le Béarnais avait pensé joindre l’agréable au nécessaire en réclamant la présence du prince et de la princesse de Condé, mais il avait essuyé une nouvelle fin de non-recevoir. En revanche, la reine Margot était là, parée telle une châsse et plus blonde que jamais.

Quant à Henri, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il fit montre d’une gaieté parfaite pendant la cérémonie à laquelle il assistait dans une loge vitrée édifiée près du maître-autel où se tenaient, en retrait, l’archevêque de Reims, les ducs d’Epernon, de Bellegarde, de Montbazon et de Retz ainsi que MM. du Bellay, de Vie, de Courcy... et de Praslin !

Fort surpris, le baron Hubert ouvrait déjà la bouche quand ce dernier protesta : - Ah non ! Vous n’allez pas me sauter dessus comme l’a fait tout à l’heure Sainte-Foy outré de l’usage abusif que l’on fait de ses officiers et réclamant leur retour. Je lui ai répondu qu’ils étaient encore là-bas pour le service du Roi ! Autant dire : secret d'Etat !

— Secret d’Etat ? Mon œil ! Pas difficile à deviner votre mystère ! Ils ont pour mission de...

— Et si vous vous taisiez tous les deux ? fit sévèrement le Roi en se retournant. Vous me gâchez mon plaisir !

La stupeur laissa les deux gentilshommes pantois. Son plaisir ? Alors qu’il considérait, la veille encore, ce couronnement comme une catastrophe ?

Il est vrai que ce sacre-là différait des autres. Le sévère protocole habituel se dévergondait. Cela avait commencé par l’altercation qui avait opposé l’ambassadeur de Florence à ceux des Provinces-Unies et de Venise, ceux-ci ayant réclamé le pas sur le dernier qui les avait bousculés en les traitant d’« animaux aquatiques ! ». Il avait fallu les séparer. On en avait à peine fini avec eux que Foscari, ambassadeur de la Sérénissime, saluant celui de Madrid, s’était contenté de l’appeler « Monsieur l’ambassadeur ». L’autre, don Inigo de Cardenas, prétendant au titre d’Excellence, lui avait donné un violent coup de chapeau dans la figure. Le Vénitien, le nez pissant le sang, avait répondu à coups de poing !

La paix était à peine rétablie dans la petite classe des diplomates - ou soi-disant tels ! - que l’architecture s’en mêlait: la dalle qui fermait la crypte où l’on enterrait les rois de France se brisa net et il fallut se hâter de la replâtrer, ce qui contraria vivement l’héroïne de la journée. Mais ce qui suivit l’ennuya encore plus, alors que la cérémonie en était à son point culminant. Marie venait de recevoir du cardinal de Joyeuse l’onction du saint chrême sur le front et la poitrine, puis le sceptre et la main de Justice. Le Dauphin et sa sœur Elisabeth, également vêtus de satin brodé d’or, apportèrent la couronne tant désirée au cardinal qui la posa sur la tête inclinée de Marie. Fit-elle un faux mouvement ou ses cheveux fraîchement lavés étaient-ils glissants, toujours est-il que la couronne faillit tomber et qu’elle dut la retenir avant qu’elle n’aille à terre. Cela créa un froid mais la cérémonie s’acheva sans autres incidents. La foule massée à l’extérieur éclata en acclamations sous une pluie de pièces d’argent et d’or frappées à l’effigie de celle qui pouvait à présent devenir régente durant l’absence de son époux. Celui-ci fut le premier à l’appeler ainsi, en guise de plaisanterie sans doute, mais l’on comprit mal pourquoi Henri désigna le Dauphin à plusieurs reprises en disant :

— Messieurs, voici le Roi !

A sa place parmi les dames de la Reine, Lorenza avait observé tout cela avec une inquiétude qu'elle confia à la comtesse Clarisse lorsqu’elles furent revenues au Louvre pour le festin.

— Traitez-moi de Florentine superstitieuse, ma tante, mais je n’ai pas aimé ce sacre !

— Les Florentines n’ont pas le monopole de la superstition, j’imagine, et je partage entièrement votre point de vue. Il y a là un présage. Si Marie de Médicis doit devenir régente, ce ne sera pas bon pour le royaume ! Mais venez ! J’ai une question à poser à mon cher frère !

Quand elles le rejoignirent, il s'entretenait avec Bellegarde dans une encoignure de fenêtre en buvant un verre de vin. Sans se soucier d’interrompre leur conversation, elle demanda :

— De quoi parliez-vous tout à l’heure à Saint-Denis avec M. de Praslin ? Car même si ma vue n'est plus ce qu’elle était, j’ai bien cru le reconnaître !

— C’était lui en effet et j’en ai profité pour demander où était mon fils. Il m’a répondu qu’il était toujours à Bruxelles avec Bois-Tracy, leur mission n’étant pas achevée.

— Alors pourquoi Praslin est-il rentré ?

Roger de Bellegarde intervint.

— Etant à la tête d’une des quatre compagnies des gardes, il se devait d’être là même si c’est celle de Vitry qui assure le service aujourd’hui, mais je suppose qu’il est plutôt venu prendre de nouvelles instructions avant de retourner là-bas où les choses se présentent mal, la princesse étant toujours logée, sous surveillance, au palais des Archiducs. On n’ose tout de même pas intercepter son courrier, or elle ne cesse de se plaindre et d’appeler son héros au secours !

— En tout cas, n’essayez pas d’aller lui parler, avertit le baron. Il se réfugiera derrière le secret d'Etat comme il l’a fait avec moi !

— Un bien grand mot pour une affaire d’amour !

— Qui n’en débouche pas moins sur une guerre ! Praslin a dû recommander à ses deux « assistants » de continuer à observer les mouvements du palais ainsi que ceux de la belle en attendant l’arrivée du Roi. N’oubliez pas qu’il prend la route des Pays-Bas le 19, dans trois jours, fort d’une armée beaucoup plus puissante que s’il s’agissait de libérer Juliers, conclut le Grand Ecuyer. Même Sully y sera, nanti d’un trésor de huit millions !